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  • Pierre Guyotat

    772533361.jpg« Aujourd’hui — mais n’est-ce qu’aujourd’hui ? —, la chose en soi, l’intrinsèque ne comptent plus, seules comptent les conséquences : un événement, un être, une personne, une idée, un objet, on ne leur voit plus que des conséquences. L’être de la chose, l’origine, le mouvement vers ce qui préexiste même à la morale, vers un avant-« Dieu » – ce qui expliquerait pourquoi le remords est si atroce et si, parfois, impossible – sont oubliés parce qu’ils font peur ou parce qu’ils exigent de la pensée. Les idéologues eux-mêmes, ceux qui se font désigner comme philosophes et qui souffrent probablement de cette disparition de l’être, ne traitent plus de l’être mais de la société dans laquelle les êtres doivent se débrouiller. Le faire n’en est pas moins oublié. Il semblerait que ce qui compte c’est seulement les mots par lesquels chacun manifeste qu’il ne veut plus même approcher de l’être ni du faire.»
    Pierre Guyotat
    Coma
    Coll. Traits et portraits, dirigée par Colette Fellous
    Mercure de France, 2006

  • Marina Tsvétaïéva

     
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    LA LETTRE

    On ne guette pas les  lettres
    Ainsi — mais la lettre.
    Un lambeau de chiffon
    Autour d’un ruban
    De colle. Dedans — un  mot.
    Et le bonheur. — C’est tout.

    On ne guette pas le bonheur
    Ainsi — mais la fin :
    Un salut militaire
    Et le plomb dans le sein —
    Trois balles. Les yeux sont rouges.
    Que cela. — C’est tout.

    Pour le bonheur — je suis vieille !
    Le vent a chassé les couleurs !
    Plus que le carré de la cour
    Et le noir des fusils.

    (Que le carré de l’enveloppe :
    Encre et attraits !)
    Pour le sommeil de mort
    Personne n’est trop vieux.

    Que le carré de l’enveloppe.
    11 août 1923.
    Marina Tsvétaïéva
    Le Ciel brûle suivi de Tentative de Jalousie
    Traduit du russe par Pierre Léon et Ève Malleret
    Préface de Zéno Bianu
    Poésie/Gallimard

  • Henry Bauchau

    « Brisé par l’échec de la naissance des mots et pat le rire de tante Babeth et de toute la tablée qui signifiait que c’est peut-être touchant mais surtout ridicule d’aimer d’amour quand on est un enfant. Que cela indique peut-être que l’on n’est pas un vrai garçon. Qu’on est un enfant trop sensible toujours soumis au rire insultant de ceux qui sont dans le vrai monde. Je n’ai pas eu accès aux mots de ce monde-là, car après des années d’efforts vains c’est le monde imaginaire qui a soulevé et mis en mouvement ma vie. »
    Henry Bauchau
     le Boulevard périphérique, Actes Sud, 2007

  • Anne-Marie Garat

    “Il l’a convaincu que cette maladie était sa propre question normale d’homme historique. Les images de son système nerveux central étaient les convulsions de son pays, amputé de son territoire et de sa mémoire ; comme lui il était humilié par l’horreur de la guerre, et par sa bassesse de survivre au massacre collectif en jouissant du beau temps, de sa femme et de son élevage de lapins. Il lui a expliqué qu’il souffrait d’appartenir à une langue parfaite, unique, celle des philosophes et des poètes hongrois, et, homme du peuple, d’être condamné aux quelques vocables résiduels de sa vie. Aussi que sa tumeur ressemblait à la schizophrénie inhérente aux démocraties populaires qui incarcère la liberté dans les caves de l’esprit, on y cherche la part du prévisible et de l’imprévisible, on devient fou sous le joug des tyrans. Sa tumeur était d’agoniser dans le temps universel sans avoir compris qu’il n’est qu’expérience de sujet accidentel, et aussi de la nostalgie de valeurs anciennes, de plaines et de fermes aux puits à balance, qui vous vient devant la porte de l’usine nationalisée de votre fils. Il lui a expliqué, en résumé, que sa tumeur était saine, humaine, normale. Il y a mis le temps, mais mon grand-père, qui n’est pas bête, a compris au moins ceci: son mal est son bien. Sa tumeur est la liberté de son esprit, clairvoyant sur la folie du monde, ses visions insensées sont la chose commune, il est la langue et l’histoire de la Hongrie ensemble, sa mélancolie et sa rage, son âme baroque et susceptible.”

     

    Anne-Marie Garat

    István arrive par le train du soir

    Seuil, Coll. Fiction & cie, 1999 

  • ...

    “ Avec quoi fait-on la morale et la science et les lois de la vie ?

    Toujours avec le désespoir des autres. “ 

    Charles-Albert Cingria 

     

    Dans l'incapacité d'écrire en ce moment, je m'appuie sur les mots des autres qui me sont nécessaires. Il faut lire Cingria qui est un grand méconnu et un frère si nécessaire. Comme Rousseau, comme Montaigne, comme Quignard, Sebald, Walter Benjamin, Kafka, Hrabal, Bernhard... comme tant d'autres. Ils sont là. À nos côtés, ils nous soutiennent.

     

    “ Je n'ai jamais pensé que la liberté de l’homme consistat à faire ce qu'il veut, mais bien à ne jamais faire ce qu'il ne veut pas. “

    Jean-Jacques Rousseau

    Les Rêveries du promeneur solitaire

    Pléiade 

     

    “ Non je n'ai pas pleuré toutes mes larmes

    Elles se sont amassées en moi.

    Depuis longtemps mes yeux n'en ont plus,

    N'en ont plus aucune, et je vois le monde. “ 

    Anna Akhmatova

    Requiem et autres poèmes

    Traduit du russe par Jean-Louis Backès 

    Poésie/Gallimard 

  • ...

    "De l'immense majorité d'entre nous, on exige une duplicité constante, érigée en système. On ne peut pas, sans nuire à sa santé, manifester jour après jour le contraire de ce qu'on ressent réellement, se faire crucifier pour ce qu'on n'aime pas, se réjouir de ce qui nous apporte le malheur. Notre système nerveux n'est pas un vain mot ni une invention. C'est un corps physique composé de fibres. Notre âme est située dans l'espace et se place en nous comme les dents dans la bouche. On ne peut sans cesse la violenter impunément."

    Boris Pasternak

    Le Docteur Jivago

    traduit du russe par Michel Aucouturier, Louis Martinez,

    Jacqueline de Proyard et Hélène Zamoyska

    Quarto, Gallimard, 2005