vendredi, 12 février 2021
Gustave Roud, « Le bois-gentil »
photogramme du film de Michel Soutter, Gustave Roud, poète, 1965
« Un petit arbuste aux lisières des forêts, aux pentes des ravins, parmi les broussailles des clairières, dans les jeunes plantations de hêtres et de sapins. Mais pour le promeneur d’avant-printemps, qui se repose sur la souche humide et ronde, couleur d’orange, des fûts fraîchement sciés, ce n’est tout d’abord qu’une gorgée d’odeur aussi puissante qu’un appel. Il se retourne : là, parmi le réseau des ramilles, à la hauteur de son genou, ces deux ou trois taches roses, d’un rose vineux, le bois-gentil en fleur ! Qu’il défasse délicatement les branches enchevêtrées, qu’il se penche sur l’arbrisseau sans en tirer à lui les tiges, car un geste brusque ferait choir les fleurs rangées en épi lâche, par petits bouquets irréguliers à même l’écorce lisse d’un gris touché de beige. Chacune, à l’extrémité d’une gorge tubulaire, épanouit une croix de quatre pétales charnus, modelés dans une cire grenue et translucide, dont les étamines aiguisent le rose, au centre de la croix, d’un imperceptible pointillis d’or. Et de chacune pleut goute à goutte ce parfum épais et sucré comme un miel où chancelante encore de l’interminable hiver s’englue irrésistiblement la pensée.
Mais qu’il tienne couteau en poche, celui qui voudrait cueillir le bois-gentil ! À tenter de le rompre avec ses seuls doigts, il ne parvient qu’à déraciner toute la plante ou sinon, c’est une baguette nue qui lui reste dans la main, avec des lanières de tenace écorce déchirée et leur odeur vireuse, comme celle de certains champignons mortels.
Gustave Roud
Les fleurs et les saisons
Photographies de l’auteur
Édition préparée et postfacée par Philippe Jaccottet
La Dogana, 1991
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jeudi, 19 novembre 2020
Bernard Noël, « La chute des temps »
Bernard Noël, 27 novembre 2010, bibliothèque Mériadeck, Bordeaux ©CChambard
Ritournelles 11, Le corps écrit.
[…] l’avenir n’est pas un jour plus un jour
il est maintenant
oh dis-je
si tu ne veux pas de moi
le toi ne pourra te revenir
pas plus que ton image de moi
ne pourra sortir de toi
nul n’est en soi hormis les anges
ton image criera en moi
oh injuste
injuste et mon souffle emportera
le visage qui sur ton visage était
la beauté de mes yeux
et il restera tout à dire encore
de notre vivant puis tu marcheras
sur mon ombre poussant
du pied ce petit tas de mots
le désir
le désir fut ce glissement
vers l’immédiate éternité
le cœur
battant le venir battant
pour que la forme du présent
soit la même que ce battement
quel amour les pierres blanches
autour du lit et l’air
entre les doigts coulant
un silence la peau de l’œil
fraîche les mains cousant
une lumière
je n’écrirai plus
disais-je et tu me répondais
il faut que vive de nous
ce qu’aucune peau ne protège
et qui n’a pas même de chair
pour en mourir […]
Bernard Noël
La chute des temps
Textes/Flammarion, 1983, réédition Poésie/Gallimard, 1993
Aujourd'hui Bernard Noël a 90 ans. Bon anniversaire Bernard.
Dédicace spéciale à Sophie, depuis 1973.
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dimanche, 08 novembre 2020
Lu Guimeng & Pascal Quignard
Quand le temps ne permet pas, un chinois & une photographie à la rescousse.
Deux poèmes de Lu Guimeng, dans la si belle Anthologie de la poésie chinoise publiée,sous la direction de Rémi Mathieu, à La Pléiade, en 2015. Ici, en bonus, un envoi vers un petit traité de Pascal Quignard – comme on peut le lire sur ma note au crayon –, ”Petit traité X”, Vie de Lu, qui se termine ainsi – ce qui n'est pas rien pour les lecteurs de ce travail à nul autre pareil – : ”Les poissons et les berges, les théiers, les reflets et les eaux regrettèrent sa barque silencieuse.” Bonne lecture.
Les Petits traités de Pascal Quignard, initialement publiés partiellement aux éditions Clivages (entre 1981 et 1984), furent publiés magnifiquement dans leur intégralité à la Galerie Maeght en 1990, et repris depuis en Folio.
20:10 Publié dans Chine, Écrivains, Édition, Je déballe ma bibliothèque, Livre | Lien permanent | Tags : lu guimeng, pascal quignard, anthologie de la poésie chinoise, petits traités, barque silencieuse, gallimard, clivages, maeght, flio
jeudi, 05 novembre 2020
Pascal Quignard, « Sur le caractère garamond dans lequel est composé ce livre »
Emmanuel & Pascal lisant Inter aerias fagos, le 17 mars 2011, à la Maison cantonale de Bordeaux-Bastide, à l’initiative de Permanences de la littérature. Photo © Claude Chambard
« Claude Garamond possédait une très étroite maison sur la rive gauche de la Seine. L’entrée de la maison donnait rue des Grands-Augustins. Mais l’avancée en bois du balconnet finement sculpté et ouvragé de la maison surplombait l’eau. On a conservé une gravure. C’est plutôt un bois gravé. On y voit un saule, des aulnes, une barque noire, une berouette, des barriques. Tournait-il les yeux vers l’est, il voyait les flèches délicieuses de la Sainte-Chapelle que le roi Saint Louis avait fait bâtir dans le jardin fruitier de son palais. Il avait une brouette à deux roues à l’aide de laquelle il longeait la rivière jusqu’à sa boutique. Il était tailleur et fondeur de lettres. Il vendait les lettres de plomb qu’il avait dessinées rue Saint-Jacques, à l’enseigne des Quatre Fils Aymon. Ce fut durant le mois de novembre 1540 qu’il creusa les grandes “lettres grecques du roi”. Les romaines sont d’avril qui suit. C’est dans ce caractère romain de la Renaissance que je faisais composer mes livres pour peu qu’on me permît de choisir mon corps. Emmanuel Hocquard les assemblait patiemment à la main. Il glissait l’étrange tiroir au-dessus du feuillet blanc dans la machine d’imprimerie à bras. Durant tout le mois de novembre 1971 je pesai sur ce bras quand mon ami m’en donnait, de sa voix sourde et empâtée, que j’aimais plus que tout, dont j’aimais l’émotion plus que tout, le signal. La lettre, tel est le veilleur ultime sur la nature du langage. Elle en surveille avec méfiance, avec la plus grande méfiance possible, les pouvoirs qu’elle lui retire. Elle anéantit jusqu’au son qui le fit apparaître en sorte de seulement l’évoquer et de désadresser. On la lit sans bouger les lèvres. Le signe vide, une fois écrit, qui éteint tout dans l’absence, qui ajoute à la langue un silence qui n’appartient en rien à son essence, est le medium du soir. Le medium extrême, obscur, eschatologique, qui dit la fin de tout. Le medium vespertinal qui se fond peu à peu au silence de la nuit stellaire. Il est mort. Mon ami Emmanuel Hocquard est mort dans les congères au-dessus de Tarbes, le matin du dimanche 27 janvier 2019, dans la montagne entièrement prise de glace. »
Pascal Quignard
L’Homme aux trois lettres
Grasset, 2020
Je rencontre Emmanuel Hocquard, chez Mathieu Bénézet, en 1979. L’année suivante, nous avons le projet Mathieu et moi de publier un livre hommage à Thérèse Bonnelalbay, dont on vient de retrouver le corps dans la Seine. Mathieu écrit Résumant ma tristesse dans les mois qui suivent. Nous songeons à Raquel pour faire le travail au noir du peintre. Dès lors je me rends à Malakoff où Raquel et Emmanuel vivent. Dans la cour, quelques écrivains bavardent. Pascal Quignard en est que je lis déjà depuis ses premiers textes dans L’Éphémère. Voilà.
Nous avons, Sophie et moi, composé à la main en Garamond, et imprimé sur nos presses, le livre de Mathieu & Raquel à 44 exemplaires, sur Japon Nacré & vélin de Rives, en mars 1982. Emmanuel et Pascal sont toujours mes amis, à travers le temps, la distance… Lire ce texte de Pascal sur son – nôtre – ami, au cœur de L’Homme au trois lettres, me bouleverse. Aujourd’hui Pascal aurait du être à Bordeaux, la pandémie s’est interposée. « De quoi témoigne le témoin ? / De rien qu’il sache. »
lundi, 02 novembre 2020
Ryôichi Wagô, « Jets de poèmes, dans le vif de Fukushima »
« […]
mon pays natal est un crépuscule
5 avril 2011- 22:25
sur la colline de chair se dresse un château solide il ne s’endort jamais sous la lumière de la lune il se fait imposant au soleil du matin son allure est gracieuse
5 avril 2011- 22 :31
d’innombrables oiseaux volent vers nous amenant la saison nouvelle les canons tonnent annonçant la fin d’une époque mais derrière les murailles du château rien ne change
5 avril 2011- 22 :33
quand je lève la tête le célèbre château dresse haut son donjon comme s’il régnait sur le monde entier comme s’il poussait un cri immobile dans les flammes de l’invasion du temps inébranlable
5 avril 2011- 22 :35
moi qui suis à la fois le seul maître et le serviteur dans les galeries sombres je dégaine mon sabre comme un possédé je le brandis le jour où je serai chassé du château approche inévitablement
5 avril 2011- 22 :38
ah c’est effroyable tranche l’air mets-le en charpie nous sommes seuls au monde toi ô toi tu dois protéger le château toi ô toi tu dois être toi-même jusqu’à la folie
5 avril 2011- 22 :40
enfant qui vas à travers les prairies
5 avril 2011- 22 :54
sur la plante de tes pieds
5 avril 2011- 22 :54
la prière de la Terre
5 avril 2011- 22 :55
sur ta joue le paisible soleil du soir
5 avril 2011- 22 :58
[…] »
Ryôichi Wagô
Jets de poèmes dans le vif de Fukushima
Traduit du japonais par Corinne Atlan
encres sur papier de soie Elisabeth Gérony-Forestier
Coll. Po&psy a parte, érès, 2016
https://www.editions-eres.com/ouvrage/3764/jets-de-poemes
Voici un livre surprenant et bouleversant de Ryôichi Wagô, poète reconnu dans son pays depuis son premier livre en 1999, After, pour lequel il a reçu le prix Nakahara Chuya. Depuis, il n’a pas cessé d’écrire et de publier. Le 11 mars 2011, lors de la catastrophe de Fukushima, où il vit, il choisit de rester dans son appartement. 5 jours plus tard il commence à tweeter ce qui va devenir ce livre – Jets de poèmes (prix de la Revue Nunc), remarquablement traduit par Corinne Atlan et subtilement accompagné d’encres sur papier de soie d’Elisabeth Gérony-Forestier. Chaque jour est accompagné d’indications concernant la catastrophe et ce qui l’entoure. Voici un court extrait, qui sans la copier respecte, autant que faire se peut, la mise en pages des éditions érès qu’il faut saluer pour ce remarquable travail d’édition. « J’avais à peine donné le nom de “jets de poèmes” à mes activités d’écriture entamées hier que l’eau est revenue chez moi. J’avais l’impression que le même sang circulait dans mes veines et dans celles de mon appartement. “Jets de poèmes”, eau qui jaillit. Cela a entrouvert les vannes de mon esprit en panne. Cela a rétabli la circulation entre moi et le monde que j’ai sous les yeux. »
18:18 Publié dans Écrivains, Édition, Je déballe ma bibliothèque, Livre, Poésie | Lien permanent
dimanche, 01 novembre 2020
Yi Sang, « Plan à vol de corbeau »
« Poème n°12
Un ballot de linge sale s’envole dans les airs et retombe. C’est une volée de colombes. C’est une annonce de la fin de la guerre et de la venue de la paix, de l’autre côté du ciel grand comme une paume. La volée de colombes nettoie ses plumes encrassées. De ce côté du ciel grand comme une paume, une guerre sordide qui matraque à mort les colombes commence. Quand l’air est noir de suie, la volée de colombes s’envole encore une fois vers l’autre côté du ciel grand comme une paume.
Image de soi
Ce lieu est le masque mortuaire* d’un certain pays. La rumeur circule aussi que ce masque mortuaire a été dérobé. Cette barbe, herbe pubère à l’extrême nord, a perçu le désespoir et ne pousse plus. Au fond du piège où le ciel est tombé de toute éternité, le testament repose discrètement submergé comme une pierre tombale. Alors des gestes inaccoutumés passant à côté traduisent la gêne d’être sain et sauf. Solennel le contenu finit par se froisser.
* En anglais dans le texte, death mask
Fin
Une pomme est tombée. La Terre est souffrante au point de se briser. Fin.
Déjà plus aucune pensée ne germe. »
Yi Sang – 1910-1937
Plan à vol de corbeau, suivie de « Parole de l’auteur de Plan à vol de corbeau »
Traduit par Cori Smith & Jean-Yves Darsouze, avec la participation d’Olivier Gallon
La Barque, 2019
https://labarque.fr/librairie/livres/auteurs/yi-sang/plan-a-vol-de-corbeau/
J'ai découvert Yi Sang par les bons soins de la William Blake & Cie en 2003, lorsque Bona Kim y publia sa traduction de Cinquante poèmes suivi de Les ailes. Cette publication n'est pas rien qui, 66 ans après la mort de l'auteur à Tokyo — quelle ironie pour lui qui ne connut son pays que sous l'envahisseur japonais et passa outre l'interdit d'écrire dans sa langue natale, à partir de juillet 1933 —, faisait ainsi connaître un travail pour le moins original et décalé. Yi Sang est un mythe en Corée. Il serait temps que l'on se penche sur ses livres (aux Petits matins, chez Zulma, chez Imago) et en particulier celui-ci qui s'inscrit au cœur d'une œuvre résolument liée à la vie, comme le fait fort justement remarquer Olivier Gallon, son nouvel éditeur français.
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samedi, 31 octobre 2020
Suzette Gontard, « Lettre à Hölderlin »
Susette Gontard et Friedrich Hölderlin, gravure sur bois, vers 1870, d’après un dessin de Norbert Schrödl.
« Le matin
J’ai bien dormi, mon tendre et cher, et il me faut te dire à nouveau combien ta lettre m’a fait plaisir et te remercier pour toute cette douce félicité que tu m’as procurée. Ah, ne lis plus ma lettre si elle t’a procuré du chagrin et tiens-t’en à l’avant-dernière que tu as tant aimée. Hier, je n’ai pas pu m’empêcher de réfléchir encore intensément à la passion, – – – La passion de l’amour le plus sublime ne sera sans doute jamais satisfaite sur terre ! Partage avec moi ce sentiment ! Ce serait folie que de chercher à la satisfaire. – – – Cela signifierait mourir ensemble ! – – – Mais je me tais, au risque de passer pour une douce rêveuse, même si c’est tellement vrai, voilà comment la satisfaire. – – Cependant, nous avons des devoirs sacrés envers ce monde. Il ne nous reste qu’à croire l’un en l’autre avec la plus grande béatitude, ainsi qu’au pouvoir tout puissant de l’amour qui, éternellement invisible, nous dirigera et nous unira sans cesse de plus en plus. – – – Être silencieusement résignés ! Faire confiance à son cœur, à la victoire de ce qu’il y a de vrai et de mieux dans le dévouement qui fut le nôtre. Et nous pourrions périr ? – – – Alors, oui, alors tout équilibre disparaîtrait nécessairement et le monde se changerait en un chaos si ce n’était pas ce même esprit de l’harmonie et de l’amour qui le garde et nous garde également ; si cet esprit vit pour toujours dans le monde, pourquoi, comment pourrait-il nous abandonner ? sommes-nous bien en droit de nous comparer au monde ? Et pourtant, il ne peut pas en aller autrement en nous-mêmes, ce qui est valable à grande échelle l’est à petite échelle, et nous ne devrions pas avoir confiance ? Nous à qui tous les jours la nature prouve sa magnificence tout en nous donnant vie et en ne nous témoignant que de l’amour, nous devrions abriter en notre sein une lutte et une dissension quand tout nous appelle à la quiétude de la beauté ! – – – Ô mon tendre et cher, il est évident que nous ne pouvons pas devenir malheureux puisque cette âme vit en nous. Et je sais que la douleur ne nous rendra que meilleurs et nous unira plus fortement.
C’est pourquoi, désormais, tu ne dois pas éprouver du chagrin à l’idée de m’avoir rendue triste. Tu vois, tout sera fini quand tu auras retrouvé ton calme et que je serai forte. Il me faut te dire également que ma confiance en toi est illimitée. Quoi que tu sois, quoi que tu fasses me semblera tacitement juste, je ne me demande pas moi-même pourquoi. La semaine dernière, tu n’es pas venu, tu n’as pas dit hier que tu voulais passer à nouveau ici, que tu voulais revenir ce matin, alors que je te l’ai d’emblée proposé dans ma lettre. Je puis t’assurer que je n’en ai pas éprouvé le moindre trouble, tant ta lettre m’avait rendue heureuse et j’ai simplement pensé que c’était bien sûr de l’amour et je ne me suis pas posé davantage de questions. Et c’est dans la foi qu’on voue à ce sentiment qu’il faut honorer l’inexplicable. Ô mon tendre et cher, mon amour ! Retrouve ton calme, ta sérénité et donne-moi le seul sentiment qui puisse me rendre bienheureuse, celui de te savoir satisfait, et, à ton tour, rends-moi ma sérénité. C’est à ce moment-là certainement, oui, que je serai heureuse. – – – » septembre 1798
Suzette Gontard, la Diotima de Hölderlin
Poèmes, lettres, témoignanges
Édition d’Adolf Beck
Traduction, présentation et notes de Thomas Buffet
Collection « Der Doppelgänger », Verdier, 2020
https://editions-verdier.fr/livre/susette-gontard-la-diot...
15:21 Publié dans Écrivains, Édition, Livre, Verdier | Lien permanent | Tags : suzette gontard, höderlin, diotima, adolf beck, thomas buffet, der doppelgänger, verdier
vendredi, 18 septembre 2020
Wang Wei, « La rivière bleue »
Shitao, Au pied des Monts Jinting, vers 1670
« pour me rendre dans la vallée des Fleurs jaunes,
j’emprunte la Rivière bleue
je longe les montagnes, dix mille tournants,
la distance parcourue est à peine de cent li
dans le vacarme au milieu d’un chaos de rochers,
la couleur apaisante des pins denses
flottent, tanguent les châtaignes d’eau
clairs, immobiles, luisent les jeunes roseaux
mon cœur depuis toujours est serein,
comme la rivière limpide
ah ! rester là sur un grand rocher,
avec une canne à pêche à finir mes jours »
Wang Wei
Le plein du vide
poèmes choisis, traduits du chinois et présentés par Cheng Wing fun & Hervé Collet
Moundarren, 2008, réédition, 2016
https://moundarren.com/livre/wang-wei/
pour Marie-Hélène Lafon & la Santoire
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jeudi, 17 septembre 2020
Wang Wei, « Séjour dans la montagne, décrivant ce qui se passe »
Shitao, Recherche d'immortels, vers 1700
« solitaire je referme mon portail en branchages
dans l’immensité floue face aux rayons du couchant
les nids des grues peuplent les pins
les visiteurs à ma porte rustique se font rares
les nœuds des nouveaux chaumes de bambou sont saupoudrés de pollen
les lotus rouges laissent tomber leurs vieilles robes
à l’embarcadère les feux des lanternes s’animent
de partout les ramasseuses de châtaignes d’eau sont de retour »
Wang Wei – 701-761
Le plein du vide
poèmes traduits du chinois et présentés par Cheng Wing fun & Hervé Collet
Moundarren, 2008, réédition, 2016
https://moundarren.com/livre/wang-wei/
Dédicace spéciale à Arthur & Sophie
17:57 Publié dans Chine, Écrivains, Édition, Je déballe ma bibliothèque, Poésie | Lien permanent | Tags : séjour dans la montagne, décrivant ce qui se passe, le plein du vide, shitao, recherche d'immortels, moundarren, wang wei
vendredi, 11 septembre 2020
Saint-Michel-de-Montaigne, le 29 août 2020
La Tille, ma rivière, à Lux (Côte d'Or)
Nous sommes ici, à deux pas du château d’un ami, Michel de Montaigne, dans cette église de Saint-Michel-de-Montaigne où son épouse, Françoise de la Chassaigne, fit enterrer, selon ses dires, le cœur de l’homme qu’elle aimait avant que son corps le fusse au couvent des Feuillants à Bordeaux. Je dis d’un ami car pour tout lecteur un peu constant de son œuvre – c’est le cas pour toutes les œuvres aimées, n’est-ce pas – Michel de Montaigne est un ami.
Montaigne écrivait à la toute fin de ses Essais : « C’est une absolue perfection, et comme divine de savoir jouir loyalement de son être. » Et plus avant, dans le chapitre X du livre III, où il traite entre autres de sa charge de maire de Bordeaux, il parle de « l’amitié que l’on se doit », que l’on se doit à soi-même mais que je n’entends chez lui bien sûr qu’adjointe à l’amitié que l’on doit à l’autre.
Cette amitié que l’on se doit et que l’on partage, je la trouve dans le travail, des deux auteurs que nous allons entendre ce soir. J’ignore s’ils se connaissaient avant de faire ce voyage ensemble aujourd’hui, mais qu’importe, c’est parce que ce sont eux qu’ils sont là, en amitié avec Montaigne & avec nous.
Dans ce paysage si particulier, près de cette tour mythique d’où Montaigne voyait le monde, où il écrivait, où il aimait.
Qu’il me soit permis de glisser au passage la présence affectueuse d’un ami ébouriffé qui fut domestique ici et qui a écrit un des livres les plus considérables que je possède dans ma bibliothèque dans lequel il écrivait : « Écrire comme on tâtonne, frissonne, entrer par effraction dans la nuit de la langue, pressentir un espace, des sites à reconnaître de mémoire, c'est cela le sentiment géographique, sentiment que toute rêverie apporte sa terre, » Il s’agit on l’a compris du Sentiment géographique (1976) et de frère Michel Chaillou. Il aimait la Loire et la Gartempe, comme Marie-Hélène Lafon, que nous allons écouter, aime sa rivière, la Santoire, comme Michel de Montaigne aime sa Lidoire, & Pascal Quignard la Seine (qui est un fleuve), l’Yonne & la Bièvre de son ami Sainte-Colombe.
Le paysage, le pays, traversé de rivières, sera donc, en amitié, dans l’échange et la lecture que nous allons faire avec Marie-Hélène Lafon qui depuis son premier livre Le soir du chien en 2001, qui obtint le prix Renaudot des lycéens, jusqu'à cette Histoire du fils qui va paraître dans quelques jours chez son éditeur fidèle Buchet Chastel, en passant par Joseph, Nos vies, Les pays, Les derniers indiens, Traversée, Album… creuse le langage et le paysage de son cher Cantal, certes, mais plus largement celui de la littérature.
D’ailleurs en exergue à Histoire du fils elle a copié des mots de Valère Novarina : « Le langage est notre sol, notre chair. Je me représente toujours le chantier comme un creux, une ouverture du sol, et l’avancée d’un texte, sa progression, comme une marche en montagne. »
Nous allons commencer avec ça, creuser le langage, creuser le paysage, écouter le travail de la rivière.
Claude Chambard
Introduction à la conversation-lecture avec Marie-Hélène Lafon en l’église Saint-Michel- de-Montaigne
Une fois n'est pas coutume, comme on sait, voici quelques lignes miennes qui furent l'introduction à la conversation-lecture avec Marie-Hélène Lafon en l'église Saint-Michel-de-Montaigne, le 29 septembre 2020, avant que les voûtes résonnent du récit-récital de Pascal Quignard & Aline Piboule, "Boutès ou le désir de se jeter à l’eau". Ces quelques lignes ne prétendent qu'à ceci, ouvrir et faire souvenir de ces deux moments exceptionnels réunis grâce à la fine intelligence, à la fine prescience, de Marie-Laure Picot, pour son Festival Littérature en jardin. Qu'elle en soit, une nouvelle fois, remerciée.
16:07 Publié dans Au jour le jour, Écrivains, Édition, Travaux personnels | Lien permanent | Tags : montaigne, marie-hélène lafon, pascal quignard, michel chaillou, lidoire, santoire, tille, gartempe, loire, seine, yonne, bièvre, sentiment géographique, domestique chez montaigne, le soir du chien, histoire du fils, jospeh, nos vies, les pays, les derniers indiens, traversée, album, dernier royaume, vie secrète, petits traités, tous les matins du monde, boutès, essais, françoise de la chassaigne
mardi, 01 septembre 2020
Gérard Haller, « Menschen »
Les Inédits du Malentendu, volume 8.
semblable maintenant d’un bord à l’autre
de la terre on dirait l’image se clôt
et l’image se déclôt qui nous tenait
ensemble et c’est comme si tout de nouveau
me quittait. Le visage autrefois du dieu
mort que tu étais. Comme s’il revenait
mourir sous mes yeux
regarde
irressemblant maintenant vide l’enclos
là-bas lumineux de ta voix
tout le heim autrefois. Regarde. Gisant
nu de part et d’autre du grillage ici
qui le défigure et les traces partout
du sang sur l’herbe et les rails et le linceul
bleu du fleuve au loin miroitant sous le bleu
incicatrisable du ciel oh et tout
le ciel comme ça lèvre contre lèvre
de nouveau qui s’ouvre et les larmes dans nous
sans mer à la fin où retourner
Gérard Haller
Inédit, extrait de Menschen
à paraître aux éditions Galilée le 17 septembre 2020
http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=3534
on pourra regarder cette lecture de Nous qui nous apparaissons de et par Gérard Haller sur le site « Philosopher au présent » ttps://www.youtube.com/watch?v=3ftmFUkUns8
Gérard Haller est un auteur rare, qui compte infiniment pour moi, dont j’attends chaque livre avec une vertueuse et tremblante patience depuis Météoriques (Seghers) en 2001, en passant par all/ein, Fini mère, Le grand unique sentiment (Galilée) etc. Dans quelques jours celui-ci, Menschen, sera sur nos tables, nul doute qu’il éclairera avec quelques rares autres – ceux d'Isabelle Baladine Howald, Fragments du discontinu (Isabelle Sauvage), Pascal Quignard, L'Homme aux trois lettres (Grasset), Camille de Toledo, Thésée, sa vie nouvelle (Verdier), pour n'en citer que trois essentiels – cet été qui se termine & cet automne qui commence.
18:11 Publié dans Écrivains, Édition, Les Inédits du Malentendu, Livre, Poésie | Lien permanent | Tags : gérard haller, meschen, heimweh, les inédits du malentendu, galilée
lundi, 24 août 2020
Su Dongpo, « En souvenir de ma mère qui ne faisait pas de mal aux oiseaux »
« Lorsque j’étais jeune, en face de mon bureau, il y avait des bambous, des peupliers, des pêchers et toutes sortes de fleurs ; des bosquets remplissaient la cour et des oiseaux s’y nichaient. Ma mère détestait qu’on détruise la vie ; les enfants et les serviteurs avaient ordre de ne pas attraper les oiseaux. Pendant plusieurs années, ceux-ci firent leurs nids sur les branches basses et on pouvait apercevoir leurs oisillons en baissant la tête. Il y avait aussi quatre ou cinq perruches qui voletaient tous les jours parmi eux. Les plumes de ces oiseaux sont très précieuses et très rares. On pouvait les apprivoiser, car ils ne craignaient pas du tout les hommes. Les villageois en les voyant trouvaient cela extraordinaire. Il n’y a pourtant pas là d’autres raison : en l’absence sincère de mauvaises intentions, même d’autres espèces ont confiance en vous. Un vieux paysan disait : “Si les oiseaux nichent loin des hommes, leurs petits seront la proie des serpents, des rats, des renards, des chats sauvages, des hiboux, des milans. Aussi, si les hommes ne les tuent pas, ils se rapprochent d’eux pour éviter ces malheurs.” On voit ainsi que si ensuite les oiseaux nichent sans oser s’approcher des hommes, c’est qu’ils considèrent que ceux-ci sont pires que les serpents, les rats et autres prédateurs. On peut donc faire confiance à cette parole de Confucius : “Un gouvernement tyrannique est plus terrible qu’un tigre !” »
Su Dongpo – Su Shi (8 janvier 1037 – 24 août 1101)
Sur moi-même
Choix de textes, traduits et présentés par Jacques Pimpaneau
Philippe Picquier, 2003, rééd. Picquier poche, 2017
Su Dongpo – Su Shi – né le 8 janvier 1037 à Meishan, est mort le 24 août 1101 sur la route de Changzhou.
C'est un homme selon mon cœur, un poète essentiel, aimé et lu par ses pairs – et au delà, je l'espère – (Jim Harrisson, Lambert Schlechter, Volker Braun, par exemple, le citent volontiers).
Pour souligner la date anniversaire de son décès, pour que l'on se souvienne encore de lui, j'ai eu envie des oiseaux de sa mère, à n'en pas douter ceux qui encore – à l'exception des perruches – conversent chaque jour dans le petit jardin où ils aiment à se reproduire.
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