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  • Michaël Gluck, Caroline François-Rubino, « Sur l’aube d’un ciel taché d’encre »

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    « janvier

    […]

    28

    j’apprends peu à peu

    à m’effacer dans le poème

     

    29

    resteront peut-être

    quelques murmures d’encre

     

    30

    pupilles nos poupées se noient

    dans l’encre noire des regards

     

    31

    tenir chaque matin

    un monde entre deux lignes »

     

    Chaque matin, du 29 août 2013 à fin août 2014, Michaël Gluck a écrit un distique. Caroline François-Rubino a ensuite fait un dessin pour chaque page du livre édité en janvier 2018. Cette page, complète, recopie la fin du mois de janvier 2014.

     

    Michaël Gluck

    Sur l’aube d’un ciel taché d’encre

    Dessins de Caroline François-Rubino

    Propos2éditions, 2018-05-29

    http://www.propos2editions.com/

  • Fabio Pusterla, « Le merle »

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    DR

     

    « À la clarté de l’aube

    s’il siffle,

    et si le jour n’est pas plus

    qu’une fente grise à l’intérieur du froid,

    personne ne peut l’entendre : dans le garage

    il fait encore nuit. Sursauts de tôle,

    sporadiques. Drapeaux bleus immobiles.

    Sur la glace,

    un souffle de vent passe, presque un frisson,

    un câble d’acier bat. Et s’il fouille

    dans le noir des plumes avec le bec, s’il cherche

    entre les cailloux une miette, un fil d’herbe verte

    peinant dans la fissure,

    regarde-le, regarde mieux : voilà, un moteur

    tousse derrière le coin,

    l’épuisement dure, ponctuel, opiniâtre. Mais le merle

    sautille, lève la tête,

    s’envole. »

     

    Fabio Pusterla

    Deux rives

    Traduit de l’italien par Béatrice de Jurquet & Philippe Jaccottet

    Préface de Béatrice de Jurquet

    Postface de l’auteur

    Bilingue

    Coll. D’une voix l’autre, Cheyne, 2002

    http://www.cheyne-editeur.com/index.php/d-une-voix-l-autre/184-deux-rives

  • Chaïm Grade, « Et de moi vous direz encore »

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    DR

     

    « … Et de moi vous direz encore :

    C’est parmi nous qu’il a vécu,

    Comme souterraine une aurore

    Sur ses lèvres, tel un fétu,

    Flottait l’étonnement muet

    D’un enfant, poète perdu ;

    Son rire en fusant avouait

    Ce que sa douleur avait tu.

    Balbutiant une prière

    Quand on évoquait son foyer,

    Dans ses yeux on voyait briller

    Son pays natal, sa rivière.

    Ses amis le persécutèrent,

    Par sa solitude opprimé

    Il disait : “Le bonheur sur terre

    C’est être un coteau dans les près.”

    Et pourtant il était bourrasque,

    Au froid biseau de sa pensée

    Son sang laissait d’amères traces

    Par son seul sourire effacées.

    D’être suspect il a souffert

    Plus que du réel âpre et dur —

    Rêver le coupa comme verre

    Au milieu de son âge mûr.

     

    De moi vous parlerez encore,

    Mais moi, pour vous, comme un torrent

    Sort des grottes plus transparent,

    De mon chagrin, telle une aurore,

    Je sourdrai plus étincelant. »

     

    In Anthologie de la poésie yiddish. Le miroir d’un peuple

    Présentation, choix et traduction de Charles Dobzynski

    Poésie/Gallimard, 2000 (pour cette édition)

  • Carl Rakosi, « Amulette »

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    DR

     

     

    « La déclaration de Pierrot

     

    Je vais répudier ma pureté maintenant

    et trouverai mon art en d’autres hommes

    avant de finir comme une chandelle

    dans la chambre d’une vieille fille.

     

    J’en ai assez d’user mon siège

    à regretter de n’être pas Shakespeare

    et à essayer de faire que ma lecture

    s’approche d’un âge comme le souvenir

    du visage d’une mère, en restituant faiblement

    ici une dent et là un sourire

     

    ou en pinçant un luth

    et en chantant un madrigal

     

    Ce n’est pas le moment

    de se pencher sur le passé. »

     

    Carl Rakosi

    Amulette

    Traduction de l’américain : Philippe Blanchon en compagnie d’Olivier Gallon

    Suivi d’un entretien avec Carl Rakosi

    La Barque, 2018

    http://www.labarque.fr/livres22.html

  • W. G. Sebald, « Les émigrants »

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    DR

     

    « Nous partions aussi à la campagne, les jours où il faisait particulièrement beau, pour découvrir le règne végétal ou, sous prétexte d’herboriser, nous occuper tout simplement à ne rien faire. Pour ces sorties qui avaient lieu le plus souvent au début de l’été, il arrivait que se joignît à nous le fils du coiffeur et “croque-mort” Wohlfahrt, qui passait pour n’avoir pas toute sa tête. D’âge indéterminé et d’une humeur infantile et toujours égale, ce grand échalas que personne n’appelait jamais autrement que Mangold, vocable qui désigne à la fois un prénom et ce légume filandreux qu’est la bette, était aux anges quand il pouvait nous accompagner, nous qui n’étions même pas encore adolescents, et nous faire la démonstration que, bien qu’incapable de venir à bout du calcul le plus élémentaire, il était en mesure de dire à quel jour de la semaine correspondait n’importe quelle date prise au hasard dans le passé ou le futur.

    Ainsi, si l’on disait à Mangold que l’on était né le 18 mai 1944, il répondait aussitôt que c’était un jeudi. Et quand on essayait de le mettre à l’épreuve en lui posant des questions plus difficiles, comme la date de naissance du pape ou du roi Louis, il nous disait illico qu’il s’agissait de tel jour ou de tel autre. Paul, qui lui-même était excellent mathématicien et de surcroît très bon en calcul mental, essaya des années durant, en le soumettant à toutes sortes d’expériences et de tests sophistiqués, de percer le secret de Mangold. Mais autant que je sache, ni lui ni personne n’y parvint jamais, pour la simple raison que Mangold ne comprenait presque rien aux questions qu’on pouvait lui poser. »

     

    W. G. Sebald

    « Paul Bereyter », in Les Émigrants — 1992

    Traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau

    Actes Sud, 1999

    Max Sebald est né le 18 mai 1944.

    Bon anniversaire Max.

  • Patrick Varetz, « Rougeville »

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    DR

     

    « Oui. Pourquoi continuer de m’appeler Rougeville puisque les âmes, ici, à l’instar des façades des maisons qui les abritent, semblent accepter comme une fatalité l’idée de devoir noircir ? Les crises se succèdent, leurs effets s’additionnent, et la contamination gagne. Comment pourrait-il sérieusement en être autrement ? Dois-je vous rappeler les scores réalisés par les tenants de l’extrême droite lors des trois dernières élections ? Autrefois, on vous envoyait au fond de la mine – parfois dès votre plus jeune âge –, et le maigre salaire que vous en rapportiez, tous les quinze jours, servait à alimenter l’économie locale. Mais qu’en est-il à présent, quand il y a de moins en moins de travail et aucune perspective ? Pour exister c’est comme partout : les gens n’ont de cesse de courir confier leur argent – celui bien souvent de l’allocation chômage ou des minima sociaux – aux grandes enseignes du commerce mondialisé (celles-là même qui répandent le vide autour d’elles). Au siècle dernier et au siècle d’avant, les puissants qui nous faisaient courber la tête habitaient encore de grandes maisons sous les fenêtres desquelles ont pouvait – les cas échéant – aller défiler pour hurler sa colère. Mais aujourd’hui, vers qui se tourner ? On ignore jusqu’à l’endroit où se cachent ceux qui nous ont abandonnés. C’est sans doute pour cela que chacun peu à peu se replie dans le silence, occupé – faute de mieux – à cultiver la haine de l’étranger qu’il a cessé d’être. Oui. Car c’est soi-même que l’on apprend à détester. […]

     

    Passé la quarantaine, je m’étais finalement mis à écrire de la littérature avec les mots d’un autre. Chaque phrase que j’alignais à la suite des précédentes, avec le sentiment d’avancer au jugé, venait résonner étrangement à mon oreille (comme une langue inconnue). Jamais de tels propos, animés par de telles pensées, ne me seraient un jour sortis par la bouche. Alors que je prenais un malin plaisir à retourner fouiller parmi les ténèbres de mes origines, je devenais pour toujours – comble de l’ironie – étranger à moi-même. Sur la base de quelques souvenirs décousus, je m’ingéniais, d’un livre à l’autre, à reconstituer l’apparence d’une existence cohérente (et je m’inventais, pour faire bonne mesure, un personnage en capacité d’incarner cette fiction). Je déballais tout, la faiblesse de caractère de mes parents, leur propension au renoncement et à la défaite, la violence et la folie qui marquaient leur destin, n’hésitant jamais – en l’espèce – à grossir le trait, et donc à le noircir. La seule chose au fond que je m’interdisais, c’était de situer l’action à Rougeville (tant j’étais convaincu que l’évocation de ma ville natale ferait figure de lieu commun). »

     

    Patrick Varetz

    Rougeville

    La Contre Allée, 2018

    http://www.lacontreallee.com/catalogue/les-p%C3%A9riph%C3%A9ries/rougeville-promenade-%C3%A9l%C3%A9giaqu

     

    en complément, https://www.humanite.fr/le-bassin-minier-vu-par-de-rougeville-marles-les-mines-654566

     

  • John Keats, « Lorsque me vient la peur de pouvoir cesser d’être »

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    par Joseph Severn, 1819

     

    « Lorsque me vient la peur de pouvoir cesser d’être 

    Avant que ma plume ait glané mon fertile cerveau,

    Avant qu’en haute pile les livres, imprimés,

    Enserrent, greniers pleins, la récolte bien mûre ;

    Lorsque sur la face étoilée de la nuit j’aperçois

    Les immenses symboles nuageux d’une grande épopée,

    Et pense que peut-être je ne vivrai assez

    Pour en tracer les ombres de la main magique du hasard ;

    Et puis lorsque je sens, belle créature d’une heure,

    Que sur toi mon regard ne se posera plus jamais,

    Que jamais plus je ne goûterai au pouvoir féérique

    De l’amour sans souci ; alors sur le rivage

    Du vaste monde, seul je demeure et songe

    Le temps qu’Amour et Gloire s’abîment au néant. »

    22-31 janvier 1818

     

    John Keats

    Seul la splendeur

    Traduit de l’anglais et présenté par Robert Davreu

    Ophée, La Différence, 1990

  • Emmanuel Merle, Philippe Agostini, «Démembrements»

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    « Rien, presque

     

    La pierre, on la croyait à eur de sol,

    on la déloge, avec une pioche,

    c’est la mémoire, terreuse, encore humide

    de ce qui s’est passé. Rien, presque.

     

    On laisse un trou qui ne se comble pas,

    et le ciel le regarde, s’en ferait une orbite

    supplémentaire. Toutes les mémoires

    de tous les hommes, tous les yeux du ciel.

     

    Et le ciel, que voit-il, augmenté de ma mémoire ?

    Rien, presque. De l’électricité de faible

    ampérage, au fond du trou. Des formes

    simples qui crieraient silencieusement

    comme les nuages lorsqu’ils se désagrègent

    ou semblent s’entredévorer.

     

    Ma mémoire n’a que des rapports humains

    minéralisés. Et pourtant mon visage recrée

    quelquefois la sensation d’avant :

    la barbe de mon père,

    une broussaille, quelque chose qui dure

    puisque c’est encore là, possible. Ou

    ce cheval heurté de face, tête à tête,

    et le claquement derrière mon front.

     

    Ou la main d’un enfant sur ma paupière,

    oui, ça revient facilement, je saisirais

    presque le doigt. Presque. Ce serait saisir

    la lumière, comme on saisirait tout le bleu

    d’un monde, d’un seul rapt.

     

    Étranges cicatrices de l’esprit.

     

    Cette capacité de déchirure qu’elles ont,

    sur des visages aimés et incompréhensibles,

    souvenirs de visages

    tendus vers le vide, le sans-retour.

    Aimer, c’est quoi ? Accepter l’assemblage

    nécessaire et étrange d’un visage.

     

    Souvent presque rien, presque. Un magma

    encore tiède au bas de la pente.

    Où est cette maison qui est moi,

    qu’avec moi d’autres ont habitée ?

     

    Ce rien pourtant devrait être une terre,

    une presqu’île qu’on rejoint encore, parfois,

    à marée basse,

    sous la nuit. »

     

    Emmanuel Merle

    Démembrements

    Peintures de Philippe Agostini

    Voix d’encre, 2018

    http://www.voix-dencre.net/spip.php?article343

  • Adèle Nègre, « Résolu par le feu »

    adèle nègre,résolu par le feu,alexis hubert

     

     

    « Longeant la rive

    tu parles folle

    la langue du geste

    un théâtre à l’envi

    elle chante sur le champ

    où tu vis tu titubes ou

    appelle cela danser

    assertive ou tue

    ivre remue

    et entre

    dérive rien

     

     

    Vent qui retourne les pierres

    qui retournent le vent qui rend visible

    le qui-vive

    la face à vif la vie d’affût

    le vent aiguise la haie

     

    lame si je vais au jardin c’est pour sentir

    dans les plis de l’air

    l’air même qui emplit mon air ouvrir

    les dessous de l’œil solaire

    les rais pénétrer l’impénétrable

     

     

    J’ai taillé les sauges

    spirales orageuses couleurs bataille

    dans l’herbe constrictive

    sauges torses à l’image du temps

    les tenailles très hautes gris de Payne

    un miroir de plus

    ses feuilles noir de Mars au revers »

     

    Adèle Nègre

    Résolu par le feu

    Préface d’Alexis Hubert

    Bruno Guattari éditeur, 2018

    http://www.brunoguattariediteur.fr/

  • Séverine Jouve, « Les chercheurs de lumière »

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    DR

     

    « La bibliothèque représentait pour moi bien davantage qu’un simple outil de recherche. Et je pensai aux différentes façons de l’aborder et d’en vivre le rayonnement. Je ne parle pas de cette recherche distraite et furtive d’un livre qui, sans vraie exigence, n’est qu’un vain refus de l’ennui. Mais de l’attente instinctive, espérée comme un vœu qui, sans objet préconçu, nécessite une forme de ferveur. Trouver ce que l’on attendait sans ne rien en attendre au préalable, voilà bien la vraie rencontre, à laquelle il importe peu de donner sens.

    Adossé au monde, le Pavillon des livres est un espace isolé et circonscrit, mais qui n’entend pas se priver des pulsions de l’existence. À sa porte tombe toute rumeur, mais il appelle le même silence chuchotant que le jardin clos.

    Le Pavillon des livres est bien davantage qu’une destination, comme le sont la terrasse aux aromates ou la chambre des armoires. Il est laboratoire et non simple réservoir. Mûrement réfléchi, corrigé comme l’épreuve par la main du poète, il est cet univers de la vie intense et lente, condensé jusqu’à l’expression d’une vérité particulière, mais propre à chacun.

    Le Pavillon des livres représente l’illusion nécessaire pour qui veut connaître l’infinie patience du désert. Édifié en marge, il symbolise cette mise à l’écart de soi que suppose toute création. Il ouvre à la possibilité du pur cheminement qui s’entreprend en solitaire – et avec obstination –, contre le mutisme du monde.

    Le Pavillon des livres est une architecture édifiée avec des mots, inutile à “l’homme du monde” mais nécessaire à celui qui a choisi de vivre sa vie jusqu’au dépassement. Il est cet espace risqué du retranchement où s’annulent temps et histoire. Il est cette chambre où se concentre le désir mais où s’accentue la dispersion. »

     

    Séverine Jouve

    Les chercheurs de lumière Révolutions minuscules

    Préface de François Dominique

    Coll. Amarante, L’Harmattan, 2018

  • Gérard Haller, « mbo »

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    DR

     

    « […]

    et la girafe zarafa et

    la bête aux joues rouges de zara-

    thoustra

     

    oh et la chatte qui a vu jacques

    derrida la voir le voir tout nu

    oui tout chose d’être regardé

    comme une bête lui aussi et

    son chéri hérisson

     

    vois : divin et pas / tout le méli-

    mélo des corps oui tout l’innommé

    peuple depuis toujours qui vient / es-

    pèce par espèce et genres fa-

    milles sous-familles et tout ce qui

    s’ensuit et toujours de nouveau re-

    lance tous les souffles

     

    vois mbo : tous les animaux ici

    avec nous qui s’essouflent et multi-

    plient comme ça le ciel

     

    tout ce qui vit tout ce qui a peur

    la nuit et meugle miaule ulule

    hurle brait brâme etc. et

    appelle

     

    mowgli tu te souviens et le mo-

    queur des savanes et tout ça

     

    le solitaire et le ver de terre

    le ver luisant et le ver à soie né

    bombyx mori et le nécrophore

    fossoyeur

     

    le lamie tisserand de son vrai

    nom lamia textor

     

    le messager sagittaire dit

    le serpentaire dit le secré-

    taire des serpents et l’oiseau maître

    ès ritournelles des forêts plu-

    vieuses d’australie dit sceno-

    poïetes

    […] »

     

    Un autre extrait ici : http://poezibao.typepad.com/poezibao/2018/04/anthologie-permanente-g%C3%A9rard-haller-mbo.html

     

    Gérard Haller

    mbo

    Harpo &, 2018

    http://editionsharpo.blogg.org/

     

  • Joseph Roth, « Le chêne de Goethe à Buchenwald »

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    DR

     

    « […] D’abord Buchenwald ne s’est pas toujours appelé ainsi mais Ettersberg. Sous ce nom, il était autrefois célèbre parmi les spécialistes d’histoire de la littérature : Goethe avait coutume d’y rencontrer fréquemment Madame von Stein ; sous un beau vieux chêne.

    […]

    Devant ce chêne passent chaque jour les détenus du camp de concentration ; c’est-à-dire : on les y fait passer. Vraiment ! On colporte de fausses informations sur le camp de concentration de Buchenwald ; on pourrait dire d’horribles commérages. Il est, me semble-t-il, temps de ramener cela à sa juste mesure : au chêne sous lequel Goethe s’est assis avec Madame von Stein – et qui grâce à la loi pour la protection de la nature pousse encore –, jusqu’à présent, à ma connaissance, pas un seul des détenus du camp de concentration n’a été “attaché” ; bien plutôt aux autres chênes qui ne manquent pas dans cette forêt. »

     

    Dernier texte de Joseph Roth, avant sa mort, le 2 mai 1939.

     

    Joseph Roth

    Poème des livres disparus & autres textes

    Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Boyer & Silke Hass

    Héros-limite, 2017

    http://www.heros-limite.com/livres/poeme-des-livres-disparus-autres-textes