Siegfried Plümper-Hüttenbrink
« Ainsi s’écouterait-on lire, jusque fort tard, dans la nuit, du fond de son oreille. À flotter et s’absorber épongeusement – comme seul un buvard sait le faire – au plus creux de ce que serait notre silhouette de lecteur. L’épelant en aveugle, du bout des doigts se la tâtant hâtivement en tête, la palpant dans sa découpe d’ombre.Silhouette de nous-mêmes, elle l’est, à nous faire toucher à nous-mêmes en notre absence. Tactile – absente – muette.
Penché à la renverse, nous retournant d’entre le froissé des pages, dans un corps tenu en éveil, comme blanchi de son ombre, chu en inertie… Une sorte de poids mort, de gisant dont seule l’ouïe resterait vive, et que serait le corps lisant d’un dormeur qui n’en finirait pas d’enregistrer une espèce d’histoire à dormir debout. »
De la lecture
La main courante, 2006
« Je suis un poète français. Je travaille pour la France. Je travaille à la France. J’écris en français. Je serai un poète de la France. J’écris en langue française. La langue française est le peuple français. Il n’y a pas de peuple de France sans la langue de France. La langue de la France n’existe qu’à travers ses poètes, la langue est une langue quand elle est une langue vivante, le poète vivifie la langue, rend la langue vivante, elle est vivante, elle est belle. Le peuple français se définit d’abord par le peuple qui parle français. Le peuple français parle français grâce à ses poètes qui vivifient sa langue. Le poète sauve la langue, sauve le peuple, sauve la France. Le poète qui sera reconnu patrimoine national de la nation, je suis français, j’appartiens au patrimoine national de la France. Je suis un poète de la France. »
« La balustrade du rêve au petit jour
« En tout être, il y a une étincelle, qu’il peut laisser s’éteindre ou entretenir jusqu’à ce qu’elle l’embrase tout entier. Pour le feu, cela ne fait guère de différence, mais cela en fait pour la vie qui s’éclaire ainsi. Servir le feu : retourner au feu. »
« Vous y êtes vous n’y serez plus.
« (ou est-ce perdu)
« Mais enfin un lit, même improvisé, n’est-il pas toujours un lieu que l’amour rend inaccessible, puisqu’il prescrit tout autre chose que le spectacle pour lequel il est préparé : dormir ? Nous dormons dans l’amour, en effet, mais nous introduisons un espace insoupçonné qui fait apparaître le véritable centre de la scène, la pure réciprocité. Je te caresse, tu me domines. Je te parle, tu me boudes. Je te touche, tu m’écartes. Cependant, si je ne suis qu’un point rose, je suis auprès de toi en proportion avec le ciel et la nuit où nous brillons. »
« Nous vivons dans la crainte perpétuelle d’être attaqué par des bêtes dangereuses ou des ennemis féroces : le manteau magique du conte permet toutes les transformations et nous met rapidement hors d’atteinte. Combien il est difficile dans la réalité d’atteindre à un amour qui comble tous nos désirs : le héros du conte est irrésistible, ou bien il séduit d’un geste magique.
« Je me suis demandé comment la mort passait sous la langue.
Paul Celan
« Elle croyait naïvement qu’écrire allègerait sa peine, ouvrirait une brèche. Les mots n’empêchent pas de se cogner contre les murs, l’ivresse est brève de sentir les ailes du temps battre à ses tempes. L’écriture lui apporte le trop-plein de la conscience en effervescence et c’est dans ces alluvions brassées par le courant cérébral qu’elle accède momentanément à la vie. »