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  • Yves Bonnefoy, « Deux poèmes »

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    DR

      

    «  L’arbre, la lampe

     

    L’arbre vieillit dans l’arbre, c’est l’été.

    L’oiseau franchit le chant de l’oiseau et s’évade.

    Le rouge de la robe illumine et disperse

    Loin, au ciel, le charroi de l’antique douleur.

     

    Ô fragile pays,

    Comme la flamme d’une lampe que l’on porte,

    Proche étant le sommeil dans la sève du monde,

    Simple le battement de l’âme partagée.

     

    Toi aussi tu aimes l’instant où la lumière des lampes

    Se décolore et rêve dans le jour.

    Tu sais que c’est l’obscur de ton cœur qui guérit,

    La barque qui rejoint le rivage et tombe. 

     

    Une voix

     

    Combien simples, oh fûmes-nous, parmi les branches,

    Inexistants, allant au même pas,

    Une ombre aimant une ombre, et l’espace des branches

    Ne criant pas du poids d’ombres, ne bougeant pas.

     

    Je t’avais converti aux sommeils sans alarmes,

    Aux pas sans lendemains, aux jours sans devenir,

    À l’effraie aux buissons quand la nuit claire tombe,

    Tournant vers nous ses yeux de terre sans retour.

     

    À mon silence ; à mes angoisses sans tristesse

    Où tu cherchais le goût du temps qui va mûrir.

    À de grands chemins clos, où venait boire l’astre

    Immobile d’aimer, de prendre et de mourir. »

     

    Yves Bonnefoy

    Pierre écrite

    Mercure de France, 1965

  • Malcolm Lowry, « Deux poèmes »

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    © Júlio Pomar

     

    «  Poème bizarre

     

    J’ai connu un homme sans cœur :

    Il dit que des enfants le lui ont arraché

    Et l’ont donné à un loup affamé

    Qui s’est enfui l’emportant dans sa gueule.

    Et les enfants ont fui avec l’instituteur ;

    L’animal aussi s’est enfui bien vite,

    Et derrière lui, bizarre poursuite,

    Titubait encor cet homme sans cœur.

    J’ai vu cet homme l’autre jour,

    Gonflé d’un orgueil ridicule,

    Le cœur remis en place et la mine égayée ;

    À son côté, tout radouci, trottait le loup.

     

     

    Pierres blessées

     

    Parfois l’enfant ne sait pas dire son chagrin,

    Mais il entend, le soir, les étranges présages

    Qui annoncent aux pierres blessées, à même le sol,

    Leur libération, ou il apprend que les pierres

    Cœurs brisés, ont parfois l’éclat dur d’un langage.

    Le bruit de la mer rugit au vestiaire

    — Et un reproche ; mais cela même est rassurant :

    Un reproche de moins entre lui et la mort…

    Et là, sur le tapis devant la cheminée,

    Il regarde l’enfer et voit son avenir

    — Qui sait, peut-être une chambre de chauffe ? —

    Pourtant l’enfant, je pense, a connu des fous-rires

    (On dit que de la vie ce sont les seuls remèdes),

    Et puis, n’eût-il pas survécu,

    Saurait-il que Rimbaud a connu ces chagrins,

    Rimbaud dont l’âge d’homme aussi, comme le sien,

    Fut déserté d’amour et privé de langage ? »

     

    Malcolm Lowry

    Pour l’amour de mourir

    Traduit par J.-M. Lucchioni

    Préface de Bernard Noël

    Goauches découpées de Júlio Pomar

    Coll. Le Milieu, éditions de la Différence, 1976

  • Charles Cros, « La vie idéale »

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    Autoportrait de Charles Cros

     

    «  à May

    Une salle avec du feu, des bougies,

    Des soupers toujours servis, des guitares,

    Des fleurets, des fleurs, tous les tabacs rares,

    Où l’on causerait pourtant sans orgies.

     

    Au printemps lilas, roses et muguets,

    En été jasmins, œillets et tilleuls,

    Rempliraient la nuit du grand parc où, seuls

    Parfois, les rêveurs fuiraient les bruits gais.

     

    Les hommes seraient tous de bonne race,

    Dompteurs familiers des Muses hautaines,

    Et les femmes, sans cancans et sans haines,

    Illumineraient les soirs de leur grâce.

     

    Et l’on songerait, parmi ces parfums

    De bras, d’éventails, de fleurs, de peignoirs,

    De fins cheveux blonds, de lourds cheveux noirs,

    Aux pays lointains, aux siècles défunts. »

     

    Charles Cros

    Le coffret de santal — 1873

    in « Œuvres complètes »

    Jean-Jacques Pauvert, 1964

  • Alain Veinstein, « De loin »

    alain veinstein,

    DR

     

    « De loin, avec l’enfant,

    non pas avec les mots.

     

    Enfermé là, comme autrefois,

    sans un mot, sans changement.

     

    Nul pas franchi, comme avant,

    et ce n’est qu’une partie du jour.

     

    * * *

     

    Personne au commencement.

    Cette chambre. Le silence. Impossible

    de savoir si le jour est gagné.

    Je cherche les mots d’une phrase perdue,

    une phrase du temps où je vivais

    de mon travail…

     

    * * *

     

    Bien plus tard, je ne sais plus le jour,

    pas un mot en retour, le silence,

    le poids d’une main

    comme jamais l’amour…

    Mon enfant (qui peut le dire ?)

    c’est possible, c’est donc possible –

    même un enfant

    dans cette chambre où nous grimaçons

    à cause du soleil.

     

    * * *

     

    Ӄvanoui de nous

    aux commencements…”

     

    “Je donnerais mon sang

    pour mettre fin

    au supplice…”

     

    Vers l’absence de soutien,

    revenir à la terre, l’étendue. »

     

    Alain Veinstein

    Même un enfant

    Le Collet de Buffle, 1988

  • Franck Venaille, « Pour en finir… »

    franck venaille,pour en finir…,ça,mercure de france

    DR

     

    Pour en finir, jamais souvenir d’enfance ce

    Garçon au tablier noir est-ce vraiment moi ?

    Pour en finir il faudrait que la faute, enfin,

    Soit reconnue telle : tout cela dans une odeur

    Forte de prêtre Le péché sent L’homme en

    Noir également N’y touchez pas ! Ne mettez

    Jamais plus votre chair contre celle de l’en-

    Fant Que vous ne prendrez plus sur vos genoux

    Pour finir, en terminer à jamais avec vous.

     

    * * *

     

    Nos blessures intimes demandent à s’asseoir près de

    Nous sur le banc, avec une sorte de tristesse avide

    Un besoin mélancolique de partager le chagrin du

    Temps Que pouvons-nous pour elles ? Que faut-il

    Leur dire ? Comment ne pas être touché par leur

    Silence ? Sont-elles à la recherche de l’absolu, là

    Où il se trouve ? Bercé par le corps qui souffre, lui,

    D’avoir à leur parler comme on le fait avec des

    Enfants fiévreux Dans un monde combien las !

     

    * * *

     

    Ô visages égarés sur la route du temps quand

    Le corps entier tentait de découvrir qui il

    Était vraiment Ô complicité de cette jeunesse

    Qui ne fut jamais mienne, combien maladroit à la

    Recherche des autres, voués, eux, à l’harmonie

    Et moi suffoquant sous les mots serrés en gorge,

    Ô gauche, amer, refusant tout contact avec la

    Vie généreuse, celle de deux inconnus mêlés

    Enlacés, découvrant ensemble les miracles ! »

     

    Franck Venaille

    Ça

    Mercure de France, 2009

  • Claude Margat, « Chant de l’arbre d’or »

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    © : les Yeux d'Izo

     

    « Un jour

    la bouche a nommé

    brume qui jamais ne se lève

    l’appui sans parole

    le souffle sans image

    combien de jours avant

    combien ?

     

    Il y eut ensuite

    cet autre jour

    millénaire de désirs et de peine

    entre ciel et sentier

    l’herbe gelée sous un vent blanc

    et dans les yeux

    de longues histoires d’aveugles

     

    Ailleurs

    un azur impeccable

    laissait suinter sang et sable

    présent passé qu’importe

    mur de soie ou feuillage d’or

    si s’interrompait le murmure des choses

    qui en retrouverait la mélodie ?

     

    Le regard va

    un autre au sein du même attend

    présence de chose

    remplace la chose

    mais n’en fait rien

     

    Le tourbillon de vent

    qui porte l’âme

    et fait voler à l’angle du vieux mur

    les feuilles mortes

    est comme aujourd’hui

    celui qui tourne

    dans le creux de ta main

    il parle

    mais qui l’écoute ?

     

    On dit en effet qu’un jour parfois

    le temps cesse d’aller

    mais est-ce d’aller qu’il cesse

    ou de venir

    le temps ?

     

    Dans l’âtre tout à coup

    le feu s’emballe

    au cœur du brasier apparaît

    la caverne où naquit

    l’immaculé Phénix

    chaque mot comme un nuage

    avance entre son ombre et son contraire

    chaque vivant

    vers sa propre absence

     

    Tout au loin

    tout au fond de

    l’hermétique mémoire s’affranchit

    l’écume de la vague où

    le rocher commence

    à se pencher vers le caillou

    l’arbre vers l’air

    le ciel vers la terre

    la pensée vers son propre suspend

     

    On sait bien qu’il vient de loin

    le puissant appel

    on sait qu’il vient d’avant

    comme un grand vent d’espace et

    qu’à l’endroit où l’élan s’épuise et

    fait retour sur lui-même

    bat le temps juste

    le temps qui anime l’aile et porte

    la lumière où rien

    jamais

    n’est encore joué. »

     

    Claude Margat

    En marge d’une vie

    Préface de Bernard Noël

    L’Atelier du Grand Tétras, 2016

    en prime, le film consacré à Claude par les yeux d’Izo :

    https://www.youtube.com/watch?time_continue=8&v=KM1MODCix2A&feature=emb_logo

  • Emily Dickinson, « Fais-moi un tableau de soleil »

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    « Fais-moi un tableau du soleil —

    Que je l’accroche dans ma chambre.

    Et fasse semblant de me réchauffer

    Quand les autres s’écrieront “Jour” !

     

    Dessine-moi un Rouge-gorge — sur une tige —

    À l’entendre, je rêverai,

    Et quand les Vergers ne chanteront plus —

    Rangerai — mon simulacre —

     

    Dis-moi s’il fait vraiment — chaud à midi —

    Si ce sont des Boutons d’or — qui “voltigent” —

    Ou des Papillons — qui “fleurissent” ?

    Puis — omets — le gel — sur la prairie —

    Omets la Rousseur ­— sur l’arbre —

    Jouons à ceux-là — jamais n’adviennent ! » 1861

     

    Emily Dickinson

    Y aura-t-il pour de vrai un matin ?

    Traduit et présenté par Claire Malroux

    Domaine Romantique, José Corti, 2008

    https://www.jose-corti.fr/auteurs/dickinson.html