dimanche, 20 janvier 2008
Le 20 janvier
Lenz
Georg Büchner
Traduction d’Henri-Alexis Baatsch
10/18, 1975, repris Christian Bourgois, 1985
Lire également : le 20 janvier de Jean-Christophe Bailly, Christian Bourgois, 1980*

Les premières lignes du Lenz de Büchner :
Il faisait un froid humide, l’eau ruisselait des rochers, sautait sur le chemin. Les branches des sapins pendaient lourdement dans l’air saturé d’eau. Des nuages gris passaient dans le ciel, mais tout était si opaque, et puis le brouillard montait, accrochant aux buissons sa lourde humidité, si paresseux, si gauche.
Il poursuivait sa route avec indifférence, peu lui importait le chemin, tantôt montant, tantôt descendant. Il n’éprouvait pas de fatigue, mais seulement il lui était désagréable parfois de ne pas pouvoir marcher sur la tête.
Au début, il se sentait oppressé, lorsque les pierres se mettaient à rouler, lorsque la forêt grise s’agitait à ses pieds et que le brouillard tantôt engloutissait toutes les formes, tantôt découvrait à demi ces membres gigantesques ; il se sentait le cœur serré, il cherchait quelque chose comme des rêves perdus mais il ne trouvait rien. Tout lui paraissait si petit, si proche, si mouillé, il aurait aimé mettre la terre derrière le poète, il ne comprenait pas comment il lui fallait tant de temps pour dévaler une pente et atteindre un point éloigné ; il pensait devoir tout enjamber en quelques pas. Parfois seulement, lorsque la tourmente rejetait les nuages dans les vallées et que leur vapeur remontait le long de la forêt ; lorsque dans les rochers des voix se faisaient entendre, tantôt pareilles au grondement du tonnerre au loin, tantôt déchaînant tout près leurs mugissements puissants avec des accents tels qu’elles semblaient vouloir dans leur sauvage allégresse chanter la Terre ; lorsque les nuages s’approchaient en bondissant comme des chevaux effarouchés qui hennissent et qu’alors le soleil surgissait, traversant la nuée pour tirer sur la neige son épée étincelante, si bien qu’une lumière aveuglante, des sommets aux vallées, tranchait l’espace et l’illuminait ; ou bien lorsque la tempête écartait les nuages et y déchirait un lac d’un bleu limpide, que le vent se taisait, et que du fond des ravins et du faîte des sapins montait comme une berceuse ou un carillon ; lorsque qu’une légère lueur rouge se glissait sur le bleu profond et que les petits nuages passaient sur des ailes d’argent et que bien loin sur tout le paysage les sommets se détachaient étincelants et fermes – il sentait sa poitrine se déchirer, il se tenait haletant, le buste plié en avant, bouche bée, les yeux exorbités. Il lui semblait qu’il dût laisser pénétrer l’orage en lui et accueillir toutes choses, il s’étirait et s’étendait par dessus la terre, il s’enfonçait dans l’univers ; cette volupté lui faisait mal ; ou bien il s’arrêtait, posait la tête dans la mousse et fermait à demi les yeux ; les choses alors se retiraient de lui, la terre cédait sous son corps, devenait petite comme une planète errante puis plongeait dans le grondement d’un torrent dont les flots passaient à ses pieds…"

15:20 Publié dans Manifestations | Lien permanent
samedi, 19 janvier 2008
Appel pour le livre
Internet, le livre et la circulation des idées
Appel pour le livre
Lekti lance une pétition à laquelle j'adhère résolument. Je ne puis que vous inciter à la signer pour que ce qui nous réunit le mieux, le livre, soit toujours et encore un lieu d'amitié, de folie, de résistance et pas seulement un produit commercial.
Vous pouvez signer le texte de la lettre ouverte présentée ci-dessous.
http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/Appel-pour-le-li...Internet est une chance formidable pour le livre : ce médium permet à l’ensemble des lecteurs de percevoir une production qui était jusque-là, parfois, difficile d’accès. Internet permet de découvrir de nouveaux auteurs, de nouveaux textes, de nouveaux éditeurs, et d’enrichir considérablement l’accès à la culture pour tous.
Pour autant, depuis moins d’un an, la mise en place d’un vaste monopole sur la vente en ligne de livres sur l’Internet, avec Amazon.fr, menace de manière profonde la diversité culturelle que nous sommes en mesure d’attendre de l’Internet. La politique commerciale très agressive de ce groupe, qui demande des marges commerciales extrêmement élevées aux plus petits éditeurs, les fragilisant de manière excessive, afin de financer leur politique de frais de port offerts, menace de manière profonde la promesse d’une plus grande accessibilité au livre pour tous, sur l’Internet.
Amazon exclut désormais, de manière systématique, la présentation de livres dont les éditeurs refusent de se soumettre à leurs conditions commerciales. La politique des frais de port offerts par Amazon est rendue possible par la demande de surremises aux éditeurs, non par une plus grande efficacité économique, contrairement à ce qu’il est souvent affirmé. La gratuité des frais de port est une illusion, puisque ce dispositif est « financé » par les éditeurs, à qui il est demandé une remise plus importante.
Amazon.fr a été condamné en décembre 2007 pour le non-respect de la loi Lang, autrement appelée Loi sur le prix unique du livre, une loi considérée comme « la première loi de développement durable », qui garantit un prix de vente des livres souvent inférieur à celui pratiqué dans des pays qui ne disposent pas d’un tel dispositif, et permet à l’ensemble des acteurs du livre de recevoir une juste rétribution.
Amazon a décidé de ne pas respecter le jugement, de manière volontaire, et de stigmatiser de manière très violente, à travers un forum et une pétition, les librairies françaises. Contrairement à ce qu’il est parfois affirmé, les gens du livre, notamment les libraires, n’ont pas peur de la révolution numérique. Ils ont simplement besoin que soient respectés les principes essentiels liés au commerce du livre, qui sont ceux d’une concurrence saine basée sur le savoir-faire de chacun d’entre eux, afin d’assurer à tous un plus grand accès à la culture.
Nous, simples lecteurs comme professionnels, demandons donc aux hommes politiques de réagir, et de renforcer les dispositions de la loi sur le prix unique du livre et de l’adapter à l’univers du numérique, afin qu’elle ne soit plus contournée de manière systématique par les grands sites Internet de vente en ligne dont certains, placés en situation d’abus de position dominante, concourent de manière importante à fragiliser le socle sur lequel peuvent s’appuyer les auteurs, pour diffuser la création et les idées.
Nous demandons également aux pouvoirs publics de faire respecter une décision de justice qui vient justement de condamner un site Internet de vente de livres.
14:35 Publié dans Livre | Lien permanent
samedi, 12 janvier 2008
L'Île Saint-Pierre

Tout est dans un flux continuel sur la terre. Rien n’y garde une forme constante et arrêtée, et nos affections qui s’attachent aux choses extérieures passent et changent nécessairement comme elles. Toujours en avant ou en arrière de nous, elles rappellent le passé qui n’est plus ou préviennent l’avenir qui souvent ne doit point être : il n’y a rien là de solide à quoi le cœur se puisse attacher. Aussi n’a-t-on guère ici bas que du plaisir qui passe ; pour le bonheur qui dure je doute qu’il y soit connu. À peine est-il dans nos plus vives jouissances un instant où le cœur puisse véritablement nous dire : Je voudrais que cet instant durât toujours ; et comment peut-on appeler bonheur un état fugitif qui nous laisse encore le cœur inquiet et vide, qui nous fait regretter quelque chose avant, ou désirer encore quelque chose après ?
Mais s’il est un état où l’âme trouve une assiette assez solide pour s’y reposer tout entière et rassembler là tout son être, sans avoir besoin de rappeler le passé ni d’enjamber sur l’avenir ; où le temps ne soit rien pour elle, où le présent dure toujours sans néanmoins marquer sa durée et sans aucune trace de succession, sans aucun autre sentiment de privation ni de jouissance, de plaisir ni de peine, de désir ni de crainte que celui seul de notre existence, et que ce sentiment seul puisse la remplir tout entière ; tant que cet état dure celui qui s’y trouve peut s’appeler heureux, non d’un bonheur imparfait, pauvre et relatif, tel que celui qu’on trouve dans les plaisirs de la vie mais d’un bonheur suffisant, parfait et plein, qui ne laisse dans l’âme aucun vide qu’elle sente le besoin de remplir. Tel est l’état où je me suis trouvé souvent à l’île de Saint-Pierre dans mes rêveries solitaires, soit couché dans mon bateau que je laissais dériver au gré de l’eau, soit assis sur les rives du lac agité, soit ailleurs, au bord d’une belle rivière ou d’un ruisseau murmurant sur le gravier.
De quoi jouit-on dans une pareille situation ? De rien d’extérieur à soi, de rien sinon de soi-même et de sa propre existence, tant que cet état dure on se suffit à soi-même comme Dieu. Le sentiment de l’existence dépouillé de toute autre affection est par lui-même un sentiment précieux de contentement et de paix, qui suffirait seul pour rendre cette existence chère et douce à qui saurait écarter de soi toutes les impressions sensuelles et terrestres qui viennent sans cesse nous en distraire et en troubler ici-bas la douceur. Mais la plupart des hommes agités de passions continuelles connaissent peu cet état, et ne l’ayant goûté qu’imparfaitement durant peu d’instants n’en conservent qu’une idée obscure et confuse qui ne leur en fait pas sentir le charme. Il ne serait pas même bon, dans la présente constitution des choses, qu’avides de ces douces extases ils s’y dégoûtassent de la vie active dont leurs besoins toujours renaissants leur prescrivent le devoir. Mais un infortuné qu’on a retranché de la société humaine et qui ne peut plus rien faire ici-bas d’utile et de bon pour autrui ni pour soi, peut trouver dans cet état à toutes les félicités humaines des dédommagements que la fortune et les hommes ne lui sauraient ôter."
extraits de la Cinquième promenade
19:30 Publié dans Écrivains | Lien permanent
samedi, 05 janvier 2008
2∞8
19:45 | Lien permanent