dimanche, 01 novembre 2020
Yi Sang, « Plan à vol de corbeau »
« Poème n°12
Un ballot de linge sale s’envole dans les airs et retombe. C’est une volée de colombes. C’est une annonce de la fin de la guerre et de la venue de la paix, de l’autre côté du ciel grand comme une paume. La volée de colombes nettoie ses plumes encrassées. De ce côté du ciel grand comme une paume, une guerre sordide qui matraque à mort les colombes commence. Quand l’air est noir de suie, la volée de colombes s’envole encore une fois vers l’autre côté du ciel grand comme une paume.
Image de soi
Ce lieu est le masque mortuaire* d’un certain pays. La rumeur circule aussi que ce masque mortuaire a été dérobé. Cette barbe, herbe pubère à l’extrême nord, a perçu le désespoir et ne pousse plus. Au fond du piège où le ciel est tombé de toute éternité, le testament repose discrètement submergé comme une pierre tombale. Alors des gestes inaccoutumés passant à côté traduisent la gêne d’être sain et sauf. Solennel le contenu finit par se froisser.
* En anglais dans le texte, death mask
Fin
Une pomme est tombée. La Terre est souffrante au point de se briser. Fin.
Déjà plus aucune pensée ne germe. »
Yi Sang – 1910-1937
Plan à vol de corbeau, suivie de « Parole de l’auteur de Plan à vol de corbeau »
Traduit par Cori Smith & Jean-Yves Darsouze, avec la participation d’Olivier Gallon
La Barque, 2019
https://labarque.fr/librairie/livres/auteurs/yi-sang/plan-a-vol-de-corbeau/
J'ai découvert Yi Sang par les bons soins de la William Blake & Cie en 2003, lorsque Bona Kim y publia sa traduction de Cinquante poèmes suivi de Les ailes. Cette publication n'est pas rien qui, 66 ans après la mort de l'auteur à Tokyo — quelle ironie pour lui qui ne connut son pays que sous l'envahisseur japonais et passa outre l'interdit d'écrire dans sa langue natale, à partir de juillet 1933 —, faisait ainsi connaître un travail pour le moins original et décalé. Yi Sang est un mythe en Corée. Il serait temps que l'on se penche sur ses livres (aux Petits matins, chez Zulma, chez Imago) et en particulier celui-ci qui s'inscrit au cœur d'une œuvre résolument liée à la vie, comme le fait fort justement remarquer Olivier Gallon, son nouvel éditeur français.
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mercredi, 01 juillet 2020
Guiseppe Bonaviri, « Harmonie »
« Si – depuis le Timée de Platon jusqu’à saint Augustin et de ces derniers jusqu’à Kant et Newton – l’idée du temps nous conduit tout au long des siècles, au sentiment projectuel (progettuale) de Heiddeger, aux relations des mouvements et aux variations électromagnétiques d’un champ, selon Einstein, elle demeure pour moi liée à la mémoire d’un temps immobile et sphérique dont me parlait mon père. Tailleur dans la Grand’rue de Mineo, lorsqu’il était jeune, homme des plus timides, silencieux, plutôt sombre même si prompt à des colères soudaines.
Lorsque nous regardions depuis le haut plateau de Camuti, où mêlé au blé le vent brillait, explosait ; me montrant face à nous, par-delà la vallée de Fiumecaldo, notre village qui s’arrondissait sur la montagne en splendeur, il me disait : “Entends, Pippino, Mineo se dresse devant nous avec ses artisans affairés, ses femmes vaquant à leurs tâches quotidiennes, sans jamais s’interrompre ; et, en contrebas, dans les vallées, dans les jointures des cimes dédoublées, et sur les hauteurs, travaillent les paysans ; ou, encore, parmi les maquis et les sommets dépourvus d’arbres, les chèvres cherchent leur nourriture. Si en esprit tu assembles le tout à l’aide de fils, de soie, par exemple, et le couds, comme je le fais d’un costume, dans la même aiguillée, tu emmêles artisans, femmes, paysans, animaux et arbrisseaux. Autrement dit, tu obtiens un temps rond, parfait, qui en chacun de ses points vibre circulairement d’harmonie.”
Enfant, et jeune homme, mon père avait écrit des poèmes que j’ai rassemblés, du moins ceux que j’ai pu retrouver, dans une plaquette intitulée L’Arcano (Ed. Bibò. Fr). D’après ce volume, j’en cite quelques vers qui reflètent l’intuition esquissée ci-dessus d’un temps sphérique syncrétique par une animisme et une pensée magique : “Entendez, c’est un chant suave / d’enfants qui dans la journée / fragrante, monte par enchantement / à travers l’air parfumé. / C’est un chant joyeux / qui s’égare à travers champs / dans l’air voltigeant / se cherche, se trouve, se dissipe.” (Le 20 octobre 1919, lorsqu’il écrivait ces vers, mon père avait dix-sept ans). Certes, tandis qu’à cette époque les femmes de Mineo tissaient du lin, ou appelaient des centaines de poules et de coqs dispersés le long des pentes, avec des cris comme “kikkì, kikkì”, ou encore “pouripò, pouripò”, dans ce temps omniprésent où, parce que contemporains, tous les êtres non séparés par la mort, étaient vivants, il fallait qu’Achille aille combattre à Troie, tandis que vers le royaume de Cambaluc1, transportant de l’encens, des épices, des dattes et des vêtements d’or, marchaient des chameaux, des marchands.
Harmonie
Les fourmis contournaient une ronde aire
de battage où en deux mille rotations l’âne
suivait le lent paysan chanteur,
sur l’olivier joyeuse était la pie.
Toute blanche, dans l’été de paresse,
parmi sauterelles et grillons,
à travers des guirlandes d’épis,
et des grottes gonflés de racines,
s’avançait la déesse Cérès.
Le chevrier jouait de la cornemuse, qui, ivre,
reparcourait le cristal de roche et les raidillons,
les aiguilles des tailleurs résonnaient
d’ardeur, dans les abysses le poisson dormait.
Sur les tuiles brisées, de cramoisi et de fils d’or,
le maçon coiffait les gouttières ;
auprès du torrent Xanthos à la grève rouge,
Achille somnolait sous la forteresse de Troie.
Un coq chanta vers le noble royaume de Cambaluc,
le potier pétrissait des argiles jaunes selon les règles
de l’art, depuis un noyer, d’une voix mélodieuse,
le pic recrachait des pièces d’argent. »
1. Cambaluc, est le nom donné par Marco Polo, à la capitale de l'empereur mongol Kubilai Khan, et correspondant à la ville de Pékin
Guiseppe Bonaviri
Les Commencements — 1983
Traduction de l’italien, postface & annotations de Philippe Di Meo
La Barque, 2018
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vendredi, 10 avril 2020
Sergueï Essénine, « Je suis toujours le même »
« Je suis toujours le même.
J’ai toujours le même cœur.
Tels des bleuets dans le seigle,
Mes yeux fleurissent sur mon visage.
Déployant la belle nappe de mes vers,
Je veux vous dire quelque chose de doux.
Bonne nuit !
Bonne nuit à tous !
Dans l’herbe du crépuscule,
La faux s’est tue.
Aujourd’hui j’ai très envie
À ma fenêtre de pisser sur la lune.
C’est une telle lumière bleue !
Dans ce bleu même on mourrait sans peine.
Tant pis si je ressemble à un cynique,
Une lanterne accrochée au derrière !
Vieux et bon Pégase fourbu,
Ai-je besoin de ton trot mollasson ?
Je suis venu comme un maître sévère,
Chanter et glorifier les rats.
Ma caboche est comme l’août,
Elle répand le vin écumeux de mes cheveux.
Je veux être une voile jaune
Dans ce pays où nous voguons. »
Novembre 1920
Sergueï Essénine
Poèmes 1910-1925
Bilingue
Traduction du russe et postface de Christian Mouze
Avant-propos : Mots pour Sergueï Essènine (Poèmes) par Olivier Gallon
La Barque, 2015
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jeudi, 19 décembre 2019
Carl Rakosi, « Le vieil homme »
DR
« D’abord les poils
poussèrent plus épais sur la poitrine
et le ventre
et les cheveux plus fins au sommet
de son crâne.
Puis le gris apparut
le long du côté droit
de sa poitrine.
Un jour il regarda
dans le miroir
et vit des poils épais
et gris dans ses narines.
Alors il voulut
admettre
que l’âge était venu.
Le vieil homme
retira son dentier
du verre d’eau
et coupa lui-même
une petite saucisse.
Jeune homme
il avait été si pressé
de vieillir.
Maintenant, il se sentait plus jeune
que jamais. »
Carl Rakosi
Amulette
Traduit de l’américain par Philippe Blanchon en compagnie d’Olivier Gallon
Suivi d’un entretien avec l’auteur
La Barque, 2018
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Carl Rakosi, « Le vieil homme »
DR
« D’abord les poils
poussèrent plus épais sur la poitrine
et le ventre
et les cheveux plus fins au sommet
de son crâne.
Puis le gris apparut
le long du côté droit
de sa poitrine.
Un jour il regarda
dans le miroir
et vit des poils épais
et gris dans ses narines.
Alors il voulut
admettre
que l’âge était venu.
Le vieil homme
retira son dentier
du verre d’eau
et coupa lui-même
une petite saucisse.
Jeune homme
il avait été si pressé
de vieillir.
Maintenant, il se sentait plus jeune
que jamais. »
Carl Rakosi
Amulette
Traduit de l’américain par Philippe Blanchon en compagnie d’Olivier Gallon
Suivi d’un entretien avec l’auteur
La Barque, 2018
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vendredi, 13 décembre 2019
Tonino Guerra, « vendredi 13 décembre 1996 »
« Il y a toujours une journée, dans la vie d’un homme, pour recueillir la beauté du monde. Et même si l’on vit mille ans, ce n’est que la répétition de cette rencontre inattendue. Il y a des papillons qui vivent un seul jour, et ce jour-là contient les fulgurations exquises de tous les désirs. »
Tonino Guerra
Il pleut sur le déluge
Traduit de l’italien par Sophie Royère
La Barque, 2018
https://www.labarque.fr/livres27-tonino-guerra-il-pleut-sur-le-deluge.html
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mardi, 22 mai 2018
Carl Rakosi, « Amulette »
DR
« La déclaration de Pierrot
Je vais répudier ma pureté maintenant
et trouverai mon art en d’autres hommes
avant de finir comme une chandelle
dans la chambre d’une vieille fille.
J’en ai assez d’user mon siège
à regretter de n’être pas Shakespeare
et à essayer de faire que ma lecture
s’approche d’un âge comme le souvenir
du visage d’une mère, en restituant faiblement
ici une dent et là un sourire
ou en pinçant un luth
et en chantant un madrigal
Ce n’est pas le moment
de se pencher sur le passé. »
Carl Rakosi
Amulette
Traduction de l’américain : Philippe Blanchon en compagnie d’Olivier Gallon
Suivi d’un entretien avec Carl Rakosi
La Barque, 2018
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samedi, 17 février 2018
Idea Vilariño, « Ultime anthologie »
DR
« La nuit
La nuit ce n’était pas le rêve
c’était sa bouche
c’était son beau corps dépouillé
de ses gestes inutiles
c’était son visage pâle me regardant dans l’ombre.
La nuit c’était sa bouche
sa force et sa passion
c’était ses yeux graves
ces pierres d’ombre
qui roulaient dans mes yeux
c’était son amour en moi
une invasion si lente
si mystérieuse
* * *
Tu sais
Tu sais
tu as dit
jamais
jamais je n’ai été heureux comme cette nuit.
Jamais. Et tu me l’as dit
à l’instant même
où je décidais moi de ne pas te dire
tu sais
je me trompe sûrement
mais je crois
mais il me semble que c’est
la plus belle nuit de ma vie.
* * *
Chanson
Je voudrais mourir
tout de suite
d’amour
pour que tu saches
comment et combien je t’aimais.
Je voudrais mourir
je voudrais
d’amour
pour que tu saches. »
Idea Vilariño
Ultime anthologie
bilingue
Traduiction de l’espagnol (Uruguay) et postface par Éric Sarner
Avant propos / Mots pour Ultime anthologie par Olivier Gallon
La Barque, 2017
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mercredi, 01 novembre 2017
Ayukawa Nobuo, « Poèmes 1945-1955 »
DR
« L’homme qui marche
La falaise s’effondre
Par moments sur la pente les herbes sèches frémissent
Un peu partout dans le vaste panorama
Par moments les fils électriques stridulent
Debout aux confins de cette ville-là
Allez savoir pourquoi tirer sur une simple cigarette est si bon
Ce n’est qu’un chemin désolé qui se déroule
Sous la lune diurne
Parfois il arrive qu’un homme
Venant de loin vers ici se rapproche
Ce n’est rien de plus que cela
Qui fait croire que l’automne du monde se fera plus intense
Seul l’homme qui marche sur ce chemin de solitude assurément
Connaît les frissons nobles et froids
Tout passe
Mais dans ce bref instant où en silence tu le croiseras
Quelle beauté inouïe tu découvriras
Sur le front rendu blême par la tristesse
De l’homme vêtu des habits noirs du deuil
Par exemple tu pourrais surprendre un remous de petites boucles de cheveux ! »
Abukawa Nobuo
Poèmes 1945-1955
Traduction de Karine Marcelle Arneodo
Postface de Karine Marcelle Arneodo & Olivier Gallon
La Barque, 2017
12:13 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : abukawa nobuo, poèmes 1845-1955, karine marcelle arneodo, olivier gallon, la barque
samedi, 10 juin 2017
Karine Marcelle Arneodo, « L’Entre-terre »
© : Paolo Panzera
« La chambre avait deux fenêtres qui se touchaient dans l’encoignure. Je le retrouvais tel qu’il se présenta au sortir de la forêt, le regard effaré, il portait sur la tête un chapeau de feutre jaune tout esquinté. Je compris qu’il avait plu le temps de son voyage et rapprochai les distances, mais n’eus pas le courage de demander, d’où il venait, tant sa fébrilité me faisait peur.
Je ne sais qui de nous deux parla d’abord. Il me souvient qu’il se trouvait dans ce discours des bribes d’histoires vécues sans trop de chance. De son corps s’affaissant dans des vêtements de sable émanaient des relents d’ammoniaque qui tuaient la passion d’être en vie. Il parlait de son sexe et disait qu’il fallait que je suce. Je pressentais qu’une douleur inavouable se cherchait un terroir.
Parce qu’on voulait ouvrir la porte et dérober le grain, j’allais dans l’encoignure des fenêtres renforcer la digue. Quand je me retournais, il était allongé sur le lit au milieu des essences et de la verdure avec ses cheveux noirs tout raides à ses côtés. Il était nu, et sur sa peau des tatouages amérindiens figuraient la voûte étoilée du ciel. Mes yeux se posèrent naturellement sur la chose, et c’est alors que je vis, en place de son sexe, une inoffensive fente imberbe. »
Karine Marcelle Arneodo
L’Entre-terre suivi de Le moins possible ou le suffisamment
Postface Olivier Gallon
La Barque, 2017
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mercredi, 17 mai 2017
Ossip Mandelstam, « Le Timbre égyptien »
© Moïsseï Nappelbaum, 1927
« Les livres fondent comme des glaçons apportés dans la chambre. Tout se réduit. Toute chose me semble un livre. La différence entre un livre et un objet ? Je ne connais pas la vie : elle m’a été substituée quand j’ai appris le craquement de l’arsenic sous les dents de l’amoureuse française à chevelure noire, la petite sœur de notre orgueilleuse Anna.
Tout se réduit. Tout fond. Et Goethe fond. Nos délais sont courts. Figée dans son fourreau glacial, la poignée glissante d’une épée exsangue et fragile refroidit la paume.
Mais la pensée, telle l’acier tortionnaire des patins Nourmis, glissant autrefois sur la glace bleue et saupoudrée, la pensée, elle, n’est pas émoussée.
Ainsi les patins, fixés aux bottines informes des enfants, se confondent avec des sabots américains à lacets : ce sont des lancettes de fraîcheur et de jeunesse, et les vieilles chaussures entraînant leur joyeux poids se métamorphosent en splendides restes d’écailles de dragons sans nom ni prix.
C’est toujours plus difficile de feuilleter les pages d’un livre gelé, relié en forme de hache à la lueur d’une lampe à pétrole.
Vous, réserves de bois – noires bibliothèques de la ville – nous lirons encore, nous regarderons encore.
Quelque part sur la Podiatcheskaïa se trouvait cette célèbre bibliothèque d’où, par paquets, on emportait vers les datchas des petits volumes bruns d’auteurs russes et étrangers, aux pages de soie usée et contagieuses. Des laiderons choisissaient les livres sur les étagères. À l’un – Bourget ; à un autre – Georges Ohnet ; à un autre encore – quelque chose du saint-frusquin littéraire.
En face, il y avait un corps de pompiers aux portes hermétiquement closes et une cloche sous son chapeau de champignon.
Certaines pages avaient une transparence de pelure d’oignon.
Elles portaient la rougeole, la scarlatine, la petite vérole.
Sur le dos de ces livres de villégiature, sans cesse oubliés sur la plage, s’éternisaient les pellicules dorées du sable marin : tu secouais, elles réapparaissaient toujours.
Parfois il en tombait le minuscule sapin gothique d’une fougère aplatie et fanée, parfois une fleur nordique sans nom, transformée en momie.
Incendies et livres – c’est très bien.
Nous regarderons encore et nous lirons. »
Ossip Mandelstam
Le Timbre égyptien (1927)
Traduit du russe par Christian Mouze
Pré-texte d’Olivier Gallon
Postface d’Odile des Fontenelles
La Barque, 2017
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mercredi, 04 janvier 2017
Tarjei Vesaas, « L’incendie »
DR
« Puis, ce fut la rosée du soir qui tomba.
Celui qui avait été brûlé par Dieu sait quel incendie et cherchait un refuge vers un cours d’eau rafraîchissant, se trouvait, avant même d’être parvenu jusque-là, pris dans cette rosée qui tombait. Atteint à chaque endroit dégagé. Avant chacun des pas qu’il faisait dans l’herbe penchée.
Personne ne voit quand ça commence. Maintenant, c’était partout. L’herbe sauvage des clairières s’ouvre à la tombée de la rosée qui arrive comme pour rafraîchir de petites soifs. Le ciel ouvert et limpide, le sol caché tout en bas se rencontrent aux clairières de la forêt et dans les terrains… cela fait une rosée gris perle dans l’herbe sombre. L’obscurité est trop dense pour qu’on le voie, mais on le sait. On reste immobile et on le sent. On a de la rosée sur les épaules, sur les cheveux.
Sorti tout droit de l’incendie pour pénétrer dans cela.
Qu’est-ce qui est vrai ?
Ou presque vrai ?
Jon enfonce ses mains ouvertes dans le feuillage des buissons qu’il sentait près de lui. Ruisselants de rosée, elle était tombée comme il faut cette nuit-là. »
Tarjei Vesaas
L’incendie
Traduit du nynorsk (néo-norvégien) par Régis Boyen
Postface d’Olivier Gallon
La Barque/L’œil d’or, 2012 (1ère éd. Flammarion, 1979)
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