vendredi, 03 avril 2020
Thomas Hardy, « Deux poèmes pour Emma »
Emma & Thomas Hardy, 1885
« La voix
Femme fort regrettée, comme tu t’adresses à moi, à moi,
Disant que cette fois tu n’es plus comme autrefois
Quand tu avais changé d’état, toi qui étais tout pour moi,
Mais revenue comme avant, dans la fleur de notre âge.
Est-ce bien toi que j’entends ? Alors, donne-moi l’image
De toi plantée là quand j’approchais de la ville
Où tu m’attendais : oui, telle qu’en toi-même visible,
Jusqu’à la robe bleu azur d’origine !
Ou bien est-ce seule la brise qui, volage,
Voyage de par les prés mouillés jusqu’à moi ici,
Alors que tu es à jamais dissoute, pâle, insensible,
Inouïe pour toujours à travers le pays ?
Ainsi je vais ; d’un pas qui chancelle
Les feuilles tombant d’une pluie fine,
Le vent du nord coupant de par les aubépines,
Et la femme qui appelle.
Décembre 1912
Quelque chose a tapé
Quelque chose a tapé à la vitre de ma chambre
Sans la moindre présence
De vent ou de pluie, et j’aperçus dans l’obscurité
Le visage fourbu de ma Bien-aimée.
Elle dit ‘Ô je suis lasse d’attendre
Nuit, matin, midi, après-midi ;
Si froid fait-il seule dans mon lit,
Moi qui croyais que tu viendrais me surprendre !’
Je me levai et m’approchai de la fenêtre,
Mais elle en avait profité pour disparaître :
Seul, hélas, un pâle papillon de nuit
Tapait à la vitre en signe de vie.
août 1913 »
Thomas Hardy
Les poésies d’amour
Choix, traduction et postface de Jean-Pierre Naugrette
Circé, 2018
https://www.editions-circe.fr/livre-Les_Po%C3%A9sies_d_amour-493-1-1-0-1.html
16:14 Publié dans Écrivains, Édition, Je déballe ma bibliothèque, Livre | Lien permanent | Tags : thomas hardy, deux poèmes pour emma, la voix, qualque chose a tapé, jean-pierre naugrette, circé
jeudi, 22 novembre 2018
Luo Fu, « En raison du vent »
DR
« En raison du vent
Hier j’ai longé la rivière
Sans me hâter jusqu’à
L’endroit où les roseaux se penchant pour boire
Et j’ai demandé à la cheminée
D’écrire pour moi dans le ciel une longue lettre
Sans doute un peu confuse
Mais mon intention
Était aussi claire que la chandelle à ta fenêtre
Qu’on y trouve un peu d’ambiguïté
C’est bien difficile à éviter
En raison du vent
Que tu comprennes ou non cette lettre n’a pas d’importance
L’important c’est qu’il faut
Avant que les chrysanthèmes n’aient complètement fané
Que sans tarder tu te mettes en colère, ou que tu ries
Que sans tarder tu prennes dans le coffre cette fine chemise qui est à moi
Que sans tarder tu peignes à ton miroir cette noire et souple séduction qui est la tienne
Et qu’ensuite avec l’amour de toute une vie
Tu allumes une lampe
Je suis un feu
Qui à tout moment peut s’éteindre
En raison du vent »
1981
Luo Fu
En raison du vent
Traduit du chinois (Taïwan) par Alain Leroux
Circé, 2017
http://www.editions-circe.fr/livre-En_raison_du_vent-588-1-1-0-1.html
14:40 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : luo fu, en raison du vent, alain leroux, circé
lundi, 09 juillet 2018
Haizi, « Maison »
DR
« Tu as au matin fait tomber
une première goutte de rosée
pour sûr, cela touchait à ton amour
à midi, quand tu as fait boire les chevaux
tu t’es tenu un instant sous un jeune rameau
et cela aussi touchait à elle
et dans la lumière du soir
tu es assis dans la maison, sans bouger
et cela encore touche à elle
tu ne peux pas le nier
l’immense soleil se retire, sable et boue se confondent,
détale le vent fou,
ciel et terre de pluie détrempés sanglotent sans fard ni feinte
et la maison d’amour est tendrement assise
elle recouvre une mère, elle recouvre un fils
te recouvre et moi aussi »
1985
Haizi – Zha Haisheng, 1964-1989
Traduit du chinois par Romain Graziani
In Le ciel en fuite – Anthologie de la nouvelle poésie chinoise
Édition établie par Chantal Chen-Andro & Martine Valette-Hémery
Circé, 2004
http://www.editions-circe.fr/livre-Le_ciel_en_fuite_%E2%8...
18:20 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : haizi, zha haisheng, maison, romain graziani, le ciel en fuite, anthologie de la nouvelle poésie chinoise, circé
samedi, 07 juillet 2018
Song Lin, « Paysage dans l’œil d’un aigle »
© Pieter Vandermeer
« 1
Rien que le roc, la neige,
noir sur blanc.
Les rigueurs de l’hiver, les eaux ne coulent plus,
les pins ont mis leurs cloches de verre.
2
Rien ne saurait remplacer
l’élévation du roc.
celle des sommets,
sauf la neige qui les recouvre.
3
Des vols d’hirondelles dorment sous les eaux gelées,
dans leur tanière, les ours bruns sommeillent,
marmottes et hérissons s’assoupissent aussi,
en eux s’amassent une neige de graisse.
4
Il n’y a pas de mots, pas de vendeurs de mots,
nul hymne louant les noces, le pouvoir.
Au Tibet, une armée s’enfonce sous la neige,
inhumée dans l’oubli du clair de lune.
5
Le vent est inspiration, volonté,
vitesse du sang en plein vol.
Les ombres se déplacent, puis
les griffes soudain lacèrent le silence.
6
Une réduction, essentielle, comme fait la terre
pour les branches, les feuilles mortes, comme le roc
dressé solitaire, dressé radieux,
devenue fondement de toute sensation.
7
Même les étendues de neige gelée
sont truffées d’amorces noires du soleil.
Le paysage dans l’œil d’un aigle…
poème sur la distance. »
1998
Song Lin – né en 1959 dans la province du Fujian
in Le ciel en fuite – Anthologie de la nouvelle poésie chinoise
Édition établie et traduite par Chantal Chen-Andro & Martine Valette-Hémery
Circé, 2004
19:40 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : song lin, paysage dans l'œil d'un aigle, chantal chan-andro, martine valette-hémery, circé
samedi, 23 juin 2018
Beidao, « Questions au ciel »
DR
« Ce soir la pluie tombe éparse
la brise feuillette le livre
le dictionnaire parle à mots couverts
je ne peux lui résister
Enfant je récitais des poèmes anciens
sans comprendre
debout, puni
au bord du gouffre des commentaires
La lune brille, quelques rares étoiles
la main du Maître
montre le gué des rêves
les ombres miment l’existence
des gens glissent à skis
sur les pentes enneigées de l’instruction
leur histoire
glisse hors des frontières
les mots ont glissé hors du livre
la feuille blanche est atteinte d’amnésie
je me lave les mains
je déchire la feuille, la pluie cesse »
Beidao (ou Bei Dao) – 1949
Au bord du ciel
Traduit du chinois par Chantal Chen-Andro
Circé, 1995
http://www.editions-circe.fr/livre-Au_bord_du_ciel-220-1-...
17:53 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : beidao, au bord du ciel, chantal chen-andro, circé
samedi, 16 juin 2018
Zheng Chouyu, « Village aborigène »
DR
« Ma femme est un arbre, moi aussi ;
mais ma femme est un bon métier à tisser,
sa navette-écureuil tisse des nuages arachnéens,
ces nuages, là-haut, sont ceux qu’elle aime tisser
et moi, j’espère bien que mon unique tâche
sera de faire sonner dans ma poitrine
la cloche d’une école
puisque j’ai atteint l’âge…
où les piverts se posent sur mon bras »
1962
Zheng Chouyu
in Le ciel en fuite – Anthologie de la nouvelle poésie chinoise
Édition établie et traduite par Chantal Chen-Andro & Martine Valette-Hémery
Circé, 2004
http://www.editions-circe.fr/livre-Le_ciel_en_fuite_%E2%8...
17:39 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : zheng chouyu, villa aborigène, le ciel en fuit, anthologie de la nouvelle poésie chinoise, chantal chan-andro, martine valette-hémery, circé
mercredi, 06 juin 2018
Xia Yu (Hsai Yu), « Hibernation »
DR
« Je ne cherche ainsi qu’à engranger assez d’amour
assez de tendresse et de ruse
par précaution si d’aventure
je te rencontre à mon réveil
je ne cherche ainsi qu’à engranger assez de fierté
assez de solitude et d’indifférence
par précaution si d’aventure
tu es déjà parti à mon réveil »
1980
Xia Yu (Hsia Yu — née en 1956 à Taïwan)
in Le ciel en fuite – Anthologie de la nouvelle poésie chinoise
établie et traduite par Chantal Chen-Andro & Martine Valette-Hémery
Circé, 2004
http://www.editions-circe.fr/livre-Le_ciel_en_fuite_%E2%8...
18:54 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : xia yu, hsia yu, le ciel en fuite, chantal chan-andro, martine valette-hémery, circé
lundi, 04 juin 2018
Chen Li, « Cartes postales pour Messiaen »
DR
« Folie de papillon
Elle est venue à moi
tel un papillon. Sans hésiter
elle s’est assise sur la première chaise devant le pupitre
une barrette de couleur
dans les cheveux, papillon sur papillon
Depuis vingt ans, dans ce lycée
en bord de mer, combien de papillons
ai-je vus, êtres humains ou lépidoptères,
empreints de jeunesse, de rêves
virevolter dans ma salle de classe ?
Oh ! Lolita
Un jour d’automne avant midi, le soleil
si chaud, une piéride d’un jaune étincelant
entrée par la fenêtre a tournoyé autour
d’elle, âgée de treize ans, penchée sur son devoir,
et du professeur distrait
Soudain elle s’est levée, pour échapper à cette
chatoyante, vibrante image
diaprée, papillon terrifié par
d’autres papillons : elle affolée,
moi troublée par sa beauté »
2001
Chen Li
Cartes postales pour Messiaen
Traduit du chinois (Taïwan) et présenté par Marie Laureillard
Circé, 2017
http://www.editions-circe.fr/livre-Cartes_postales_pour_M...
15:15 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : chen li, cartes postales pour messiaen, marie laureillard, circé
lundi, 26 juin 2017
Hsia Yu, « Salsa »
DR
« To be elsewhere
Ils se sont rencontrés dans un village de la côte
ils ont partagé une nuit merveilleuse puis se sont quittés sans laisser d’adresse
chacun sa route. Trois ans plus tard
ils se sont rencontrés à nouveau, sans le vouloir.
Pendant trois ans
ils ont été abandonnés
par la narration du roman
ils ne savaient plus qui ils étaient
seule flottait dans l’air cette sensation de s’être un jour connus
dans un autre récit
l’un demande : qui es-tu qui parais si froid et si fatigué ?
l’autre répond : je sais seulement que mon pull est décousu
et que si tu tires le fil de plus en plus
c’est tout mon être qui finira par disparaître »
Hsia Yu
Salsa
Traduit du chinois (Taïwan) et présenté par Gwennaël Gaffric
Circé, 2017
16:45 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : hsia yu, salsa, gwennaël gaffric, circé