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Chine - Page 2

  • Su Dongpo, « En souvenir de ma mère qui ne faisait pas de mal aux oiseaux »

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    « Lorsque j’étais jeune, en face de mon bureau, il y avait des bambous, des peupliers, des pêchers et toutes sortes de fleurs ; des bosquets remplissaient la cour et des oiseaux s’y nichaient. Ma mère détestait qu’on détruise la vie ; les enfants et les serviteurs avaient ordre de ne pas attraper les oiseaux. Pendant plusieurs années, ceux-ci firent leurs nids sur les branches basses et on pouvait apercevoir leurs oisillons en baissant la tête. Il y avait aussi quatre ou cinq perruches qui voletaient tous les jours parmi eux. Les plumes de ces oiseaux sont très précieuses et très rares. On pouvait les apprivoiser, car ils ne craignaient pas du tout les hommes. Les villageois en les voyant trouvaient cela extraordinaire. Il n’y a pourtant pas là d’autres raison : en l’absence sincère de mauvaises intentions, même d’autres espèces ont confiance en vous. Un vieux paysan disait : “Si les oiseaux nichent loin des hommes, leurs petits seront la proie des serpents, des rats, des renards, des chats sauvages, des hiboux, des milans. Aussi, si les hommes ne les tuent pas, ils se rapprochent d’eux pour éviter ces malheurs.” On voit ainsi que si ensuite les oiseaux nichent sans oser s’approcher des hommes, c’est qu’ils considèrent que ceux-ci sont pires que les serpents, les rats et autres prédateurs. On peut donc faire confiance à cette parole de Confucius : “Un gouvernement tyrannique est plus terrible qu’un tigre !” »

     

    Su Dongpo – Su Shi (8 janvier 1037 – 24 août 1101)

    Sur moi-même

    Choix de textes, traduits et présentés par Jacques Pimpaneau

    Philippe Picquier, 2003, rééd. Picquier poche, 2017

     

    Su Dongpo – Su Shi – né le 8 janvier 1037 à Meishan, est mort le 24 août 1101 sur la route de Changzhou.

    C'est un homme selon mon cœur, un poète essentiel, aimé et lu par ses pairs – et au delà, je l'espère – (Jim Harrisson, Lambert Schlechter, Volker Braun, par exemple, le citent volontiers).

    Pour souligner la date anniversaire de son décès, pour que l'on se souvienne encore de lui, j'ai eu envie des oiseaux de sa mère, à n'en pas douter ceux qui encore – à l'exception des perruches – conversent chaque jour dans le petit jardin où ils aiment à se reproduire.

  • Gong Zizhen, « Un souhait de livre »

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     Air : « Les sables lavés par les vagues »

     

    Au-delà des nuées s’élève un pavillon rouge,

    Lieu retiré et loin de tout.

    Au-dessus des Cinq Lacs le son de la flûte perce l’automne.

    Après avoir rangé trente mille peintures et livres

    Je monte avec eux sur ma barque.

     

    Miroir et brûle-parfum,

    Tendresse, grâce et tranquillité.

    Je relève pour toi le rideau juste comme il faut.

    Sans souci de la fraîcheur du vent et des vagues sur le lac,

    Je te regarde te coiffer.

     

    Gong Zizhen — 1792-1841

    in « La dynastie des Qing » — Mandchous, 1644-1911

    Traduit du chinois par Sandrine Marchand

    Anthologie de la poésie chinoise

    sous la direction de Rémi Mathieu

    Pléiade / Gallimard, 2015

  • Xiao Gang, « Poème sur des noms de simples »

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    Paysage, Dynastie des  Ming

     

     « La brise matinale fait trembler les fleurs,

    Le soleil du soir brille sur l’appontement.

    Tout en haut d’une tour une femme esseulée

    Au crépuscule pleure sur sa solitude.

    La lampe éclaire le lit des plaisirs à deux,

    Dans les tentures flotte le parfum du benjoin.

    Elle broie un peu d’encre, écrit deux ou trois vers,

    Avec de la céruse essaie de se farder.

    Elle voudrait tant voir de la fleur d’hellébore

    La tige volubile emplir sa chambre vide. »

     

     

    Xiao Gang ne fut pas qu’un poète à l’œuvre importante, il régna les deux dernières années de sa vie et mourut assassiné. Son œuvre fut longtemps mésestimée, pourtant, entouré par un cercle de poètes, il écrivit beaucoup dans un style très orienté vers les recherches formelles.

     

    Xiao Gang — 503-551

    in  « Les Six Dynasties (de la fin des Han à la fin des Sui) » — 196-618

    Traduit du chinois par François Martin

    In Anthologie de la poésie chinoise

    Pléiade / Gallimard, 2015

  • Wang Shifu, « Le pavillon de l’aile ouest »

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    Le mariage de Zhang et Yingying, représentés sous forme de marionnettes.

    Édition de Min Qiji, 1640

     

    « Vous balbutiez de honte, n’osez lever la tête,

    Votre visage caché dans l’oreiller.

    De vos cheveux en nuages épars tombent vos épingles d’or

    Et le désordre de votre chevelure ajoute à votre charme.

    Je déboutonne votre robe, dénoue votre ceinture,

    Une odeur de musc se répand dans la chambre obscure.

    Cruelle, pourquoi vous détourner ?

    Pourquoi fuir mon regard ?

    Je presse contre moi ce corps tiède et parfumé d’une beauté élancée,

    Le printemps vient au monde, les fleurs se colorent,

    Votre taille si souple s’agite à mon rythme,

    Le bouton de votre fleur s’ouvre à moitié,

    Les gouttes de ma rosée font s’épanouir votre pivoine.

    Une seule libation m’engourdit à demi.

    Je suis le poisson qui s’ébat dans les eaux,

    Je suis le papillon qui recueille le parfum des bourgeons.

    Vous reculez un peu pour vous rapprocher de nouveau.

    Le surprise et l’amour se disputent en moi,

    Je baise votre bouche vermeille et vos joues odorantes.

    Vous êtes mon cœur et mes entrailles,

    Vous dont j’ai terni la pureté. »

     

    Cette pièce – dont les protagonistes sont Yingying et Zhang – fut écrite aux environs de 1300. Elle est une adaptation d’un texte plus ancien de monsieur Dong, portant le même titre, elle-même influencée par La vie de Yingying de Yuan Shen – les voies de la littérature chinoise sont sans fin, et c’est tant mieux.

    L’extrait donné ici est chanté par Zhang alors que les amoureux viennent de se retrouver dans la chambre de Yingying. Il provient du merveilleux ouvrage de Jacques Pimpaneau, Anthologie de la littérature chinoise, paru chez Philippe Picquier en 2004 et réédité dans la collection de poche de l’éditeur en 2019.

     Wang Shifu

    Extrait du Pavillon de l’aile ouest (Xixiang Ji)

    traduit par Jacques Pimpaneau

    Philippe Picquier

    http://www.editions-picquier.com/ouvrage/anthologie-de-la-litterature-chinoise-classique-2/ 

     

  • Su Tung po, « Puisant de l’eau dans la rivière pour préparer le thé »

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    « l’eau vive a besoin d’un feu vif pour bouillir

    je me rends au rocher où l’on pêche pour puiser dans l’onde profonde et limpide

    avec une grande calebasse emprisonnant la lune, je la transvase dans la jarre

    avec une petite louche je remplis la bouilloire nocturne d’eau de la rivière

    quand frémit le thé une écume neigeuse se forme

    au moment où l’on entend le vent dans les pins*, il faut tout de suite servir

    les entrailles desséchées pas encore complètement humidifiées, j’arrête à la troisième tasse

    assis, j’écoute dans la ville déserte les coups longs et courts qui annoncent l’heure »

     

    * l’expression « on entend le vent dans les pins » signifie que l’eau commence à frémir — elle est parfois augmentée de « et la pluie dans les cyprès »

     

    Su Tung po (Su Che) ­ — 8 janvier 1037- 24 août 1101

    in L’extase du thépoèmes chinois

    Traduits par Cheng Wing fun & Hervé Collet

    Moundarren, 2002

    https://moundarren.com/livre/lextase-du-the/

  • Yang Wan li, « cinq poèmes autour la poésie »

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    « Froid tardif composé devant les narcisses sur le lac de montagne*

     

    pour forger un poème, on ne saurait se passer du fourneau et du marteau

    mais si le poème s’accomplit, ce n’est pas seulement grâce à eux

    le vieil homme ne cherche pas le poème

    c’est le poème qui cherche le vieil homme

     

    Lire des poèmes

     

    dans la jonque ma seule occupation est de lire des recueils de poèmes

    j’ai fini de lire les poèmes des Tang, je lis maintenant Wang An-shih**

    ne dites pas que le matin le vieillard ne mange pas

    les quatrains de Wang An-shih sont mon petit déjeuner

     

    Dans l’éclaircie au milieu de la neige, près de la fenêtre ouverte j’ouvre un recueil de poèmes Tang et y trouve un pétale de fleur de pêcher, qui me laisse songeur

     

    au hasard j’ouvre un livre de poèmes, ce matin devant la fenêtre de neige

    dedans, un pétale de fleur de pêcher, encore frais

    je me souviens d’avoir emporté ces poèmes pour lire sous les fleurs

    c’était au printemps, bientôt une année déjà

     

    Ajoutant de l’eau dans le bassin des roseaux aromatiques et des narcisses

     

    mes vieux poèmes que je relis sont de nouveau frais

    une fois la lecture finie, fatigué je bâille et m’étire

    ces innombrables plantes dans le bassin se plaignent d’avoir soif

    mais le vieil homme a pour projet d’être un homme paresseux

     

    Poème en réponse à Lu Yu***

     

    enchaîné à ma fonction, du printemps je ne puis profiter

    ma barbe éclaircie est devenue comme de la neige

    au milieu des nuages je fréquente le poète

    oubliant les affaires, notre entente est parfaite

    si en vieillissant mes poèmes s’émoussent,

    grâce à ton talent tes vers sont toujours impeccables

    toute ma vie j’ai été ballotté,

    mon écriture vaut-elle encore grand-chose ? »

     

    * Une dizaine de jours avant le nouvel an, on installe un bulbe de narcisse dans une bassine d’eau (le lac) avec un caillou (la montagne). Le jour du nouvel an, les narcisses sont en fleurs.

    ** Wang An-shih (1021-1086), poète et homme d’état de la dynastie Song du nord

    *** Lu Yu (733-804), poète de la dynastie Tang

     

    Yang Wan li – 1127-1206

    Le son de la pluie

    Poèmes choisi et traduits du chinois par

    Cheng Wing fun & Hervé Collet

    Moundarren, 1988, 2008, 2017

    http://www.moundarren.com/poeteschinois/yangwanli

  • Lu Yu, « La nuit du 18e jour du 7e mois, composé sur l’oreiller »

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    « un éclair jaillit, il fait clair comme en plein jour

    pas encore apaisé le tonnerre gronde

    les nuages défilent confusément puis disparaissent

    lentement monte la lune solitaire

    dans les herbes couvertes de rosée des criquets conversent

    le vent dans les branches effraie les pies

    dès que la fraîcheur naît je me sens enfin à l’aise

    je dors profondément jusqu’à ce qu’à la fenêtre il fasse jour »

     

    Lu Yu

    Le vieil homme qui n’en fait qu’à sa guise

    Poèmes choisis et traduits du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet

    Moundarren, 1995, rééd. 2012

    https://moundarren.com/livre/lu-yu/

  • Lu Yu, « Écrit dans un moment de détente »

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    « Un vieil homme allant sur ses soixante-dix ans,

    En fait, tout pareil à un enfant

    Qui cherche en sanglotant les fruits des monts,

    Qui suit en éclatant de rire les mimes des villages,

    Ravi d’ajouter avec d’autres des tuiles sur le stupa,

    Debout, seul, se mirant dans un petit bassin,

    Qui prend entre ses doigts un livre usé à lire,

    Embrouillé comme s’il allait étudier à l’école… »

     

    Lu Yu – 1125-1210

    Traduit du chinois par Stéphane Feuillas

    in Anthologie de la poésie chinoise

    Pléiade / Gallimard, 2015

  • Chen Zu-ang, « Deux poèmes »

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    Wang Shimin, 1653

     

    « Quittant un ami par une nuit de printemps

     

    La fumée bleue de la bougie d’argent

    La coupe d’or digne d’un vin unique.

    Sortir vibrant aux luths et aux cithares

    Se séparer pour sillonner le monde.

    La lune sombre au-delà des grands arbres

    La Voie Lactée fond dans le ciel de l’aube.

    En route vers Lo-yang — tristesse douce

    À quand une soirée de retrouvailles ?

     

    Chanson en montant sur la terrasse de Youzhou

     

    Devant on ne voit pas l’homme d’avant —

    Derrière on ne voit pas l’homme d’après. —

    Pensant aux cycles infinis de l’univers

    La solitude amère et les larmes qui coulent. »

     

    Chen Zu-ang — 661-702

    in Ombres de Chine

    « Douze poètes de la dynastie Tang (680-870) et un épilogue »

    Choix, traduction et commentaires : André Markowicz

    Inculte / Dernière marge, 2015

    https://inculte.fr/produit/ombres-de-chine/

  • Meng Jiao, « Songe d’automne »

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    « Le vieillard change du matin au soir

    À osciller entre mourir et vivre.

    Assis — un peu de vin — il se repose

    Couché — mille visions le vide même.

    La vue trop faible pour voir à la porte

    L’ouïe trop fragile pour percer le vent.

    Il est comme sa propre image peinte

    Inapte à ressentir la même chose.

    Tous les élans se sont finis en larmes

    Mais il rêve une mort légère et blanche

    Loin isolé de ses amis lettrés

    Si proche des ermites des montagnes.

    Ici le vert porte le deuil en jaune

    Toute trace de vie est déjà loin.

    Mais les saisons sans cesse se chevauchent

    Mille songes bizarres se mélangent.

    Au Sud jadis — léger — devant la mer

    Au Nord — ici — pauvre — dans les rocailles.

    Vieux souvenirs partis au gré des fleuves

    La nostalgie d’un homme à son déclin

    Attaché à l’automne du Sung-shan.

    La houe ne suffit pas à le nourrir

    Les habits de feuillage sont informes

    Le tissu de poussière — irréparable.

    Qui comprendra les poèmes anciens ?

    Cachés dans les bambous démons et spectres

    Le fer tranchant transformé en dragon…

    Le lettré ambitieux a mille rêves

    Mais la misère vient d’un cœur pervers

    La poésie mène aux habits troués

    Et là — près de mourir — toujours un gosse.

    Faire de la musique — pas du bruit

    Le bruit rend sourd écarte de la Voie

    Ces mots sont un brasier au fond du cœur

    On les écrits au sommet des montagnes. »

     

    Meng Jiao, bien que plus âgé, était dans le cénacle de Han Yü (cf. le post précédent), où il avait la place de vieux sage sans aucune ambition politique.Ils ont beaucoup écrit ensemble.

     

    Meng Jiao — 751-814

    in Ombres de Chine

    « Douze poètes de la dynastie Tang (680-870) et un épilogue »

    Choix, traduction et commentaires : André Markowicz

    Inculte / Dernière marge, 2015

    https://inculte.fr/produit/ombres-de-chine/

  • Han Yü, « Ivre retenant Meng Jiao* »

    han yü,

     

    « Dès le moment où voici des années

         j’ai découvert Li Po avec Tu Fu

    J’ai toujours regretté que ces deux-là

         n’aient pas pu vivre ensemble plus longtemps

    Nous sommes nés tous deux dans le même âge

    Et nous suivons la voix qu’ils ont suivie.

     

    Toi tu n’as pas de poste tu t’en vantes

         fierté bizarre de tes cheveux blancs

    Moi je suis plus malin pourtant j’ai honte

    Vigne verte appuyée sur un grand pin.

    Baissant la tête je te rends hommage

    Puissions-nous être la main et le gant

    Mais tu ne tournes même pas la tête

    Autant vouloir faire tinter la cloche

         en la frappant avec un brin de paille.

     

    Je voudrais que mon corps soit un nuage

         et que toi tu te changes en dragon

    Moi je te poursuivrais au bout du ciel

    Et si nous nous quittons pour le moment

         c’est là que nous pourrons nous retrouver.**»

     

    * Meng Jiao est un poète, ami de Han Yü. Nous en donnerons une page très prochainement.

    ** Cette fin est une référence au poème de Li Po, Buvant seul sous la lune, dont on pourra lire, en suivant ce lien, deux traductions.

    http://www.unnecessairemalentendu.com/archive/2016/02/13/li-po-buvant-seul-sous-la-lune-5759520.html

     

    Han Yü — 768-824

    in Ombres de Chine

    « Douze poètes de la dynastie Tang (680-870) et un épilogue »

    Choix, traduction et commentaires : André Markowicz

    Inculte / Dernière marge, 2015

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  • Lu Zhaolin, « Le dur voyage »

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    « Quand vous sortez par le nord de Chang An

          pas loin du pont qui enjambe la Wei1

    Ne voyez-vous cet arbre sec et nu

          abattu dans un champ laissé en friche ?

    Aux jours anciens il s’inondait de rouge

          et puis le rouge devenait du pourpre.

    Les brouillards de l’hiver s’y attardaient

           il retenait les brumes de l’été.

    Sous le vent du printemps sous la lumière

          ses fleurs étaient d’une blancheur de neige

    Un bruit constant — des chars ornés de jade

           des palanquins de bois aromatique

    Vit-on jamais passer un voyageur

          qui oubliât d’en casser un rameau ?

    Vit-on jamais une belle chanteuse

           passer sans en briser une brindille2 ?

    Dragons brodés sur les robes des belles

          perles sur le bandeau de leur poitrine

    Et selles argentées des jeunes nobles

          des milliers qui passèrent devant lui.

    Dans ses fleurs une à une les orioles

          dissimulaient pudiques leurs chansons.

    Les merlebleus y venaient couple à couple

           ils jouaient là avec leur tout-petits.

    Ses branches longues d’un millier de pieds

          ses frondaisons larges d’une centaine.

    On voyait sous ses feuilles de corail

          se réfugier les canards mandarins3

    Et les phénix qui nichaient dans cet arbre

          élevaient d’âge en âge leur lignée.

    Les nids tombèrent les rameaux cassèrent

          et les phénix ont fui vers d’autres cieux.

    Des rameaux secs on vit tomber les feuilles

          livrées à tous les vents qui s’agitaient.

    Un beau matin il s’est retrouvé nu

          et plus personne n’est venu à lui.

    Il entre dans l’éternité des ruines

          cela qui peut se le représenter ?

    Dans notre vie nos désirs et nos gloires

          tout est soumis au temps qui se déroule.

    Passés en un éclair en cet instant

          se reposer sur eux est impossible.

    Quelqu’un peut-il arrêter le soleil

          quand il passe au-dessus des Monts de l’Ouest ?

    Quelqu’un peut-il arrêter le courant

          quand il s’écoule vers les mers de l’Est ?

    Sur les tombes des Hans les arbres poussent

          comme ils recouvrent le pays des Qin4.

    Tous ils arrivent passent disparaissent

          tous méritant une lamentation.

    Depuis toujours chaque année les grands princes

          ont ramassé des montagnes de riz.

    Et chacun d’eux prévoyait que sa gloire

          devrait briller jusqu’à la fin des temps.

    Où voyez-vous leurs lèvres écarlates

          où à présent la beauté de leurs traits ?

    Qu’entendez-vous à part les sources jaunes5

          et les buissons d’épines de leurs tombes ?

    Un jour viendra votre or vos zibelines

          seront vendus pour acheter du vin

    Les fleurs flocons de jade se répandent

          en mille et mille pièces dans le vent.

    Ce qui est dit est adressé à vous

          qui officiez dans les palais des dieux.

    C’est au moment où votre vie bascule

          que vous verrez qui sont vos vrais amis :

    Ne violez pas l’enceinte du palais

          restez loin de l’entrée du Dragon Bleu.

    Ce que soi-même on a de mieux à faire

           c’est de se retirer dans la montagne.

    Toujours les cieux les îles immortelles

          aucun espoir — trop haut beaucoup trop loin.

    Quand pourrons-nous nous retrouver encore

          liés si pleinement de cœur à cœur ?

    Vivre comme a vécu le roi Yao

          aussi longtemps que lui et aussi sage6.

    Être Yü être Ch’ao vivre en ermite7

          ne plus jamais quitter leur vie à eux. »

     

    1. La wei est la rivière qui coule à Chang An.

    2. Dans la tradition chinoise, on casse une brindille de saule au moment de l’adieu

    3. Les canards mandarins sont associés à l’amour conjugal.

    4. La dynastie des Hans avait succédé à celles des Qin qui avaient fondé l’Empire chinois.

    5. Les sources jaunes sont le séjour des morts

    6. Ce roi mythique, modèle antique de la sagesse, passe pour être monté sur le trône à l’âge de vingt ans et être mort âgé de cent dix-neuf ans.

    7. Yü et Ch’ao sont deux ermites mythiques. Ch’ao-fu, surnommé « le père au nid » vivait dans un arbre pour ne pas vivre avec les hommes. Hsü Yu s’est lavé les oreilles quand on lui a demandé de gouverner le monde.

     

    Lu Zhaolin — 634-684

    in Ombres de Chine

    « Douze poètes de la dynastie Tang (680-870) et un épilogue »

    Choix, traduction et commentaires : André Markowicz

    Inculte / Dernière marge, 2015

    https://inculte.fr/produit/ombres-de-chine/