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  • Nicolas Pesquès, « La face nord du Juliau »

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    DR

     

    « Le 1er août

     

    Ceux qui peignent, écrivent, sculptent etc. se présentent côte à côte, devant le monde. Ils sont les constructeurs d’un chassé-croisé, d’un ombrage pluriel. Ils procèdent par trouées et hybridations. Ils dressent des murs jaunes, des phrases. Ça prend forme. Ça meurt. Ça.

     

    Ce qui les rapproche : la constance de l’action, la sécession. Les profondes dérivations de chaque geste, de chaque pas. Greffe et marcotage. Bientôt les frondaisons et l’ombre de chacun. Bientôt les disparus qui ne se ressemblent plus. La dissidence des corps, l’intrigue des généalogies.

     

    Les fonctions sont nombreuses : tropes, images, souvenirs, afflux de toute espèce.

    Dans l’affolante émulsion de tout ce que l’on voit.

     

    Peindre ce qui ne se voit pas : l’air, la lumière, les peindre sans que ça se voie.

    Peut-on remplacer peindre par dire ? »

     

    Nicolas Pesquès

    La face nord du Juliau – treize à seize

    Poésie/Flammarion, 2016

  • Sandra Moussempès, « Sunny girls »

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    © Didier Pruvot

     

    « Cela faisait trois nuits que je faisais le même cauchemar, maintenant même les poètes français parlent de forêts, je sais que c’est l’arbre qui cache la forêt que ce poème ne parlera pas de mes trois cauchemars, on ne parle pas de qui a détruit un sommeil paisible, parfois j’aime aussi lire des poètes qui n’ont rien à subir, rien à éprouver, rien à rejeter, leurs mots se détachent sur la neutralité comme une actrice se doit d’être transparente, une blancheur de la construction qui ne cache rien d’inquiétant on sait seulement qu’on est dans le sixième arrondissement, dans un appartement immense et blanc et que quelques personnes semblent se connaître. »

     

     Sandra Moussempès

    Sunny girls

    Poésie/Flammarion, 2015

  • Chantal Dupuy-Dunier, « Éphéméride »

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    « (18 mars)

    Ce sont les matins qui importent,

    la timidité rougissante des matins,

    cet instant précis

    où un rayon glisse un regard indiscret

    à l’intérieur de notre chambre,

    cet instant précis

    où nous pouvons encore inspirer le jour.

     

    (19 mars)

    Le jardin s’impatiente.

    À Encreux,

    il est encore trop tôt

           pour travailler la terre.

    Toi aussi, tu t’impatientes.

    Et les outils s’impatientent.

    Tu coupes un arbre mort

    pour dépenser ta sève.

     

    (20 mars)

    Cet hiver encore,

    les murs bombés

    ont accouché de pierres

    qui gisent en travers des chemins,

    mortes nées,

    ridées par le gel.

     

    (21 mars)

    Gestes migratoires de l’homme.

    Parfois un seul pas,

    mais le lieu vers lequel

    progresse le pas

    transforme ce déplacement

    en haut vol.

     

    (22 mars)

    Combien de temps durera l’aube ?

    Combien

    avant que ne s’esquisse

    une déchirure dans le brouillard,

    un partage entre ceux du radeau

    qui ne soit pas celui de la viande et des crocs ?

    Avant que les bouches soient décousues, les langues greffées ?

     

    (23 mars)

    Nous marchons

    sur la mer friable des pierriers,

    houle brisée.

    Témoin transmis

    par la main de la neige,

    le soleil blanc

    retrouvé ce midi

    en même temps qu’un ballet d’élytres. »

     

    Chantal Dupuy-Dunier

    Éphéméride

    Poésie/Flammarion, 2009

  • Chantal Dupuy-Dunier, « Mille grues de papier »

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    173

     

    Avec un fragment de soleil,

    l’enfant aurait plié une grue

    qui en aurait valu plus de cent.

     

    Origami incandescent

    de nature à s’opposer au rayonnement de la bombe ?

     

     187

     

    Sadako plie une grue

    dans l’aile diaphane d’un oiseau mort.

     

    Un peu de poudre sur les doigts.

     

    287

     

    Dans une larme,

    Sadako plie une grue aux ailes liquides.

    Dans la courbure d’une larme

    sa vie s’infléchit.

    Des globules blancs prolifèrent au ciel

    aux côtés des étoiles.

     

     

    506

     

    J’avais l’âge de Sadako,

    je vénérais Thérèse et ses roses,

    voulais devenir carmélite.

    Il ne demeure rien de ma folie d’enfermement.

    Cependant j’ai conservé

    comme un fétiche amérindien,

    une statuette de ma sainte.

    Dans chaque église visitée, c’est elle que je cherche.

    Tant de grandeur dans cette petite vie,

    si vite éteinte, tels les cierges sur le présentoir.

     

    Dans une goutte de cire

    tombée sur le fer forgé,

    Sadako plie une grue.

     

    635

     

    Il pleut des grues d’origami

    sur la couverture en coton d’un lit d’hôpital,

    au long des couloirs blancs,

    dans les paumes ouvertes du visiteur.

     

    Il pleut de vrais oiseaux dans les rêves.

     

    Dans les rêves,

    on parviendrait à compter jusqu’à mille,

    à aller jusqu’au bout du voyage ?

    Dans les rêves, on pourrait…

     

    Chantal Dupuy-Dunier

     Mille grues de papier

     Poésie / Flammarion, 2013

  • Cécile Mainardi, « Rose activité mortelle »

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    « Connaître un texte par cœur, c’est faire l’expérience absolue et intégrale de sa prononçabilité. J’aimerais savoir écrire un texte que je connaîtrais immédiatement par cœur au moment où je l’écris. J’aimerais écrire un texte absolument et intégralement prononçable, et du coup forcément en avance sur le laps de temps qu’on passerait à le retenir. Un texte qui prédirait les choses l’espace de cette légère anticipation au lieu de simplement les dire. Toute la poésie versifiée n’inscrit-elle pas sa prononçabilité au cœur de ses vers, avant que de prédisposer son lecteur à les retenir. Un texte comme Baudelaire savait en écrire : tu te rappelleras la beauté des caresses, la douceur du foyer et le charme des soirs, prédisant aussi dans le souvenir de ces instants leur immédiat enregistrement en vers sonores. Et peut-être ne les écrivait-il que pour leur épanouissement à l’état prononcé dans le présent. Oui, peut-être en profitait-il pour se faire disparaître ou léviter dans le temps alors qu’aussitôt écrits, il les relisait pour en tester l’immatérielle portance. Et ça pouvait être debout dans son salon, ou allongé tard dans la nuit contre le corps de sa maîtresse. »

     

     Cécile Mainardi

     Rose activité mortelle

     Poésie/Flammarion, 2012