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  • Claude Louis-Combet

    dvmyzuwa.gif« L’Abbé disait quelquefois que les ténèbres extérieures dont parle l’Écriture ne sont pas autre chose que les ténèbres intérieures et que la chute n’a jamais eu lieu hors de soi mais toujours en soi-même. Cette pensée me revient aujourd’hui tandis que je m’efforce de retrouver les sensations passées sans vouloir – car c’était bien ainsi que je les éprouvais – les dissocier du sens qu’elles révélaient. Mais alors, assurément, penché à mi-corps et proie du vide, je ne pensais pas, j’existais hors de tout pouvoir de parole, eût-elle été la plus intérieure. Les mots, fussent-ils nés de mon obscurité, ne m’atteignaient plus parce qu’il n’y avait plus de mots.

    Aujourd’hui, et bien loin de toute cette aventure, j’en suis encore à me demander si cette absence de toute formulation – dans l’impossibilité où je me trouvais, entré dans le vide, de concevoir une pensée – était, en vérité, conquête ou défaite et si le Désert s’étendait, alors, comme la simple place des choses, hors de moi, ou n’était que la forme de mon esprit. En ce temps là, et comme avant et comme aujourd’hui, je me saisissais mal et n’avais aucun pouvoir d’analyse ni sur les situations, ni sur les événements, ni sur les êtres, ni sur moi-même. Je portais en moi comme un principe de confusion qui estompait les contours et multipliait les interférences à tel point que, sur la carte grattée de mon histoire, je perdais le sens des genres et des nombres, des règles et des exceptions et que, pour tout dire, je ne distinguais pas grand-chose en dehors de ma propre stupeur. Ainsi je me disais que, en mon absence (dans mon sommeil, par exemple), les choses alentour devaient être, selon toute vraisemblance, parfaitement claires. Je me figurais même qu’elles devaient exister avec une certaine joie et un certain dynamisme et que c’était seulement ma présence qui les alourdissait et les alentissait et faisait d’elles une masse confuse, à la fois dérisoire et écrasante, de réalités hors de raison et d’incertaine identité. Dès que j’ouvrais les yeux et, du coup, entrais dans le monde, l’indétermination régnait. Les lectures (du réel) s’enchevêtraient. Dès lors, toute assurance (sur le réel) me devenait impossible. J’avais beau  m’efforcer de m’accrocher aux mots pour adhérer à leur sens le plus obvie, je me rendais compte, rapidement, que c’était une tension inutile et je renonçais à toute tentative d’emprise verbale pour coïncider uniquement avec l’absence, avec le vide, avec le rien. »

    Claude Louis-Combet

    Marinus et Marina

    Flammarion, coll. Textes dirigée par Bernard Noël, 1979

    Rééd. José Corti, 2003

  • Laure

    Petit carnet rouge (extraits)2973907947_ff2f2dbff1.jpg



    Vendredi 6 mai 1938


    Et à la fin cela revenait à écouter avec des airs de disciples fervents des histoires de propriétaires ou de cuisine ou de femmes de ménage.

    Abaissement abjection, quitter leurs préoccupations, leurs mesquineries, leurs petits buts, leurs vues courtes, leur terre à terre immédiat et suivre ta voie [        ] la tienne, celle d’aucun « autre » être humain. Connais-tu une destinée semblable à la tienne ? NON. Moi seule ai vu et vois comme on peut voir : absolument et de si loin –


    Lundi 9 mai


    Se faire rare manquer un rendez-vous et s’arranger pour le revoir le surlendemain seulement en présence d’un de ses amis pour que les autres soient témoins de son trouble ; ce qu’elle vivrait seule ne compterait pas, elle a besoin de démontrer et tout de suite, même aux plus vulgaires, surtout aux plus vulgaires.


    […]


    Lundi 16 mai


    Si je ne communique pas je me laisse m’embrouiller – cette plante qui pourrit tout ce qui lui sert de support – la vie à deux vide de sa substance l’un des deux – n’être dominée par aucune peur, de ce qui avilit, rabaisse mais ce qui détruit tout en soi.


    Mercredi 18 mai


    – Vous aimez comme source claire, tout est altéré parce que retrouver la vie dans son intégrité dans sa totalité.


    […]


    Mardi 24 mai


    Entrer dans un monde fiction où tu joueras un rôle devant moi dans lequel tu m’assignes une place délimitée.


    – Vie d’ermite pendant que vient ce qui est échange poésie et amical tu le vivras à Paris, ça non.


    Jeudi 26 mai


    – Quelque chose

    sourd déborde

    les écluses craquent

    douleur plus de douleur

    la renaissance de la vie


    – Plus rien de cette ardente passion ?

    et cette affreuse inquiétude

    et Lui


    Non = rien

    douleur

    pas de douleur

    immobilité

    le silence dans ton corps

    silence las de douleur

    de tout en toi.


    Samedi 28 mai


    – et puis un jour le mouvement restreint et puis libre

    vie physique

    le corps comme la plante

    la plante la terre

    comme s’il s’implantait dans la terre par le mouvement, retrouvant force de pesanteur.

    Corps détaché de toutes les lois physiques. De toutes ces impressions celle-ci est-elle bouillante ou glacée, que vous dirais-je ?

    Plus de cris de douleurs ?


    Jeudi 2 juin


    – Versez l’eau bouillante

    et puis posez la glace

    je ne sens plus rien, rien

    enfoncez vos épines dans la chair


    – où est ma jambe ?

    peut-être pendue dans les

    branches de cet arbre

    là où les pigeons font l’amour.


    – Ton corps c’est la Loi

    tout vient apres

    Rien n’est plus heureux que cette renaissance

    dans ton corps plus grave



    Dimanche 5 juin


    Vous n’imaginez pas quelle           assez maligne cela peut être pour moi

    Cette fois tous les ponts sont bien coupés : que peuvent comprendre à ma vie ceux qui se donnent des airs de tremper dans tous les complots, d’éventer les secrets profonds de rires gras comme au promenoir de vaudevilles, rires gras et rentrés, de prendre des petits airs.


    […]


    Laure

    Écrits retrouvés

    Préface de Jérôme Peignot

    Coll . Comme, Les Cahiers des brisants, 1987

  • Laure

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    Un fragment de texte érotique

    « Que la vie primitive donne aux êtres la possibilité de l’extase. ».

    – décision du crime : « Ses yeux étaient comme des étoiles, on se serait cru à l’église ».

    – Le crime accompli : la vengeance et l’amour, sang et sperme.

    – « nous sommes au sommet de la montagne », « la montagne nous écrase ».

    – rapidité d’un « roman policier », les sentiments et l’analyse psychologique.

    – êtres humains, en chair et en os

    – continuer

    oui : il le faut pour moi et les autres,

    pour éclaircir le malentendu

    dire tout,

    arrêt subit et reprise

    sous une autre forme

    d’un journal rétrospectif.

    * * *

    Dernier poème

    Je l’ai vue

    Je l’ai vue – cette fois je l’ai vue

    où ? à la limite de l’aube

    et de la nuit

    l’aube du jardin

    la nuit de la chambre

    avec un sourire qui craque

    une patience d’ange

    elle m’attend

    Et je le sais bien

    Puis d’une voix lointaine

    elle m’a dit

    Ah mais non

    Tu ne deviendras pas folle

    Entends-tu, tu ne te conduiras pas comme cela,

    Tu feras ceci et cela. Elle parlait sans que je comprenne plus rien

    Je la suivais malgré moi

    Dans un froufrou de soie une robe à traîne avec beaucoup de volants qui rebondissaient sur chaque marche.

    elle a disparu

    brillante bruissante

    par un escalier étroit

    et délabré

    En haut

    c’était le rayon d’hommes, des milliers de vêtements

    Une pièce toujours fermée, surchauffée

    Seule présente vivante

    elle

    elle parcourait les espaces vides entre les mannequins

    portant tous son masque

    Laure (Colette Peignot), Écrits

    Texte établi par Jérôme Peignot et le collectif Change

    Jean-Jacques Pauvert, 1977, rééd., 1985

  • Georges Bataille

    G Bataille. la littérature et le mal 1.jpg« Le doute m’angoisse sans relâche. Que signifie l’illumination ? de quelque nature qu’elle soit ? même si l’éclat du soleil m’aveuglait intérieurement et m’embrasait ? Un peu plus, un peu moins de lumière ne change rien ; de toute façon, solaire ou non, l’homme n’est que l’homme : n’être que l’homme, ne pas sortir de là ; c’est l’étouffement, la lourde ignorance, l’intolérable.

     

    “J’enseigne l’art de tourner l’angoisse en délice”, “glorifier” : tout le sens de ce livre. L’âpreté en moi, le “malheur”, n’est que la condition. Mais l’angoisse qui tourne au délice est encore l’angoisse ; ce n’est pas le délice, pas l’espoir, c’est l’angoisse, qui fait mal et peut-être décompose. Qui ne “meurt” pas de n’être qu’un homme ne sera jamais qu’un homme. »

     

    Georges Bataille, l’Expérience intérieure,

    Gallimard, 1943, revu en 1954,

    rééd. Coll. Tel n° 23

    et in Œuvres complètes volume 5, Somme athéologique I

     

    Georges Bataille, entretien avec Pierre Desgraupes à propos de la Littérature et le mal © ina