jeudi, 19 novembre 2020
Bernard Noël, « La chute des temps »
Bernard Noël, 27 novembre 2010, bibliothèque Mériadeck, Bordeaux ©CChambard
Ritournelles 11, Le corps écrit.
[…] l’avenir n’est pas un jour plus un jour
il est maintenant
oh dis-je
si tu ne veux pas de moi
le toi ne pourra te revenir
pas plus que ton image de moi
ne pourra sortir de toi
nul n’est en soi hormis les anges
ton image criera en moi
oh injuste
injuste et mon souffle emportera
le visage qui sur ton visage était
la beauté de mes yeux
et il restera tout à dire encore
de notre vivant puis tu marcheras
sur mon ombre poussant
du pied ce petit tas de mots
le désir
le désir fut ce glissement
vers l’immédiate éternité
le cœur
battant le venir battant
pour que la forme du présent
soit la même que ce battement
quel amour les pierres blanches
autour du lit et l’air
entre les doigts coulant
un silence la peau de l’œil
fraîche les mains cousant
une lumière
je n’écrirai plus
disais-je et tu me répondais
il faut que vive de nous
ce qu’aucune peau ne protège
et qui n’a pas même de chair
pour en mourir […]
Bernard Noël
La chute des temps
Textes/Flammarion, 1983, réédition Poésie/Gallimard, 1993
Aujourd'hui Bernard Noël a 90 ans. Bon anniversaire Bernard.
Dédicace spéciale à Sophie, depuis 1973.
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samedi, 02 mai 2020
Malcolm Lowry, « Deux poèmes »
© Júlio Pomar
« Poème bizarre
J’ai connu un homme sans cœur :
Il dit que des enfants le lui ont arraché
Et l’ont donné à un loup affamé
Qui s’est enfui l’emportant dans sa gueule.
Et les enfants ont fui avec l’instituteur ;
L’animal aussi s’est enfui bien vite,
Et derrière lui, bizarre poursuite,
Titubait encor cet homme sans cœur.
J’ai vu cet homme l’autre jour,
Gonflé d’un orgueil ridicule,
Le cœur remis en place et la mine égayée ;
À son côté, tout radouci, trottait le loup.
Pierres blessées
Parfois l’enfant ne sait pas dire son chagrin,
Mais il entend, le soir, les étranges présages
Qui annoncent aux pierres blessées, à même le sol,
Leur libération, ou il apprend que les pierres
Cœurs brisés, ont parfois l’éclat dur d’un langage.
Le bruit de la mer rugit au vestiaire
— Et un reproche ; mais cela même est rassurant :
Un reproche de moins entre lui et la mort…
Et là, sur le tapis devant la cheminée,
Il regarde l’enfer et voit son avenir
— Qui sait, peut-être une chambre de chauffe ? —
Pourtant l’enfant, je pense, a connu des fous-rires
(On dit que de la vie ce sont les seuls remèdes),
Et puis, n’eût-il pas survécu,
Saurait-il que Rimbaud a connu ces chagrins,
Rimbaud dont l’âge d’homme aussi, comme le sien,
Fut déserté d’amour et privé de langage ? »
Malcolm Lowry
Pour l’amour de mourir
Traduit par J.-M. Lucchioni
Préface de Bernard Noël
Goauches découpées de Júlio Pomar
Coll. Le Milieu, éditions de la Différence, 1976
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mardi, 28 avril 2020
Claude Margat, « Chant de l’arbre d’or »
© : les Yeux d'Izo
« Un jour
la bouche a nommé
brume qui jamais ne se lève
l’appui sans parole
le souffle sans image
combien de jours avant
combien ?
Il y eut ensuite
cet autre jour
millénaire de désirs et de peine
entre ciel et sentier
l’herbe gelée sous un vent blanc
et dans les yeux
de longues histoires d’aveugles
Ailleurs
un azur impeccable
laissait suinter sang et sable
présent passé qu’importe
mur de soie ou feuillage d’or
si s’interrompait le murmure des choses
qui en retrouverait la mélodie ?
Le regard va
un autre au sein du même attend
présence de chose
remplace la chose
mais n’en fait rien
Le tourbillon de vent
qui porte l’âme
et fait voler à l’angle du vieux mur
les feuilles mortes
est comme aujourd’hui
celui qui tourne
dans le creux de ta main
il parle
mais qui l’écoute ?
On dit en effet qu’un jour parfois
le temps cesse d’aller
mais est-ce d’aller qu’il cesse
ou de venir
le temps ?
Dans l’âtre tout à coup
le feu s’emballe
au cœur du brasier apparaît
la caverne où naquit
l’immaculé Phénix
chaque mot comme un nuage
avance entre son ombre et son contraire
chaque vivant
vers sa propre absence
Tout au loin
tout au fond de
l’hermétique mémoire s’affranchit
l’écume de la vague où
le rocher commence
à se pencher vers le caillou
l’arbre vers l’air
le ciel vers la terre
la pensée vers son propre suspend
On sait bien qu’il vient de loin
le puissant appel
on sait qu’il vient d’avant
comme un grand vent d’espace et
qu’à l’endroit où l’élan s’épuise et
fait retour sur lui-même
bat le temps juste
le temps qui anime l’aile et porte
la lumière où rien
jamais
n’est encore joué. »
Claude Margat
En marge d’une vie
Préface de Bernard Noël
L’Atelier du Grand Tétras, 2016
en prime, le film consacré à Claude par les yeux d’Izo :
https://www.youtube.com/watch?time_continue=8&v=KM1MODCix2A&feature=emb_logo
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mercredi, 01 avril 2020
Wallace Stevens, « La maison était tranquille et le monde était calme »
DR
« La maison était tranquille et le monde était calme.
Le lecteur devint le livre ; et la nuit d’été
Fut comme l’être conscient du livre.
La maison était tranquille et le monde était calme.
Les mots furent parlés comme s’il n’y avait pas de livre,
Sauf que le lecteur s’inclinait vers la page,
Voulait s’incliner, voulait être avant tout
L’étudiant pour qui son livre est vérité, pour qui
La nuit d’été est comme la perfection de la pensée.
La maison était tranquille parce qu’elle devait l’être.
La tranquillité faisait partie du sens, partie de l’esprit :
Accès parfait à la page.
Et le monde était calme. La vérité dans un monde calme,
Dans un monde où il n’y a pas d’autre sens, lui-même
Est calme, lui-même est l’été et la nuit, lui-même
Est le lecteur qui se penche et qui lit. »
Wallace Stevens
Description sans domicile
Choix traduit de l’américain et préfacé par Bernard Noël
Unes, 1989
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vendredi, 13 octobre 2017
Israël Eliraz, « Hölderlin »
© : patrick soulard
« tous les Dieux dansaient et celui qui dansait
se déguisait en Dieu. Facile et difficile. Facile de vieillir,
difficile de mûrir, pensait Hölderlin, écrivait Hölderlin.
Dans le rêve, il enlevait de son visage
le nez rouge à moitié mort, il pensait : quand ça
m’arrivera ? Hölderlin écrivait, lisait, gommait.
Comment déplacer une pierre sans être un loup ou Krishna ?
Le vide dans la pierre c’est du feu. Hölderlin pensait, écrivait,
déchirait et n’envoyait pas de lettres à
sa mère morte depuis des années comme elle le lui
avait dit, hier, avant de monter dans le train (il venait
d’être inventé). Le train se dirigeait vers le nord. Vers où ?
Hölderlin, dans sa poitrine courait après lui. Il se réveilla. Dans
la stupeur les poux remplissaient ses poches usées »
Israël Eliraz
Hölderlin suivi de Les villes saintes se répètent
Traduit de l’hébreu par Esther Orner et Laurent Schuman
Coll. Avec (dirigée par Bernard Noël), L’Atelier des Brisants, 2001
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jeudi, 09 mars 2017
Claude Margat, « En marge d’une vie »
DR
« La tradition allègue en Chine que Cang Jie l’ancêtre mythique inventa le langage des caractères entre deux mouvements de la tête. Premièrement, il considéra les traces laissées par les pattes des oiseaux dans l’argile, puis il leva les yeux vers le ciel et aperçut les premières constellations. Abaissant son regard à nouveau, il relia les deux espaces. Ce double mouvement désigne de la façon la plus explicite le chemin de la relation. L’image du mythe est assez belle, mais elle ne dit rien de l’intuition qui conduisit le génial inventeur de l’écriture à coudre deux espaces aussi différents sur le même ourlet de sens. Or, la mise en relation de deux éléments distincts d’une même réalité suppose au minimum l’existence d’un pré-langage, d’une pré-pensée suffisamment riche déjà pour pouvoir produire une formulation capable d’ordonner les signes, de les installer dans un discours, une logique, un fonctionnement. C’est vers ce moment de synthèse qu'il faut se tourner quand on souhaite aborder le comment de la langue. Et il fait sacrément noir dans cette région de la pensée !
Un corps de langue se constitue peu à peu. C’est un corps d’air dont la seule visibilité s’étale en signes séparés par des blancs. L’ombre noire des signes se forme au cours de silencieux et terribles affrontements. À la surface du corps de langue flotte tout le mobilier brisé des univers définitifs.
Nécessaire le transfert, et toujours efficace, mais sans une ombre de concession et pas plus de compassion. Car on en est le bénéficiaire un jour, mais c’est pour en devenir l’esclave demain. Sur la page colorée du monde, nous sommes prestement invités à signer le décret de notre propre anéantissement. Nous est seulement offert ce que nous nous montrons capables de saisir dans l’incessant passage de la présence à l’absence. »
Claude Margat
En marge d’une vie
Avec 9 peintures de l’artiste
Préface de Bernard Noël
L’Atelier du Grand Tétras, 2016
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jeudi, 12 janvier 2017
Bernard Noël, « Le même nom »
Bernard Noël, 8 septembre 2011, Bordeaux © : claude chambard
« — J’ai peur, dit-il en montrant Son livre, il y a là mon nom qui veut me tuer.
— N’aies pas peur, dis-je, tu es déjà mort.
— La peur du nom ?
— Oui, la peur de rien
* * *
Tu vas devenir un nom. Tu l’es déjà. Qui voit l’œuvre de la mort ? Un nom n’est pas un visage. C’est une forme blanche. Un trou plein de rien.
Ce qui disparaît,
ce qui est la langue dans la langue,
l’adieu au sens :
mon corps.
Le nom permet l’indéterminé de la mort.
* * *
J’écris.
Je passe de l’autre côté de mon nom.
Le pas encore et le déjà-plus se
confondent.
J’écris.
je réalise ma mort.
L’usure est usée.
Pourtant, ici même, voici du fait : il restera toujours à l’user.
La pensée de la mort est fuyante,
comme le possible.
* * *
J’écris pour m’abîmer dans mon nom. »
Bernard Noël
Souvenirs du pâle, suivi de Le même nom
Fata Morgana, 1975
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samedi, 30 janvier 2016
Jacques Roman / Bernard Noël, « Du monde du chagrin »
« J. R. – Le fleuve de l’écriture, ses deux berges, la berge de la jouissance, la berge du chagrin, et dans les profondes rainures du fond de son lit, la musique, seule puissance à unir en fête cela qui à fleur d’eau tourbillonne, tourbillonne.
B. N. – L’écriture invente à mesure ce dont elle fait semblant de parler afin de disposer d’un alibi devant la réalité Peu lui importe son sujet, mais il lui en faut un comme outil pour creuser son lit dans l’inconnu. »
Jacques Roman, Bernard Noël
Du monde du chagrin
Paupières de terre, 2006
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mardi, 07 mai 2013
Claude Margat, « Matin de silence »
Claude Margat lisant Matin de silence à Chauvigny ce 5 mai 2013
« ici
en ne regardant rien que l’air
on change aussi de ciel
en changeant de ciel
on change de vue
en changeant de vue
on change de pensée
en changeant de pensée
on change tout naturellement de vie
voici par conséquent
l’heure de l’écoute profonde
le ciel noir du silence
où se mesure chaque pas
un reflet du passé
confirme le présent
le présent confirmé
offre au doute une issue
le monde et l’illusion
peuvent se reconstituer
transformée l’étendue se donne
mais l’œil qui l’examine
s’est une fois encore
perdu de vue »
pages 34 & 84 du livre
Claude Margat
Matin de silence
Préface de Bernard Noël
L’Escampette, 2011
http://www.dailymotion.com/video/xgmiql_claude-margat_cre...
Vingt-et-unième page pour fêter les vingt ans de L’Escampette
12:37 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : claude margat, matin de silence, bernard noël, l'escampette
lundi, 05 novembre 2012
Anne-Marie Albiach, « Le double »
a/ l’absence dans les degrés, l’excès du corps : il disparaît. Hors texte il donne lieu à l’instance de l’accident, à la pliure, elle efface le mouvement de lecture par la traverse d’une pause de papier excédé : un geste prévoit l’issue, l’“exécution” génitale remonte les dates en sens hiérarchique — il s’agit de la terre, gradins, marches hexagonales, issues de l’angle avant toute blancheur à porter sous le nom que dénonce le chiffre Suspendu dont l’absence dans le lieu vertical désigne le sens “clôture” l’instant du corps qui “… ne tombe pas” : l’horizon graduel dénonce l’italique elle a toujours froid depuis…
b/ positif, espace : donnée
la masse soutient une diagonale, se creuse dans la coupure vers le mouvement sectionné en libre cours du sujet qui s’abstrait, l’objet immédiat pénètre la lumière ; l’absence de l’objet mène à son détour, la dalle notifie ses degrés au premier plan daté
l’Objet. entre parenthèses, il exécute l’attrait à la terre Le sol se dissout, il résout l’équation de la disparité Un pas dans le froid avait-il suscité une image, telle “fragilité” alors qu’il disparaîtrait innervé de chaleur et de froid Se prend répétitif le sujet qui s’absente et devient objet : élaboré à cet “entretien de la surface”, tremplin labial, il s’énonce empreint à l’extrême de la corporéité Les outils arpègent le sens de la disparition, la distance donne le lieu géographique : la pierre suggère une fiction, support attentif Le texte se lit dans la désignation de la main ; balbutiements à son élaboration, une page double l’absence et la présence ; alternativement le sujet et l’objet deviennent cette “épaisseur” de livre et se réduit-il au geste qui lui rend l’identité, corpus en excès sur lequel le “doigt” accentue la pliure sans cesse récidivée : labeur liquide « dans la bouche ÷ de pleine terre” »
Anne-Marie Albiach
Mezza Voce
Coll. Textes dirigée par Bernard Noël
Flammarion, 1984
La voix d’Anne-Marie Albiach lisant Mezza Voce :http://mediamogul.seas.upenn.edu/pennsound/authors/Albiac...
Merci à Angèle Paoli pour le lien.
Anne-Marie Albiach, née en 1937, est morte hier dimanche. Quel sale automne.
16:03 Publié dans Écrivains | Lien permanent | Tags : anne-marie albiach, bernard noël, flammarion