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claire malroux

  • Emily Dickinson, « Je ne l’ai pas encore dit à mon jardin… »

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    « Je ne l’ai pas encore dit à mon jardin –

    De peur d’y succomber.

    Je n’ai pas tout à fait la force à présent

    De l’apprendre à l’Abeille –

     

    Je ne le nommerai pas dans la rue

    Les boutiques me dévisageraient –

    Qu’un être si timide – si ignorant

    Ait l’aplomb de mourir.

     

    Les collines ne doivent pas le savoir –

    Où j’ai tant vagabondé –

    Ni révéler aux forêts aimantes

    Le jour où je m’en irai –

     

    Ni le balbutier à table –

    Ni sans réfléchir, au passage

    Suggérer que dans l’Énigme

    Quelqu’un en ce jour marchera – »

     

    Emily Dickinson

    Car l’adieu, c’est la nuit

    Choix, traduction et présentation de Claire Malroux

    Poésie / Gallimard, 2000

    Pour ce 15 mai 1886.

  • Claire Malroux, « Soleil de jadis »

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    DR

     

    « L’enfant s’apprête à franchir le pont

    serrant l’anse d’un panier rempli de très rouges cerises

    Loin, dans le bas du village

    elle a pris l’embranchement de la grand-route

    passé le dos d’âne où tient en équilibre

    la maison de l’entrepreneur des transports

    Un car lilliputien conduit les paysans

    au chef-lieu de canton les jours de foire

    De l’autre côté elle aperçoit en contrebas

    une petite maison blanche et sa terrasse adjacente au lavoir

    Elle est tombée un jour dans ce lavoir

    en glissant sur l’ombre liquide des dalles

    Le trou de la serrure découpe une allée

    de branches en fleurs sous lesquelles

    des vêtements gonflent indolemment sur une corde à linge

    et une enfant nue se balance

    rescapée du temps

     

    *

     

    L’enfant s’apprête à franchir le pont

    serrant l’anse d’un panier rempli de très rouges cerises

    Les porte à qui ?

    Elle a oublié, happée par le prodige du matin d’été

    le déluge de plis bleus sur ses épaules

    les remous argent de la rivière

    autour des rochers captifs au milieu de son lit

    Les filles de l’ogre crachent en souriant la salive de l’écume

    loin du couteau paternel

    L’enfant jette une poignée de cerises sur l’eau blanche

    Si tu avales le noyau, l’a-t-on avertie

    un arbre poussera dans ton ventre

    Un verger peut-il jaillir de l’eau ?

     

    *

     

    L’enfant s’apprête à franchir le pont

    serrant l’anse d’un panier rempli de très rouges cerises

    Plus loin la rumeur de la forge s’élève

    sinistre en ce bas-fond

    On dit que les deux filles du forgeron

    sont atteintes de tuberculose

    En face rouille la grille jamais ouverte du château

    caché par les arbres de son parc, sapins et mélèzes

    C’est un lieu interdit où n’entre

    et d’où ne sort personne

    Un sentier mouillé rongé d’ornières le longe

    Ses hautes murailles de buis

    crépitent de chaleur en été

    De ce labyrinthe on sait

    qu’on ne trouvera jamais seul l’issue

     

    *

     

    L’enfant ne franchira pas le pont

    L’univers déborde d’univers aussi ronds que ses cerises

    mais elle ne peut faire un pas

    sans déchirer la trame

    où son être est inséré

    Figée au confluent des images

    elle naît à elle-même à cet instant

    ayant découvert ses propres rives »

     

    Claire Malroux

    Soleil de jadis

    Préface d’Alain Borer

    Couverture de Colette Deblé

    Le Castor Astral, 1998

    https://www.castorastral.com/livre/soleil-de-jadis/

  • Emily Dickinson, « Il est une fleur… »

    emily-dickinson.gif

     

    « Il est une fleur que l’Abeille préfère —

    Et que le Papillon — désire —

    À gagner cette Pourpre Démocrate

    Le Colibri — aspire —

     

    Et Tout Insecte qui passe —

    Emporte du Miel

    À proportions de ses besoins divers

    Et de ce qu’elle — contient —

     

    Son visage est plus rond que la Lune

    Et plus vermeil que la Robe

    De l’Orchis dans la Prairie —

    Ou du — Rhododendron —

     

    Elle n’attend pas Juin —

    Avant que le Monde soit Vert —

    On voit — affronté au Vent —

    Son robuste petit Corps

     

    Disputer à l’Herbe —

    Sa proche Parente —

    Le don de la Motte et du Soleil —

    Doux Plaidants pour la Vie —

     

    Et quand les Collines sont garnies —

    Qu’éclosent les modes nouvelles —

    Ne soustrait pas la moindre épice

    Dans un accès de jalousie —

     

    Son Public — est Midi —

    Sa Providence — le Soleil —

    Son progrès — l’Abeille — le proclame —

    En Musique Soutenue — royale —

     

    La plus Vaillante — de la Foule —

    Elle se rend — en dernier —

    Ignorant même — sa Défaite —

    Quand l’annule le Gel  — »

     

    Emily Dickinson

    Y aura-t-il pour de vrai un matin cahier 31

    Bilingue

    Traduit et présenté par Claire Malroux

    Coll. « Domaine romantique », José Corti, 2008

    https://www.jose-corti.fr/titres/y-aura_il-un-matin.html

  • Emily Dickinson, « Fais-moi un tableau de soleil »

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    « Fais-moi un tableau du soleil —

    Que je l’accroche dans ma chambre.

    Et fasse semblant de me réchauffer

    Quand les autres s’écrieront “Jour” !

     

    Dessine-moi un Rouge-gorge — sur une tige —

    À l’entendre, je rêverai,

    Et quand les Vergers ne chanteront plus —

    Rangerai — mon simulacre —

     

    Dis-moi s’il fait vraiment — chaud à midi —

    Si ce sont des Boutons d’or — qui “voltigent” —

    Ou des Papillons — qui “fleurissent” ?

    Puis — omets — le gel — sur la prairie —

    Omets la Rousseur ­— sur l’arbre —

    Jouons à ceux-là — jamais n’adviennent ! » 1861

     

    Emily Dickinson

    Y aura-t-il pour de vrai un matin ?

    Traduit et présenté par Claire Malroux

    Domaine Romantique, José Corti, 2008

    https://www.jose-corti.fr/auteurs/dickinson.html

  • Henri Cole, « Deux poèmes »

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    DR

     

    « Anniversaire

     

    Quand j’étais enfant, c’était pour moi une punition

    que d’être enfermé dans une pièce. L’évident

    désintérêt de Dieu touchant les affaires du monde

    semblait impardonnable. Ce matin,

    grimpant les cinq étages jusqu’à mon appartement,

    je me rappelle la voix exaspérée de mon père,

    mêlée d’angoisse et d’amour. Comme toujours,

    la possibilité d’un foyer — au mieux d’un idéal —

    reste illusoire, alors je lis Platon, pour qui l’amour

    n’a pas subi de crevaison. Vautré sur le tapis,

    tel un ver de compost, je comprends des choses

    dont la connaissance empirique me manque.

    La porte est fermée à clef, mais je suis libre.

    Comme sur une carte obsolète, mes frontières bougent.

     

     

    Au loin

     

    Si je ferme les yeux, je te revois devant moi

    comme la lumière attire à elle la lumière. Debout

    dans le lac, je crée avec mes bras un tourbillon,

    laissant la force du repentir m’entraîner en son centre

    au point de ne plus pouvoir me raccrocher à mes perceptions

    ou à la conscience du moi, tels ces nuages de poussière

    et d’hydrogène tout excités de former de nouveaux astres

    pour éclairer l’arrière-cour. Si poignant est le cri du vide

    pour être comblé.

                      Mais, écrivant ces lignes, ma main est chaude.

    Le personnage que j’appelle Moi n’est plus lourd, lascif,

    mélancolique. C’est comme si les émotions n’avaient plus de chair.

    Éros ne déchire pas les ténèbres. C’est comme si j’étais

    redevenu un enfant observant la venue au monde de deux agneaux.

    Le monde vient juste de naître à la vie. »

     

    Henri Cole

    Le merle et le loup, suivi de Toucher

    Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claire Malroux

    Bilingue

    Le bruit du temps, 2015

    https://www.lebruitdutemps.fr/boutique/produit/le-merle-le-loup-suivi-de-toucher-37

  • Emily Dickinson, « Y aura-t-il pour de vrai un matin »

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    « Je n’oserais pas quitter mon ami,

    Parce que — parce que s’il venait à mourir

    Pendant mon absence — et que — trop tard —

    J’atteigne le Cœur qui me désirait —

     

    Si j’allais désappointer les yeux

    Qui fouillaient — fouillaient tant — du regard —

    Et ne pouvaient supporter de se clore

    Avant de m’“apercevoir” — de m’apercevoir —

     

    Si j’allais poignarder la foi patiente

    Si sûre de ma venue — de ma venue –

    Qu’écoutant — écoutant — il s’endormirait —

    En prononçant mon nom attendu —

     

    Mon Cœur souhaiterait s’être brisé plus tôt —

    Car se briser alors — se briser alors —

    Serait aussi vain que le soleil du lendemain —

    Là où étaient — les gels nocturnes ! » (1861)

     

    Emily Dickinson

    Y aura-t-il pour de vrai un matin

    Traduit et présenté par Claire Malroux

    Corti, 2008

  • Henri Cole, « Le merle, le loup suivi de Toucher »

    HenriCole.jpg

     chenin blanc

     

    « Hé, humain, mon cœur a mal »,

    proteste un corbeau, tandis que sur mon balcon

    je lis et bois du chenin blanc. Son copain

    goûte un rongeur flasque et semble

    vouloir dire quelque chose, levant un pied jaune

    agressif, une sorte d’homoncule :

    « Ce que tu désires, désire-le pour toi-même »,

    claque-t-il du bec, citant Rumi, franchement déçu,

    mais visionnaire en un sens, comme si son esprit de corbeau

    devinait mon Enfer personnel. Cependant, mes mains

    en me frottant le cou ont l’intensité

    de la caresse d’une mère, alors je lance,

    plaidant pour l’humain : « Parlons-en, corbeau,

    Dieu n’a-t-il pas fait la chair sensible à ça ? »

     

    &


    patchwork

     

    De petits sacs de tabac à chiquer en mousseline,

    teints à la maison en rose et jaune, assemblés en zigzag —

    un gai recyclage de tissus qu’on voit souvent dans le Sud —

    solidement cousus, une alternance de couleurs,

    comme, enroulée autour de moi, une feuille de température.

    Quelle est la température d’Henri, le mouton noir,

    arrivant sans crier gare avec un nouvel amant — alcoolique

    et impétueux —, provoquant dans le reste de la famille

    des accès de pitié, de ressentiment et de stupeur à demi

    admirative devant son toupet ? Navré d’avoir brisé

    le vase Ming et mis le feu à la barbe du Paternel.

    Je pourrais en fait être normal si l’imagination

    (instable, inquiétante, fragile) est le Père qui pénètre

    la Mère, et ceci mon poème-Enfant. »

     

    Henri Cole

    Le merle, le loup suivi de Toucher

    Traduit de l’anglais (États Unis) et présenté par Claire Malroux

    Le Bruit du temps, 2015

  • Claire Malroux, « Dits du cerf & de quelques biches »

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    L’apparition

     

    « En fermant les yeux  je l’ai aperçu         Il se tenait devant moi à distance et dans une attitude d’attente

    Sur les fougères des gouttes de rosée tremblaient dans un petit vent frais

    La lumière redorait le monde

    C’était, ce ne pouvait être que l’aube, nul autre moment du jour ni de la nuit pour notre rencontre

     

    Avant même le corps j’ai vu les bois s’avancer posément, non pas otter sur l’élément liquide,

    Mais marcher dans le ciel quoique fermement rattachés au sol

    Aérienne couronne, animal mi-arbre, arbre mi-animal, rêve ambulant

     

    Il était là     Je n’ai pas perçu le bond qui lui a permis de pénétrer dans l’enceinte de mon cerveau

    C’était un jour d’automne, période de brame

    Moi, roulant en autobus le long des grilles du jardin du Luxembourg

     

    Il venait de loin, de si loin, de plus loin que mes souvenirs, que tous mes ascendants

     

     

     

     

     

    Du temps où les idées et les mots, tout l’humain bagage à venir, n’étaient que nébuleuses sur la langue

     

    Occultée par son grand corps, la biche derrière lui, sa compagne »

     

     Claire Malroux 

    Dits du cerf & de quelques biches

    L’Escampette, 2014

  • Pour accompagner Audrey Rupp

    Notre amie Audrey Rupp vient de mourir.

    Nous avons travaillé ensemble pendant des années au Centre régional des lettres d’Aquitaine.

     Ce furent des moments qui comptent encore.

    Nous en avons partagé bien d’autres, ailleurs.

    Que mes pensées et celles des miens l’accompagnent ainsi que ses chers Fred et Marie.

     

     

    « Le premier Jour où je fus une Vie

    Je m’en souviens — Quel silence —

    Le dernier Jour où je fus une Vie

    Je m’en souviens — pareillement —

     

    Il fut plus silencieux — bien que le premier

    Fût silence —

    Il fut vide — tandis que le premier

    Était plein —

     

    Ce fut — mon ultime Occasion —

    Mais aussi

    Ma plus tendre Expérience

    Envers les Hommes —

     

    “Lequel je choisis ?” —

    Cela — je ne saurais dire —

    « Ce qu’Ils choisissent ?”

    Demande à la Mémoire ! »

     

     Emily Dickinson

     Cahier 40, poème 823

     Y aura-t-il pour de vrai un matin

     Traduit et présenté par Claire Malroux

    José Corti, 2008