UA-62381023-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Un nécessaire malentendu - Page 90

  • Carnet nomade, Éloge des bibliothèques

    logo_franceculture.gifCARNET NOMADE
    par Colette Fellous
    dimanche 9 novembre 2008 de 14h à 15h
    Éloge des bibliothèques

    Comme tous les hommes de la Bibliothèque, j’ai voyagé dans ma jeunesse ; j’ai effectué des pérégrinations à la recherche d’un livre et peut-être du catalogue des catalogues disait Borgès.
    Dans ce carnet nomade que j’ai intitulé Éloge des bibliothèques, je vous propose d’ouvrir quelques livres qui ressemblent eux aussi à des pérégrinations. Crack, le premier livre de Tristan Jordis qui est une fabuleuse enquête sur le monde du crack aux portes de Paris. Les maîtres de Glenmarkie de Jean-Pierre Ohl qui est écrivain mais aussi libraire. Le chemin vers la cabane, de Claude Chambard qui est une espèce de grand-poème ou de grande lettre d’amour et enfin Des bibliothèques pleines de fantômes de Jacques Bonnet.

    Intervenants
    Jacques Bonnet. Auteur de Des bibliothèques pleines de fantômes aux éditions Denoël.
    Jean-Pierre Ohl. Auteur de Les maîtres de Glenmarkie aux éditions Gallimard.
    Tristan Jordis. Auteur de Crack aux éditions du Seuil.
    Claude Chambard. Auteur de Le chemin vers la cabane aux éditions le Bleu du Ciel

  • Avenue de la mer

    tn_Couv.jpgL'humanité du 30 octobre 2008

    La chronique littéraire de Jean-Claude Lebrun
    Le souvenir et Marguerite


    AVENUE DE LA MER, Michèle Sales.
    Éditions de l'Atelier in8, coll. Alter & Ego, 112 pages, 12 euros.


    « Il serait regrettable que ce roman, publié par une jeune maison à la réputation d'exigence, passe inaperçu dans la masse des publications de la rentrée. Car Michèle Sales nous propose un texte qui combine remarquablement la mémoire personnelle et la mémoire littéraire, sans pour autant se contenter d'organiser leur rencontre. Faisant de cette matière une œuvre singulière, en laquelle s'affiche le lien de nécessité entre la littérature et la vie. Si l'on sent ce roman longuement mûri, si la langue s'y présente extrêmement travaillée, l'auteur évite l'écueil habituel dans ce genre d'entreprise: le trop-plein et la surécriture.
    Michèle Sales a su ici écrire juste et à la bonne distance. Le roman remonte au début des années soixante, quand celle qui raconte était une adolescente en villégiature dans une cité balnéaire proche d'un estuaire. Un bref paragraphe d'ouverture, en phrases courtes comme autant de minuscules réglages, permet la mise au point de la focale.
    De premières images viennent. Les marées montantes et descendantes à l'embouchure du fleuve, les quais, les terrasses et les boutiques, puis à chaque fois l'arrivée par le train. Il est aussi question des anciens pêcheurs repoussés par les plaisanciers. De la ville d'avant maintenant effacée par le tourisme. D'un autre estuaire moins visible: l'estuaire du temps. On ne sait pas encore vraiment où l'on se trouve, à l'embouchure de quel fleuve, mais à certains détails l'on subodore déjà la côte normande. Un lieu qui pourrait être Deauville ou Cabourg, ou peut-être encore Trouville. La narratrice ajuste sa vision, commence de laisser deviner les arrière-plans de son récit.
    Dans une ambiance mêlée de précision du souvenir et de discrète suggestion. Mettant déjà le lecteur en alerte. On ne s'approche pas de Cabourg ou de Trouville sans mettre aussitôt en  route la mécanique du souvenir littéraire. Flaubert, Proust, Sagan, Duras. Tous donc voisinant sur la «côte de grâce», le toponyme inventé par cette Françoise Quoirez, qui emprunta comme de juste son nom de plume à une princesse nichée dans l'œuvre de l'asthmatique du Grand Hôtel de Cabourg.
    Cet été-là, on écoutait ensemble Salut les copains. Avait-on lu Bonjour tristesse? Pas si sûr. Mais la narratrice se rappelle un garçon avec lequel elle parcourait les environs à pas rapides. Comme si l'un et l'autre cherchaient à n'être pas rattrapés par une réalité qui entre eux se précisait.
    Cet été-là on marchait certainement sous les Roches Noires, puisqu'on passait ses vacances à Trouville. On l'a su entretemps. Une petite dame qui écrivait des romans y faisait un premier séjour. Elle avait fait déjà paraître une dizaine de livres, mais le plus gros de son œuvre restait à venir. La narratrice plus tard les lirait. Tous. Les relirait sans cesse.
    Elle se marierait, aurait des enfants, une profession. Le garçon de la plage et des promenades avait pour sa part tôt choisi de sortir définitivement du jeu. Le voici faisant retour, dans ce texte, en même temps qu'une foule de sensations, que des images laissées là par le reflux du temps. Mêlées aujourd'hui à d'autres impressions, à l'autre vécu apporté par la lecture des livres. Le temps de Trouville n'est pas ici un temps retrouvé, même si Proust y tient sa partie. C'est un temps réinventé, dans lequel Marguerite Duras, la petite dame des Roches Noires, fait son apparition.
    Pour prêter son regard à la narratrice, sa vision de la mer et de la côte, des relations entre les êtres. Peu à peu le texte de Michèle Sales dévoile ainsi sa consistance complexe. Non pas exercice de style, mais restitution d'une dynamique d'entremêlement des livres et de la vie qui place la littérature radicalement à part dans le champ des productions artistiques. L'oublierait-on, que l'écriture sans discontinuer nous le rappellerait. Glissant d'un temps dans un autre, superposant les images. Telle celle du père que les enfants jouaient à recouvrir de sable sur la plage. Celle plus tard des poignées de terre jetées sur son cercueil. Montées l'une à la suite de l'autre. L'émotion est ici continûment présente, mais contenue. Cette beauté-là n'est pas gratuite. C'est ce qui donne à ce petit roman sa considérable vigueur. »

    http://www.humanite.fr/2008-10-30_Cultures_Le-souvenir-et-Marguerite

    Je suis d'autant plus heureux de cet article de Jean-Claude Lebrun que je suis le directeur de la collection Alter & Ego aux éditions In 8 qui a publié ce livre de Michèle Sales

  • Allée des Artistes

    wg2.jpg“Les tombes se lèvent au milieu des arbres. Colonnes brisées, monuments rococo, pyramides extravagantes, mausolées désuets, croix baroques, sculptures tarabiscotées, obélisques vaniteuses… Des portes ouvertes sont impossibles à refermer, des tombes éventrées laissent voir des cercueils pourris & des restes racornis. Des alignements de croix blanches marquent la place des homme tués en uniformes patriotiques lors des boucheries guerrières, de minuscules pierres indiquent les bébés errants dans les limbes, de simples gravillons blancs renflent la place des plus indigents.
    J’erre plus que je cherche dans ce rectangle clos d’un mur de pierres locales. Parfois, je m’assois sur un banc et m’essuie lentement le visage avec un grand mouchoir blanc.
    Le ciel est plat par-dessus les arbres. 
    Les bruits de la circulation arrivent jusqu’à moi comme filtrés, tamisés le plus finement possible, broyés par le temps qu’ils mettent à venir jusque là, en ce lieu où le recueillement est la règle & la componction l’attitude recommandée.
    Des chats, de toutes les couleurs, se faufilent entre les tombes, trouvent refuge contre la méchanceté humaine près des restes, des dépouilles vides d’où toute velléité de faire le mal a disparu. Des myriades de vieilles, veuves ou non, viennent chaque jour les nourrir.
    Je cherche l’allée des Artistes.
    L’allée des Artistes, quel nom ! Qui donc avait bien pu avoir l’idée, somme toute prétentieuse, de donner à un passage entre des alignements de sépultures un tel nom ? Quel imbécile municipal ? Comme si les artistes allaient se faire enterrer là. Comme si les artistes prenaient la direction qu’on leur indiquait ! Les miteux, les ratés, les ridicules, les petits marquis si répandus dans ces villes bourgeoises, mais les artistes, non, sûrement pas. Quelle idiotie !
    Néanmoins, je cherche l’allée des Artistes. C’est comme ça.
    Mais là, je suis fatigué, je sue. Je maudis cette marche forcée dans la chaleur moite de cette ville indigeste. Je fixe un point invisible dans le gravier de l’allée, un point où rien ne peut encombrer ma pensée, où le vide peut se faire en moi.”

     

    Extrait de Allée des Artistes, à paraître en 2009

    La photo est de Magdi Senadji (in Senadji/Bovary, éditions Marval) à qui ce texte est dédié

  • Allée des Artistes

    wg1.jpgJe marche dans l’allée des Artistes.
    Je note les noms. Mon carnet est mince & je ne parviens pas à lire ce que j’y écris, mais je sais que c’est juste, que ce sont les bons noms, ceux dont j’ai la garde depuis des dates que seul mon cœur connaît.
    Cette marche, c’est soupirer d’impossibles soupirs, me souffle Augustin l’Algérien qui sait que le monde est devenu vieux & que la vie perdue des morts, devient la mort des vivants.
    Le monde est vieux & je cherche un nom que je connais depuis toujours.
    Le monde est vieux. Je longe les noms, j’épelle les noms, je mâche les noms, j’avale les noms, j’éructe les noms, j’avoue les noms.
    Je suis le dénominateur commun à tous ces noms.
    Je marche dans l’allée des Artistes. Le ciel est bleu porcelaine.
    Je ne reviens pas sur mes pas. J’avance.
    L’allée est très longue, interminable. Le temps n’y a ni début, ni fin. Le temps, ici, délivre du temps.
    L’allée est longue, bordée de tilleuls. On la monte puis on la descend chaque dimanche. Du village au château & retour. L’enfant s’ennuie. Il boude. Il marche les poings dans les poches de sa culotte anglaise. Derrière les adultes parlent & parlent & parlent. L’enfant a déjà ce regard buté qui ne le quittera pas. Lorsque les parents, les cousins, viennent passer le dimanche à la campagne il faut visiter le château. Planchers qui grincent, trophées de chasse, chapiteaux corinthiens, obélisques, empilages de tambours rebondis, chapelle du Pérugin, boiseries, cheminées en pierre de Lézinnes, Vénus, Junon, Pallas, nues au milieu d’une foule d’hommes habillés & de forgerons culs nus qui frappent, frappent encore, l’enfant n’y comprend rien, mais les seins des femmes lui plaisent beaucoup. Ensuite le parc & inévitablement la promenade le long du canal qui se déverse dans les douves.   
    Comment savoir si on rêve d’hier, d’hui ou de demain. Le rêve est au présent & ne donne aucun renseignement sur l’écoulement du temps.
    Devant une tombe, des anémones roses du Japon se tournent vers le soleil, le vent les ébouriffe amicalement, il ne fait pas trop chaud aujourd’hui. Je boite moins.
    Je marche entre les tombes, je continue de copier les noms dans mon mince carnet, c’est le sens de ma vie me semble-t-il. Chercher les noms, copier les noms, les piquer de ma plume, comme d’une aiguille d’acupuncteur, pour les détendre, les assouplir, leur donner de l’aisance, de l’énergie, de la voix, de la vie encore. 
    La lumière tremble & vacille, la lumière porte une musique, une musique étonnée d’elle-même. Elle franchit le ciel, les siècles, elle franchit les stèles, les dalles, elle entre dans les tombeaux, rajeunit les morts, elle s’enroule autour de moi, sonne claire dans mon corps fatigué, fait chanter des noms révélés, portés, des visages qui, apparaissent à peine, pareil à des pastels trop frottés, estompés, mais d’une estompe qui n’efface pas, d’une estompe qui révèle, montent, flottent, prennent corps, tourbillonnent, s’envolent, filent dans le ciel ébahi.

    Extrait de Allée des Artistes, à paraître en 2009

    La photo est de Magdi Senadji (in Senadji/Bovary, éditions Marval) à qui ce texte est dédié

  • Sandor Ferenczi

    images.jpg“Il n'y a pas de bonté là où de la reconnaissance est escomptée.

    La bonté, il faut l'avoir reçue enfant, en quantité suffisante pour pouvoir en redonner.”

    Sandor Ferenczi

    Confusion de langue entre les adultes et l'enfant

    Traduit de l'allemand par le Coq Héron

    Petite bibliothèque Payot, 2004

  • Vie secrète

    L1000240.JPG“Je cherche à écrire un livre où je songe en lisant.
    J'ai admiré de façon absolue ce que Montaigne, Rousseau, Stendhal, Bataille ont tenté. Ils mêlaient la pensée, la vie, la fiction, le savoir comme s'il s'agissait d'un seul corps.
    Les cinq doigts d'une main saisissaient quelque chose.”

    Pascal Quignard

    Vie secrète

    Gallimard, 1997

  • Jour de silence

     

     

     

     

     

  • Les Couardes (en cours)

    images.jpgPuisque tout le monde rêve, moi non, moi je ne rêve pas, dis-je à Sigmund, dis-je à Grandpère, dis-je montant péniblement la côte, le chemin blanc des Couardes. Tu dis n’importe quoi, dit Grandpère, Sigmund ne dit rien, c’est à peine si on devine un lèger énervement à cette crispation du pied gauche dans le cuir souple de la chaussure noire. Pousse, pousse la brouette, pousse, ça grince, ça coince, ça souffre, ça claque sur la caillasse, allez bagnard pousse, pousse la brouette dans les couardes, bras distendus, muscles blancs, doigts sciés tordus – c’est l’arthrose (c’est l’âge [c’est la mauvaise santé], c’est ça c’est l’âge) – & la puanteur des détritus à vomir, à vomir parigot, à gerber.
    Jours jours + jours + jours – affaire connue (cf. la Vie de famille), refrain connu, sifflottements irrésistibles – & jours de canicule, jours de froid, c’est selon, orage, molaires sensibles – ou est-ce incisives, si ce n’est canines acérées (chaud froid, ce n’est pas bon pour l’émail) gencives en sang, il faut se soigner – ôter – changer ? – sa peau est un souhait, on veut la lumière & l’orage, il pleut, il pleut des cordes, il pleut à seaux il grêle – c’est mauvais pour la vigne – odeur âcre des trottoirs des villes puantes, chaussée trempée, il fait froid pour ainsi dire – dans les vieux os, il fait froid toujours, toujours il fait froid, toujours trop tôt – Grand-père ne pars pas.
    Grandpère ne pars pas. Grandpère est tombé, Grandpère dans la montée entrelesdeuxmurs (cf. entrelesdeuxrivières), tombé au calvaire du château d’eau, à mi-chemin entre bas & haut – il montait – personne n’a rien vu, sauf moi – l’enfant – & une litorne gloutonne. Cest le chant, voici le chant de l’origine, le chant sensible, ni propre, ni net, le chant de l’origine, voici le premier chant sensible, une espérance – tu n’as pas tenu tes promesses ! va te faire foutre (soit maudit) –, un chant à cinq tons, tout au plus le développement d’une petite pensée, un souper seul – a che barbaro appetivo ! –, travestit déjà mais pas encore démasqué – ouf ! Grandpère rigole, hérisse sa moustache blanche, retrousse ses lèvres, il a deux écorchures à la paume droite & le pantalon salit aux deux genoux & je prépare mes valises, je ne prétends pas tout savoir, je ne connais pas toute l’histoire – vieillir c’est grandir tout seul –, n’est-ce pas toute cette histoire, je ne la connais pas, pourtant il faudra bien qu’on y arrive en haut, tout en haut de cette côte, aux couardes, mais pour l’instant on est à moitié, ai-je pensé, en poussant les fermoirs de ma valise, à moins d’une heure du départ vers Middleburg, dans l’île où j’espère retrouver le sens de l’histoire, ai-je pensé en fermant la valise, après une demie-heure de traversée du détroit de l’Escaut (cf. Vent faste).
    Mes doigts fatigués, ridés, gercés, craquelés, parcheminés, mes doigts d’enfant aux marques violettes, entre pouce & index – l’encre de l’apprentissage, l’encre violette deviendra bleue l’encre du savoir, puis noire l’encre du professionnel –, cette encre violette qui nous marque, qui tatoue la servilité dans l’homme, bon au travail, bon à l’abattage, viens, dit Rose, la maîtresse aux joues rouges & au col claudine, viens, tu sera chargé aujourd’hui du remplissage des encriers & la croix d’honneur épinglée sur la peau, l’honneur.
    Je suis ici seul & tranquille & triste touchez-moi, touchez-moi – ne me touchez pas, oubliez-moi –, ici je monte la côte, je m’agenouille près de Grandpère, mes genoux nus sur les cailloux, le chemin blanc, la poussière, voix de la litorne sourde, tourmentée, préoccupée d’un homme, une trille sur l’arbre, écoute, Grandpère n’est pas mort. Grandpère est mort, quinze années plus tard, seul, le bonnet de nuit sur l’œil, son cœur ne fut jamais calme, jamais, il frappait sauvagement, il frappait la mort sauvagement, d’un bateau sur la vague, lui courbé sur le navire, le «Monp’ticoco», maintenant se trouve étrangement mort. Deux pensées coulissaient, où s’écoulent-elles maintenant, elle se tordent ici, cherchent après les morts. Je volais loin de la plainte, cherchez-moi, je n’ai jamais trouvé grand-chose, je n’ai pas vu le cercueil. La nuit, une seule flamme pour m’éclairer, la vieille la tenait haute, dressée sur ses talons de putain, sans larme, a bâillé de l’œil. Je n’ai jamais volé loin, ne me cherchez pas, je n’ai jamais trouvé grand-chose, le soleil est descendu, la cloche a retenti, je n’ai jamais volé loin, ne me cherchez pas, je n’ai jamais beaucoup trouvé.
    Maintenant le chemin absorbe chaque pierre de mer & chaque fragment du pays, chaque abandon de nuages stocké au bord du ciel en paix, silencieux mais ferme & la forêt, les barrières, les murets & les dépôts de la mer, les vagues anciennes, claires, tout se repose. À l’ouest, le jour prochain est encore un luxe, maintenant que le plus petit feuillage agite la forêt retentit un son très calme, un repos à mon sens ,un repos.
    & lui se repose & en bas l’eau, l’idée de la mer, au bord de cette forêt, un arbre & des nuages qui décorent le ciel & la vallée & les collines forment un jeu de couleurs, de mousses, maintenant que les dieux ne rêvent plus.
    Grandpère, Grandpère, si inerte, non, je ne m’enfuis pas de la matière, je monte la côte des Couardes pour encore remplir mon devoir & tu pêches encore au remblai où chasse la buse variable, des ombres s’étendent sur le canal, je dois sauter la barrière, chercher le son qui va retentir & reposer, retentir sur le pont & de là planer, puis tomber, dans la cour, tombe maintenant.
    La rivière, elle brille, il presse son côté, son cœur bruyant, la rivière, elle murmure, il tremble, il espère la fin de l’épouvante, il flambe & brille si volontiers, la forêt le relève, elle écoute le village maintenant & la vieille monte l’escalier, jusqu’à ce qu’il tombe dans mes bras ouverts.
    Ainsi les merles ne chantent plus devant la barrière, leurs ailes d’argile, sous leurs airs de chrétien, ils inventent des polémiques & les poilus de quatorze ne peuvent même plus gagner un simple baiser.
    Maintenant, dis-moi toi, pour la première fois, je t’aime, toi, maintenant, embrasses-moi, toi, pour la première fois & ne me parles que de toi & soit le baiser, le futile, l’imprévoyant & je dis, je suis très probablement, un imbécile moi & tu dis, assez.
    C’est la minuit, les sexes sont sur les tombes, ils regardent la nostalgie & les bougies & le canal & le vent secoue tout vers le bas & les sexes rétrécissent & ma tête pèse sur les vagues gonflements & prends les baisers rouges, la pluie pure, pure qui coule & mes lèvre exultent contre le froid, je suis une grue & je rampe & m’attache sur la croix noire, tu m’envoies une vue chère, mais la vue a perdue la main les lèvres & chaque nuit est un luxe éternel & une nouvelle beauté glisse un sourire dans la tombe.
    Je suis maintenant si riche, que même un désir est plus pauvre que moi, ma poitrine, ma pensée, mon âme, si calmement si étrangement sur mes lèvres le mot demeure, il repose sur mon haleine épouvantable, Grandpère ne répond pas.
    Je leur ai échappé, je ne sais quel bond habile sous la lampe, dans ma chambre, silencieuse imprudence de le dire, cela les fait sortir des bois, comme si on avait allumé la lampe pour les aider à trouver la piste, les pieds nus dans des pantoufles rouges, emmitouflé dans cette robe de chambre, qu’avant moi papa portait, agenouillé au pied du lit de cuivre – dans la famille depuis plus de cent ans, perdu depuis vingt & des poussières d’âmes belliqueuses – pater noster qui es in cœlis sanctificetur nomen tuum, les mains jointes, ave maria gratia plena, la moiteur des mains, la moiteur des pieds, l’odeur épouvantable du corps prostitué, encore dans les narines dilatées, benedictus fructus ventris, les glaïeuls lourds, l’eau croupie dans le vase, ne nos inducas in tentationem, moite l’entrejambes où macèrent les breloques familiales, ne nos inducas in tentationem, il faut élucider l’inavouable, tout dort en paix sauf l’amour, dans la cité, dans le village au bord du fleuve boueux, au bord du canal.

    Chapitre I de Les Couardes, travail en cours

  • Le simple bonheur

    Le simple bonheur c'est deux articles sur Le Chemin vers la cabane en 10 jours, après celui de Florence Trocmé il y a un mois http://poezibao.typepad.com/poezibao/2008/07/le-chemin-vers.html.

    Le premier d'Isabelle Baladine Howald http://www.sitaudis.com/Parutions/vers-la-cabane-de-claude-chambard.php.

    Le second de Tristan Hordé http://poezibao.typepad.com/poezibao/2008/10/le-chemin-vers.html.

    Incitation à sortir du lit malgré saleté de virus et ce qui va avec.

    Je vais me faire fabriquer un tampon "poète désuet" pour embêter les "modernes", moi qui le suit si peu à ce qu'il semble.

  • La route

    images.jpg« Autrefois il y avait des truites de torrent dans les montagnes. On pouvait les voir immobiles dressées dans le courant couleur d’ambre où les bordures blanches de leurs nageoires ondulaient doucement au fil de l’eau. Elles avaient un parfum de mousse quand on les prenait dans la main. Lisses et musclées et élastiques. Sur leur dos il y avait des dessins en pointillé qui étaient des cartes du monde en son devenir. Des cartes et des labyrinthes. D’une chose qu’on ne pourrait pas refaire. Ni réparer. Dans les vals profonds qu’elles habitaient toutes les choses étaient plus anciennes que l’homme et leur murmure était de mystère. »

     

    Cormac McCarthy

    La Route

    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Françoise Hirsch

    Éditions de l’Olivier, 2008

  • (Carnet des morts), un travail en cours

    416420857_2a70f070ea.jpgLa partie de chasse débute avant les premiers rayons de soleil. Dans le très relatif silence de la campagne, les hommes chuchotent dans le col remonté de leurs vestes. Les doigts gèlent sur l’acier des canons. Certains portent des mitaines. La buée de leurs respirations se mêle à la brume du petit matin.
    Une scène primitive.

    Car où pourrais-je me retirer hors du ciel & de la terre afin que mon amour puisse venir en moi.

    Ne tirez pas, en lisière ! Le rabat arrive par l’Ouest, à la pointe de la sapinette.
    Qui est celui qui peut porter sa vue jusque-là ?
    Mais les bêtes, les monstrueuses bêtes entoureront le père !
    S’il a le choix, il mourra. C’est simple.
    Dans le sang répandu du père, flottent les fantômes des origines. Les ancêtres.

    L’enfant lève la torche près le la roche. Il n’y a que des ombres à deviner. Le temps est neuf.


    La chasse à l’affût, le voyeurisme, la contemplation, la lecture sont transis de sens.

    Un coup de doigt jamais n’abolira le hasard. Le coup de feu ébranle la distance. Jusqu’à la chute de la victime désignée. On la dévorera plus tard.
    Dans la souricière, le fromage se mord la queue.
    Bruit de fonds universel. Acouphènes communs.
    Brume du matin, des nuages & des brouillards.
    Lever de soleil & monstres marins.


    Mon fils sache-le
    Écrire est sans fin

    Mais c’est la langue qui soutient le mélancolique, l’épuisé, l’angoissé, l’errant. La langue qui ne lui manque jamais.
    Même à terre, la langue transporte la langue, comme Offero (ou Reprobus) de la tribu des cynocéphales, fait traverser, sur son épaule puissante, un torrent aux flots furieux à l’enfant Jésus.
    La langue porte la langue dans chaque bouche. C’est la langue qui entre, c’est la langue qui sort. C’est le secours de la langue.
    La langue est un mot qui contient tous les mots.

     

    (travail en cours, extrait du chapitre I)