mercredi, 06 mars 2013
Jacqueline Royer-Hearn, « Alba »
« Se glisser désespérément dans les mots des autres comme, autrefois, dans les chaussures rouges à talons de ma mère, celles que j’espérais le plus éperdument habiter. Sentir le vide, ballant, et les talons claquer et traîner sur le sol, comme bégayer, balbutier.
Je rêve qu’un amour me donne des mots, ou des linges ou du sang ; mais qu’ils me soient donnés. Offrandes de mes songes : je me vois entourée, engloutie même, comme une cathédrale, ou ensevelie, comme un fugitive de Pompéi.
En lisant, en aimant, en écrivant, éclosent des bourgeons, des images vraies et des fleurs irréelles. De même, petite, je mariais les gerbes des rideaux de ma chambre d’enfant avec les natures mortes de la maison, et avec quelques fleurs des champs, épervières orangées et marguerites, cueillies pour ma mère, mais jamais offertes.
À l’heure où la neige, océane, se déchire en toile délavée, le monde vire au bleu pour quelques instants. Et cette heure mélancolique se répand, furtive, dans les encres de mes lettres et dans le pouls délicat des veines bleutées, égarées à la surface de mon corps.
Chaque récit, chaque confidence apporte son cortège de noms de lieux et de personnes. Et il arrive que la rencontre de deux inventaires, déjà, étonne et ravisse. En récitant simplement quelques prénoms fanés, les lieux-dits du pays natal, les patronymes de lignages lourds et troubles, les noms de villes rêvées, d’un fleuve et d’une rivière dont les eaux ne se mêleront jamais, en les croisant comme les brins d’une tresse, s’entend parfois la rumeur d’un amour. »
Jacqueline Royer-Hearn
Alba
L’Escampette, 2004
Septième page pour fêter les 20 ans de L’Escampette
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dimanche, 03 mars 2013
Kiril Kadiiski, « Nouveaux sonnets »
Le Graal
à Jacques Chessex
« Des lambeaux de brume pendent aux branches,
comme si des anges avaient fui à travers ces bois
dénudés… pour se sauver… mais de qui ?
Le monde n’est-il pas à nouveau ressuscité ?
Est-ce un immense soleil qu’on voit flamber entre les ramures des cerfs aux abois,
ou serait-ce le Graal retrouvé (enfin ! et par toi !)…
Que ne pouvait-il illuminer nos âmes réputées immortelles,
comme il réchauffe à présent nos corps toujours plus morts.
Ô mur de crânes mouillés liés d’un mortier d’écume,
le temps lui-même ne saurait le franchir,
puisqu’il gît encore ici, dans la prison de la vie…
Et dans l’épaisse forêt, éclairée par le soleil d’un jaune gazouillis,
la rivière charrie des blocs de glace — dalles funèbres renversées
d’innombrables vérités mortes et de mensonges ressuscités. »
Kiril Kadiiski
Nouveaux sonnets
traduits du bulgare par Sylvia Wagenstein
peintures Nikolaï Panayotov
L’Escampette, 2006
Sixième page pour fêter les 20 ans de L’Escampette
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lundi, 25 février 2013
Bernard Manciet, « Jardins perdus »
Il pleut dans les pins
« C’est immobile, c’est tout en lenteur. Il pleut dans les pins comme dans une sorte de passé, mais un autrefois qui entoure et qui comble. On n’est plus en soi-même, et jamais pourtant on ne fut plus proche de soi. Ce n’est pas un murmure, ni une voix, mais la pâleur d’une voix. C’est comme une âme continue. On ne peut s’en défaire. On ne l’écoute ni ne la voit, mais on la guette dans ses paroles sans tristesse ni gaieté. On ne pense à rien.
Ici, il n’y a pas de pourquoi, ni de raison d’espérer. Vivre ici, c’est vivre de loin. C’est croître à couvert comme les fougères, comme le sable, remuer à peine comme, sourdement, la tempête à l’ouest. La pluie appelle en zozotant, mais on lui a répondu, il y a bien longtemps déjà. De plus profond que l’amour, comme si l’on avait aimé. Et, plus loin, encore d’autres lignes d’humilité. De la pluie on est la demeure, avec son brouillard et son évidence. On est inutile. »
Bernard Manciet
Jardins perdus
traduit de l’occitan par Guy Latry
L’Escampette, 2005
Cinquième page pour fêter les 20 ans de L’Escampette
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samedi, 23 février 2013
Sandra Moussempès, « Acrobaties dessinées »
« lorsque je me questionne je pense à penser à ma place je pense avec mes lèvres je souris mais je réfléchis sans penser en fait la pensée parle à ma place le son de mes lèvres n’existe pas si ce n’est dans la fiction sonore je voudrais vous parler je voudrais tout dire mais tout dire entraîne une réalité qui n’est plus ma façon de dire et d’être et si un film obscurcit mon champ de vision je pense alors qu’il s’agit d’un remake je pense aussi aux sous-titres aux langues lues entendues apprises je pense en pensée disent-ils pour ouvrir leurs lèvres ils clignent des yeux ma bouche est ouverte à présent je présélectionne une pensée je pense à votre place je me divise en pensée dans mes rêves la pensée s’inscrit tout au long des visages les couleurs ont une pensée propre qui remplit chaque plan en mode plein écran on voit les lèvres des acteurs on voit qu’ils ne pensent pas les acteurs ne pensent pas puisque leur vie est une contrainte momentanée une photographie de miroir sans tain les acteurs jouent à l’écran tandis qu’hors champ l’acteur pense au rôle il est donc hors du rôle et je me désigne parfois comme actrice de ma pensée pensée, pensée parlée, pensée pensée à l’instant puis décrite tant bien que mal, je me désigne alors que ceux qui pensent recevoir mes confidences n’ont rien entendu ne m’ont pas vue, ceux-là ont des idées mais pas de pensée propre, ce pourquoi la pliure des commissure entraine une réponse affirmative
j’aime bien les voix pouvait-elle dire j’aime bien ne pas synthétiser ne pas raconter ne pas retracer au lieu de me taire, je m’interroge et ma réponse est une question qui devient le remake de ma précédente vie supposée, suivez le son qui sort de mes lèvres en différé suivez ce qui en sort en pensée pensez-vous alors que l’on peut devenir une personne qui reviendra que l’on peut revenir en pensée dans la pensée de ceux qui vous questionnent ? »
Sandra Moussempès
Acrobaties dessinées & cd Beauty Sitcom
L’Attente, 2012
photographie © A. Donadio
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samedi, 16 février 2013
Thérèse d’Avila, « Livre de la vie »
« 26. Elle s’afflige de s’être souciée naguère du point d’honneur et d’avoir commis l’erreur de croire que ce que le monde appelle honneur était honneur ; elle voit là un énorme mensonge dont nous sommes tous dupes. Elle comprend que le véritable honneur n’est pas menteur, mais vrai, car il estime ce qui est estimable et tient pour rien ce qui n’est rien : tout n’est en effet que néant, et encore moins que néant tout ce qui passe et ne plaît pas à Dieu.
27. Elle rit d’elle-même, du temps où elle faisait cas de l’argent et le convoitait ; pourtant, jamais vraiment sur ce point, elle croit n’avoir eu à confesser de faute ; mais en faire cas était déjà une faute grave. S’il pouvait servir à acheter les biens que je vois maintenant en moi, je l’estimerais fort ; mais l’âme voit que ces biens s’obtiennent en renonçant à tout.
Qu’achète-t-on avec cet argent que nous désirons ? Est-ce une chose de prix ? Une chose durable ? Et dans quel but la désirons-nous ? C’est un bien triste repos que nous recherchons et qui nous coûte fort cher. Bien souvent il nous procure l’enfer et l’on achète un feu éternel et une peine sans fin. Oh, si tous les hommes jugeaient sa possession comme celle d’une terre ingrate, quel accord régnerait dans le monde, que de tracas on s’épargnerait ! Comme nous vivrions tous en bonne amitié, si les intérêts qui naissent de l’honneur et de l’argent venaient à disparaître ! Je crois que toutes choses trouveraient remède. »
Thérèse d’Avila
Livre de la vie
Traduit par Jean Canavaggio
in Thérèse d’Avila — Jean de la Croix, Œuvres
Bibliothèque de la Pléiade, 2012
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mercredi, 13 février 2013
Alejandra Pizarnik, « L’Enfer musical »
La parole du désir
Cette texture spectrale de l’obscurité, ces mélodies au fond des os, ce souffle de silences divers, cette plongée en bas par le bas, cette galerie obscure, obscure, cette manière de sombrer sans sombrer.
Qu’est-ce que je suis en train de dire ? Il fait noir et je veux entrer. Je ne sais quoi dire d’autre. (Je ne veux pas dire, je veux entrer.) La douleur dans les os, le langage brisé à coups de pelle, peu à peu reconstituer le diagramme de l’irréalité.
De possessions, je n’en ai pas (ça c’est sûr ; enfin quelque chose de sûr). Ensuite une mélodie. C’est une mélodie plaintive, une lumière lilas, une imminence sans destinataire. Je vois la mélodie. Présence d’une lumière orangée. Sans ton regard je ne saurai vivre, ça aussi c’est sûr. Je te suscite, te ressuscite. Et il m’a dit de sortir dans le vent et d’aller de maison en maison en demandant s’il était là.
Je passe nue, un cierge à la main, château froid, jardin des délices. La solitude ce n’est pas se tenir sur le quai, au petit jour, à regarder l’eau avec avidité. La solitude, c’est de ne pouvoir la dire parce qu’on ne peut la circonscrire parce qu’on ne peut lui donner un visage parce qu’on ne peut en faire le synonyme d’un paysage. La solitude serait cette mélodie brisée de mes phrases.
Alejandra Pizarnik
L’Enfer musical
Traduction et postface de Jacques Ancet
Ypsilon éditeur, 2012
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lundi, 11 février 2013
Eduardo Lourenço, « Montaigne ou la vie écrite »
« À première vue, l’aventure “littéraire” — mais elle est un peu plus que cela — de Montaigne ressemble à celle à venir, toute proche de la sienne dans le temps, celle de Don Quichotte. Pour tous les deux, la naissance a lieu à l’ombre, ou plutôt à l’intérieur du Livre. Mais la démarche est inversée. Don Quichotte veut que la réalité se conforme au texte où sa vie idéale est déjà vécue. Cette vie idéale, d’ailleurs, ne lui appartient pas en propre. Elle est la forme pure de la réalité dont le modèle n’est autre que Notre Seigneur Jésus Christ, comme l’a bien compris Unamuno. Il faut faire descendre la vérité, du ciel sur la terre, au moment où elle s’éloigne. La défaite et la désillusion sont assurées d’avance. Montaigne — enfant ébloui et enchanté par les Métamorphoses comme nos enfants par Tintin, l’adulte trouvant chez Sénèque ou Platon sa nourriture idéale — lit et découvre le Livre comme livre, autrement dit, comme jeu de fiction. Mais cette fiction a la propriété de le rendre “réel”, et de le soustraire à l’ennui ou à la contrainte des obligations qui l’empêchent d’être libre et heureux. Toute sa vie a été modelée par le principe du plaisir. Cet homme qui passe pour le plus attentif à la trivialité, qui voudrait presque être pris pour Sancho, est rêveur forcené. “Mon royaume pour un cheval” est une trouvaille de son plus génial lecteur, mais sa devise fut bien moins celle, devenue cliché, de la suspension de son jugement que celle de “mon royaume pour un coin de rêve”. Dans sa langue de seigneur de sa volonté et de ses mots, il a appelé ce coin de rêve “son arrière-boutique”, ce lieu où il peut se retirer à loisir, ce lieu que personne d’autre ne peut occuper, espace de nudité du corps et de liberté de l’esprit, pure et bienheureuse solitude. Comme un livre, précisément. Je crois que personne avant lui n’a su, avec une aussi parfaite science, que ce sont les livres qui nous lisent. Il en va de même de la parole qui ne vit que de l’écho qu’elle suscite : “la parole est moitié à celuy qui parle, moitié à celuy qui l’escoute”. Toutefois, pour se dire le plus universellement possible il faut “s’écrire”, il faut devenir Livre, moins pour s’écouter que pour écouter l’autre, le monde ou l’autre soi-même auquel nous n’accédons qu’en transcrivant de la façon la plus directe et la plus drue le Livre que nous sommes. Ce n’est pas la réalité qui attend du Livre son salut, comme le croit Don Quichotte, c’est le Livre, quand il retrouve dans le réel sa fiction, qui nous libère, tous ensemble, de la réalité et de la fiction. Ce que Montaigne a compris, c’est qu’aucune réalité n’est plus fictionnelle que notre propre réalité, que le livre qui aurait un tel dessein — comme c’est le cas des Essais — serait, sur le mode de l’anti-fiction délibérée, le plus fictionnel des livres. »
Eduardo Lourenço
« Montaigne ou la vie écrite »
in Montaigne 1533-1592
accompagné d’un texte de Pierre Botineau, « L’Exemplaire de Bordeaux »
et de photographies de Jean-Luc Chapin
L’Escampette/Centre régional des lettres d’Aquitaine, 1992
repris seul sous le titre Montaigne ou la vie écrite
L’Escampette, 2004
Troisième page pour fêter les 20 ans de L'Escampette
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samedi, 09 février 2013
Véra Pavlova, « L’animal céleste »
« La pensée est imparfaite
si elle ne tient pas en quatre vers.
L’amour est imparfait
s’il ne tient pas dans un seul ah !
Le poème se refuse
si je cherche le mètre et la rime.
La vie est incomplète
si elle ne tient pas dans un seul oui.
Pourquoi le mot oui est-il si court ?
Il devrait être
plus long que les autres,
plus difficile à prononcer,
de sorte qu’il faudrait du temps
pour y penser vraiment,
pour oser le dire,
au risque de se taire
en son beau milieu »
Véra Pavlova
L’Animal céleste
anthologie traduite du russe
par Jean-Baptiste & Hugo Para
L’Escampette, 2004
Seconde page pour fêter les 20 ans de L'Escampette
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jeudi, 07 février 2013
Jean-Yves Masson, « Poèmes du voleur d’eau»
lxi. Description d’un jardin
Je me souviens d’un jardin d’encre dans un livre
que l’on avait déplié contre le mur,
où l’on suivait des yeux la forme des nuages
que le pinceau avait décrite avec douceur.
Dehors, dans les jardins, je retrouvais l’œuvre du peintre,
les arbres d’encre torturés qui se dressaient
devant l’étang, refusant d’affronter le ciel
et protégeant la terre éprise de leurs branches.
Et je me suis penché vers l’eau dormante
qui formait dans les joncs un signe d’eau.
Moi, le fils d’Occident, sur la terre orientale,
je contemplais, en ignorant, le fruit de la sagesse
d’un lettré du Japon qui avait fait tracer
dans ce jardin avec de l’eau le nom de l’eau.
Et tel est l’art : non pas expliquer mais comprendre,
et ne cacher que ce que l’on veut faire voir. »
Jean-Yves Masson
Poèmes du festin céleste
L’Escampette, 2002
Nouvelle rubrique, quand le temps le permet,
pour fêter les 20 ans de L'Escampette
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mardi, 05 février 2013
Hélène Mohone, « de loin »
(elle)
mal j’ai si peu le grand fracas et ta bouche répète après moi le grand fracas et ta bouche la mienne te suit trace va le dire répète les grands mensonges que seuls les anges dénoncent j’ai très peu de toi si faible un doux caillou ta silhouette très loin presque un brouillard tu dis un grand fracas j’ai si peu une tristesse à tout verser sur le chemin menus éclats à tout recouvrir une étrange plainte et terrible à recommencer à sucer son doigt tu dis chuchote j’ai si peu une tristesse toi qui marches ou marches-tu
Hélène Mohone
de loin
Atelier de l’agneau, 2008
en pensant à Hélène ce matin
12:18 Publié dans Écrivains, En fouillant ma bibliothèque | Lien permanent | Tags : hélène mohone, de loin, atelier de l'agneau
mercredi, 30 janvier 2013
Gérard Haller, « L’ange nu »
« c’est comme un jeu. Voici. Le sexe au centre
exact de l’image, la trouant on dirait
ou l’ouvrant sur sa propre béance dessous,
intouchable, et tous les corps autour à toucher.
Nus oui : à même la toile nue de l’image
ici ensemble éclosant. Étoiles, étoiles
et fleurs oui. Elle debout nue au beau milieu
de la prairie comme ça et toutes les fleurs
autour et l’herbe innombrable et le lait
depuis toujours répandu de la lumière.
C’est pour toi elle dit. Et le rose aux joues
et les lèvres rouge sang. Regarde. La chair
à vif bleue jaune rouge du vieux masque peint
pour l’amour et la crinière violacée de Méduse,
regarde, les serpents oui, et le lit de neige
là-bas séchant au soleil et le ciel au-dessus
déclos noircissant déjà. C’est pour nous
elle dit ça serait pour nous maintenant
si tu veux
elle attend. On ne sait pas. Le geste, le mot
qui ferait tout recommencer
tu veux ?
elle demande. Répétant devant moi le geste
d’Émy là-bas pour me montrer. C’était l’été
je me souviens c’était dans le même pré déjà,
lumineux, le même nid dedans la lumière,
et elle s’est mise nue, c’est pour toi elle a dit
déjà et elle a penché la tête un peu aussi
comme ça et pris ma main je me souviens
mes doigts dans sa main et m’a fait toucher.
Tu veux ? Elle m’a montré. C’est là le trou
dedans intouchable qui fait venir tout
dehors. J’avais peur. C’était la première fois.
Elle riait. Regarde elle a dit c’est là le bord
pour nous du ciel
tout ce qu’il y a / c’est tout ce qu’il y a / là
et pas là / noir elle dit vide dessous sans
fin puis lumière et retour / vie et mort / corps oui
finis / passant seulement / suspendus ainsi
ensemble ici au bord du noir / c’est ça qui est
beau elle dit
ce cœur au bord
être là c’est tout / mains yeux lèvres et tout ça
se confiant comme ça tout l’amour
tu veux ? C’est maintenant si tu veux »
Gérard Haller
L’ange nu
Édition Solitude, 2012
Cette page est dédiée à Sophie pour son anniversaire.
Merci à Isabelle pour la photo de Gérard.
La peinture est de František Kupka, La petite fille au ballon, 1908,
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne
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lundi, 28 janvier 2013
Franck Venaille, « Chaos »
« Je crois à la parole rare.
À ce qui protège des mouvements de foule du langage.
Hier ! Demain ! & ce bien étrange aujourd’hui.
Tout cela forme ce que je crains : des figures de carnaval (l’horreur des masques)
Nous sommes un groupe. Nous sommes compagnons de voyage. Nous irons ensemble longtemps je crois.
Mais pour cela il faut que je me force pour oublier la langue du père.
Ici & ailleurs.
J’en ris nerveusement.
Pourquoi faut-il que, dans la version sexuelle de l’amour, on se dévore les bouches ? On aurait
pu imaginer quelque chose de nettement différent ! (plus angélique !)
C’est parce que je crois au langage que je ne puis vous répondre, dit-il.
Dit l’enfant. Celui que nous portons en nous.
Dit encore le-petit-de-la-douleur-première. »
Franck Venaille
Chaos
Mercure de France, 2006
11:35 Publié dans Écrivains | Lien permanent | Tags : franck venaille, chaos, mercure de france