UA-62381023-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

En fouillant ma bibliothèque - Page 5

  • W. G. Sebald, « All’estero »

    b_1_q_0_p_0.jpg

    DR

     

    « Il y a dans cette ville une autre qualité de réveil que celle à laquelle on est habitué. Le jour s’y lève en effet dans le silence, un silence seulement troublé par quelques éclats de voix, un rideau de fer que l’on remonte, les claquements d’ailes des pigeons. Combien de fois, songeais-je, ne me suis-je retrouvé couché dans une chambre d’hôtel, à Vienne, à Francfort ou Bruxelles, et n’ai-je écouté, les mains croisées derrière la tête, non point le silence comme ici mais, les sens en alerte, le déferlement de la circulation qui auparavant, pendant des heures, m’avait déjà hanté sans que j’y prenne garde. C’est donc cela, me disais-je alors, le nouvel océan. Sans relâche, en grands fournées qui recouvrent toute la surface des cités, les vagues accourent, de plus en plus bruyantes, enflent et se cabrent, se brisent avec une sorte de frénésie au paroxysme de leur tumulte et courent sur les pierres et l’asphalte tandis qu’aux retenues des feux rouges d’autres lames se préparent déjà à déferler. Au fil des années, j’en suis arrivé à la conclusion que la vie désormais naît de tout ce fracas, celle qui vient après nous et qui lentement nous mènera à notre perte, comme nous menons lentement à sa perte tout ce qui a été là longtemps avant nous. Irréel, parfaitement irréel, comme s’il ne pouvait qu’être déchiré d’un instant à l’autre, tel m’apparaissait le silence de Venise en ce petit matin de Toussaint où l’atmosphère blanche de la ville pénétrait dans ma chambre par les fenêtres entrouvertes et recouvrait tout, m’immergeant dans un flot de brume. »

     

    W. G. Sebald

    Vertiges

    Traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau

    Actes Sud, 2001

  • Philippe Jaccottet, « Bois et blés »

    b_1_q_0_p_0.jpg

    DR

     

     

    « L’ombre, le blé, le champ, et ce qu’il y a sous la terre. Je cherche le chemin du centre, où tout s’apaise et s’arrête. Je crois que ces choses qui me touchent en sont plus proches.

    Une barque sombre, chargée d’une cargaison de blé. Que j’y monte, que je me mêle aux gerbes et qu’elle me fasse descendre l’obscur fleuve ! Grange qui bouge sur les eaux.

    J’embarque sans mot dire ; je ne sais pas où nous glissons, tous feux éteints. Je n’ai plus besoin du livre : l’eau conduit.

    À la dérive.

    Or, rien ne s’éloigne, rien ne voyage. C’est une étendue qui chauffe et qui éclaire encore après que la nuit est tombée. On a envie de tendre les mains au-dessus du champ pour se chauffer.

    (Une chaleur si intense qu’elle n’est plus rouge, qu’elle prend la couleur de la neige.)

    On est dans le calme, dans le chaud. Devant l’âtre. Les arbres sont couverts de suie. Les huppes dorment. On tend au feu des mains déjà ridées, tachées. Les enfants, tout à coup, ne parlent plus.

    C’est juste ce qu’il faut d’or pour attacher le jour à la nuit, cette ombre (ou ici cette lumière) qu’il faut que les choses portent l’une sur l’autre pour tenir toutes ensemble sans déchirure. C’est le travail de la terre endormie, une lampe qui ne sera pas éteinte avant que nous soyons passés. »

     

    Philippe Jaccottet

    Paysages avec figures absentes

    Gallimard, 1970, revue et augmentée en 1976, rééd. Poésie/Gallimard, 2006

  • Bissière, « T’en fais pas la Marie »

    3112.jpg

    Bissière, Laure Latapie & Louttre B. à Boissiérettes, en 1956

    © Luc Joubert

     

    « Maintenant ici tout est vert, même les chênes ont leurs feuilles, la campagne devient vraiment bien agréable à regarder. Le soir quand je mène boire mes vaches, il descend sur la mare une lumière dorée qui se reflète dans l’eau, les vaches ont l’air éclatantes de santé, tout autour de moi est vert chaud, sauf les troncs gris des arbres. Sur tout cela règne une paix profonde, on n’entend aucun bruit, on pourrait se croire aux premiers âges du monde. J’ai toujours rêvé de faire un tableau avec des vaches à l’abreuvoir, c’est vraiment admirable, mais jusqu’ici je n’ai pu y réussir, jamais je n’ai pu donner au pelage des bêtes la luminosité qu’elles devraient avoir, il faudrait qu’elles soient comme pétries de soleil. Je recommencerai, car cela me trotte dans la tête et on a toujours l’espoir de réussir un nouveau tableau mieux que ceux qu’on a déjà essayés. Il faudra d’ailleurs avant de me remettre à travailler que je remette un peu d’ordre dans l’atelier. C’est un invraisemblable entassement de toiles, on ne sait où mettre les pieds, j’en ai pour toute une journée à ranger tout cela de manière à me faire un peu de place.

    Il faudrait un atelier grand comme une cathédrale et encore je crois qu’on trouverait moyen de l’encombrer. C’est si agréable de garder sous ses yeux toutes les toiles commencées, on peut les comparer, réfléchir devant chacune d’elles.

    Mon grand plaisir, autrefois, c’était le matin en me levant d’aller fumer une cigarette dans l’atelier, en regardant le travail de la veille. Je voyais ce que j’avais fait avec des yeux frais et le bien ou le mal de mon travail me sautaient aux yeux. Après avoir bien regardé, bien réfléchi, je me remettais à peindre avec l’espoir que la journée me serait propice. Elle ne l’était pas toujours, mais le matin suivant je retrouvais mon expérience et je m’y remettais avec des forces neuves. Tout cela est déjà loin et il y a longtemps que l’atelier n’a plus ma visite quotidienne. Mais je crois que ça va revenir et qu’alors je ne penserai plus qu’à ça. D’ailleurs j’ai toujours constaté que je faisais la plupart de mes tableaux entre le mois d’avril et le mois de juillet, c’est toujours là que je travaillais le plus. Braque me disait aussi la même chose, que à cette saison-là qu’il se sentait le plus le cœur à l’ouvrage. L’hiver à Paris je travaillais surtout la nuit, j’avais à ce moment-là le cerveau plus dispos, tandis que, au printemps, je restais toute la journée souvent depuis le matin devant mon chevalet. C’est d’ailleurs peut-être un tort car on finit par se fatiguer et par ne plus voir très bien ce qu’on fait. Matisse prétend qu’il ne travaille jamais plus d’un quart d’heure par jour sur le même tableau, peut-être a-t-il raison et cela permet-il de garder plus de fraîcheur… »

    16 avril 1945, lettre à son fils, le peintre Louttre B.

     

    Bissière

    T’en fais pas la Marie – écrits sur la peinture 1945-1964

    Textes réunis et présentés par Baptiste-Marrey

    Le temps qu’il fait, 1994

    http://www.letempsquilfait.com/

  • Pierre Guyotat, « Explications »

    41VDQR6FT7L._SX210_.jpg

    photo de couverture : Bettina Rheims

     

    « Plutôt que “travail”, utiliser le mot “composition”. Parce qu’il recouvre la fiction, la méthode et le résultat sonore. Comment expliquer aussi que les choses se fassent avec une aussi grande confiance, beaucoup de pensée, mais aussi beaucoup d’imprévisibilité. Je fais, mais je suis fait aussi ; c’est-à-dire que c’est la pratique rythmique qui me fait découvrir des idées, des grandes idées, des idées larges, qui me fait découvrir aussi la réalité, la réalité scientifique des évènements de la matière : à quel point la science touche à la poésie, il faut vraiment la pratique pour s’en apercevoir : le court-circuit est presque continuel. Tout problème poétique est un problème de sciences naturelles, de physique, de chimie. Si vous faites de la poésie et que vous restez honnête, vous ne pouvez pas vous écarter de la réalité scientifique des choses, de la science…

    Tout acte créateur engagé devrait faire comprendre tout. Les mots lèvent les pensées comme les chiens lèvent les lièvres. »

     

    Pierre Guyotat

    Explications

    Entretiens avec Marianne Alphant

    Éditions Léo Scheer, 2000

  • Rainer Maria Rilke, « L’enlèvement »

    rilke.jpg

    DR

     

    « Enfant déjà, souvent elle échappait

    à ses bonnes pour voir naître au-dehors

    (car dedans ils sont autres)

    et la nuit et le vent ;

     

    mais nulle nuit de tempête n’avait

    jamais déchiqueté le parc immense comme

    aujourd’hui le déchiquetait sa conscience

     

    lorsqu’il la prit sur son échelle de soie

    et l’emporta bien loin, bien loin… :

     

    jusqu’à ce que la voiture fût tout.

     

    Et elle la sentit, cette voiture noire

    que la poursuite, en attente, guettait,

    et le danger.

    Elle la trouva tapissée de froid ;

    et le noir et le froid étaient aussi en elle.

    Elle s’enfouit dans le col de sa cape

    et toucha ses cheveux, comme s’ils restaient,

    puis entendit la voix étrangère

    d’un étranger lui dire :

    Jesuislàprèsdetoi. »

     

    Rainer Maria Rilke

    « Nouveaux poèmes » — deuxième partie, 1907

    Traduit de l’allemand par Jacques Legrand

    In Poésie, œuvres II

    Le Seuil, 1972

  • Jean Grosjean, « Apocalypse »

    jeanG.jpg

    DR

    « Avec quel puéril sérieux les mouches s’entêtent à nous aimer les mains ! Un souffle dans l’herbe émeut des lames courbes, des bannières blanches et des chapeaux à graines.

     

    Chaque arbre hoche la tête à son tour, hausse l’épaule. L’hirondelle à gorge de veilleuse glisse sur les rails de l’air. Oh ! quand elle vire, la lueur marine de son dos.

     

    Un bourdon s’affaire à ce bruit d’usine qu’il mène entre les iris jusque, silence ! son tête-à-tête dans l’abside avec le dieu suc. Au loin s’égosille un coq.

     

    Le ciel du dimanche perché sur la colline, les friches lui tiennent tête de leurs dards et de leurs torches, sainte ferveur du schisme dont nos douleurs ne furent que l’ombre.

     

    Les laboureurs ont quitté l’entrain ouvrable, et les mineurs les houilleux Érèbe. Ils errent en veste entre les fermes avec des fragments de phrases. Fermons les yeux pour qu’au fond des bois le coucou faiblement coucoule.

     

    La flamme bleue du jour fuit lente avec de brèves braises de couchant à sa pointe. La face creuse du ciel se retire en soi sans détourner de moi ses yeux de cendre.

     

    Les ténèbres n’osent encore leur faction hérissée de lances ni furtif l’amour planter le maigre mai dont rougisse une servante à l’aube.

     

    Un arbre que l’hiver visitait de plaintes, déploie dans la fosse d’en haut son envergure. Son feuillage profère à voix basse cette mort que notre mort désire. »

     

    Jean Grosjean

    « La Vehme à l’œuvre » in Apocalypse

    Gallimard, 1962

    Repris in La Gloire, précédé de Apocalypse, Hiver et Élégies

    Préface de Pierre Oster

    Poésie/Gallimard, 2008

  • Gertrud Kolmar, « Mondes »

    kolmar3.jpg

    DR

     

    La vieille femme

     

    Aujourd’hui je suis malade, et demain je serai guérie.

    Aujourd’hui je suis pauvre, aujourd’hui seulement, et demain je serai riche.

    Mais un jour, je resterai toujours assise ainsi,

    Blottie, grelottante, dans un châle sombre, la gorge qui toussote, se racle,

    Je me traînerai péniblement jusqu’au poêle en faïence où je poserai mes mains osseuses.

    Alors je serai vieille.

     

    Les sombres ailes de merle de mes cheveux sont grises,

    Mes lèvres des fleurs séchées, poussiéreuses,

    Et mon corps ne sait plus rien des cascades et jaillissements des fontaines rouges du sang.

    Je suis morte peut-être.

    Bien avant ma mort.

     

    Et pourtant j’étais jeune.

    Étais aimante et bonne pour un homme comme le nourrissant pain doré de sa main affamée,

    Étais sucrée comme un réconfortant à sa bouche assoifée,

    Je souriais,

    Et les enlacements de mes bras de vipère mollement enflés attiraient dans la forêt magique.

    Et à mon épaule bourgeonnait une aile bleue comme de la fumée

    Et j’étais allongée contre la plus large poitrine broussailleuse,

    Murmurant vers l’aval, une eau vive jaillissait du cœur du rocher aux sapins.

    Mais vint le jour et l’heure vint

    Où les blés amers se trouvèrent mûrs, où je dus moissonner.

    Et la faucille coupa mon âme.

    “Va”, dis-je, “Amour, va !

    Regarde ma chevelure agite ses fils de vieille femme,

    Le brouillard vespéral déjà humecte ma joue,

    Et ma fleur d’effroi se fane dans les frimas.

    Des rides sillonnent mon visage,

    Des rigoles noires les pâturages d’automne.

    Va, car je t’aime beaucoup.”

     

    En silence je retirai la couronne d’or de ma tête et me voilai la face.

    Il partit,

    Et ses pas apatrides l’emportèrent sans doute vers une autre halte sous des pupilles plus claires.

     

    Mes yeux se sont brouillés et c’est tout juste s’ils passent encore le fil dans le chas de l’aiguille.

    Mes yeux pleurent fatigués sous les paupières lourdement plissées, au pourtour rougi.

    Rarement

    Dans le regard éteint point de nouveau la faible lueur au loin enfuie

    D’un jour d’été,

    Où ma robe légère, ruisselante, inondait les champs de cardamine

    Et ma mélancolie lançait dans le ciel béant

    Des cris d’allégresse d’alouette. »

     

    Gertrud Kolmar

    Mondes (1937)

    Bilingue. Édition établie, postfacée et traduite de l’allemand par Jacques Lajarrige

    Coll. Autour du monde, Seghers, 2001

  • Pierre Albert-Birot, « Mon ami Kronos »

    albert-birot-portrait.JPG

    DR

     

    « Quand je m’éveille le matin, j’entrouvre un œil et j’entrevois le cadran d’une petite pendule placée avec la meilleure intention juste sur la trajectoire de ce filet de regard. Huit heures ! Oh !… Mais non. Il n’est que sept heures. La petite pendule, toujours avec la meilleure intention, avance d’une heure.

     

    Une pendule qui avance d’une heure, ce n’est rien, ce mensonge ne donne pas la moindre bousculade au roulement de chaque jour, et si peu doué qu’on soit pour l’arithmétique, on l’est toujours plus qu’il ne faut pour lire instantanément sur le cadran l’heure “exacte” en voyant l’aiguille affirmer de toute sa rigidité l’heure fausse. Pourtant le matin, à l’instant du retour au monde, on reste peut-être une demi-seconde sous l’influence de cette sorte de serment que fait la pendule aux bras si petits mais si impératifs : moi, pendule, je dis, j’affirme, je jure qu’il est huit heures. C’est tout de même amusant d’avancer une pendule, rien que pour voir avec quelle astuce et quelle sérénité elle va mentir. Amusant, oui – mais il faut bien reconnaître que de son mensonge va naître pour nous une peine qui créera de la joie. Au contact des aiguilles, ou plutôt de leur image sur la rétine, nous l’avons crue, cette menteuse, huit heures, hélas ! Puis, une lumière. Non, ce n’est pas vrai, il n’est que sept heures, j’ai une heure de plus. Notre peine a duré le temps de dire “elle ment”. Notre plaisir va durer tout le temps que nous voudrons y penser. »

     

    Pierre Albert-Birot

    Mon ami Kronos (1935)

    Zulma, 2007

    http://www.zulma.fr/

  • Louis Zukofsky, “A”

    lz.jpg

    DR

     

    « L’ordre muet du monde.

    La mort façonne

    Nos idées — on dirait un suc

    Infime et virtuel — l’abeille butine et fertilise.

    L’amitié n’est pas si douce.

    Mais après soixante ans de

    Lampes à incandescence

    Le verre coule toujours comme du miel

    Ou se pétrifie en forme de

    Sucres d’orge que les enfants adorent —

    Du véritable verre

    Pour ainsi dire,

    Qui fond dans la bouche

    Comme sous la pluie —

    Leur frimousse gelée

    S’enflamme pour longtemps

     

     

    Telles parcelles d’inventions :

    Oreille moisie, as-tu des yeux ?

    Ne parlez plus d’amour,

    La liesse des grands jours

    Ne coule plus dans le sang ?

    La bonté meurt — ça arrive —

    Elle en a trop fait.

    L’amour donne sans compter,

    Il voit avec l’esprit, pas avec les yeux

                                               — il est aveugle.

     

     

    Une voix : d’abord le corps —

    Parle de tous les amours ! »

     

    Louis Zukofsky

    “A” (section 12)

    Traduit de l’anglais (États Unis) par Serge Gavronsky et François Dominique

    Coll. Ulysse Fin de Siècle, Éditions Virgile, 2003

    http://www.editions-virgile.com/

  • William Butler Yeats,«Michael Robartes et la danseuse»

    william-butler-yeats-350x442.jpg

    DR

     

    « Au point du jour

     

    Fut-ce le double de mon rêve

    Que la femme couchée à mon côté

    Rêva, ou bien partageâmes-nous le même rêve,

    Dans la première lueur froide du jour ?

     

    Je pensais : “Il est un torrent

    Sur le anc de Ben Bulben,

    Que toute mon enfance tint pour cher ;

    Si je partais au bout du monde

    Je ne pourrais trouver chose aussi chère.”

    Mes souvenirs ont si souvent

    Exagéré les délices de l’enfance !

     

    J’aurais voulu le toucher comme un enfant

    Mais, je le savais, mes doigts n’auraient touché

    Que de l’eau et des pierres froides. Je m’emportai,

    Accusant même le Ciel d’avoir

    Pris ce décret parmi ses lois :

    Rien de ce que nous aimons à l’excès

    Ne se laisse estimer au toucher.

     

    Je s ce rêve à l’approche du jour,

    L’aube soufait sa froide rosée dans mes narines.

    Or celle qui est couchée à mon côté

    Avait, dans un sommeil plus amer,

    Vu le cerf merveilleux d’Arthur,

    Le noble cerf blanc, bondir

    Dans la montagne, de rocher en rocher. »

     

    William Butler Yeats

    Michael Robartes et la danseuse, suivi de Le Don de Haround Al-Rachid

    Bilingue

    Présenté, annoté et traduit de l’anglais par Jean-Yves Masson

    Verdier, 1994

  • William Butler Yeats « Quarante-cinq poèmes »

    William_Butler_Yeats_by_George_Charles_Beresford.jpg

    © : Charles Beresford, 1911

     

    « Après ce long silence

     

    Parler, après un long silence : c’est dans l’ordre,

    Mort ou lassé tout autre qui t’aima,

    Et tirés les rideaux sur la nuit hostile

    Et voilée de ses franges la lampe hostile,

    Qu’ainsi nous dissertions, à n’en plus nir,

    Sur ces thèmes suprêmes, l’Art, le Chant.

    La décrépitude du corps est sagesse. Jeunes,

    Nous nous aimions, nous ne savions rien d’autre. »

     

    William Butler Yeats

    Quarante-cinq poèmes, suivis de La Résurrection

    Bilingue

    Traduit de l’anglais et préfacé par Yves Bonnefoy

    Hermann, 1989

  • William Butler Yeats « Cinquante et un poèmes »

    150612-jones-yeats-tease_zf7swl.jpg

    DR

     

    « Un nid de sansonnets à ma fenêtre

     

    Les abeilles bâtissent dans les crevasses

    Entre les pierres qui se délitent et c’est là

    Que les oiseaux apportent leurs vers et leurs mouches ;

    Mon mur se délite ; abeilles à miel

    Venez bâtir dans la maison abandonnée du sansonnet.

     

    Nous avons fermé la porte, tourné la clef

    Sur notre incertitude : quelque part

    Un homme est tué, une maison brûlée

    Rien pourtant de précis, aucun fait :

    Venez bâtir dans la maison abandonnée du sansonnet.

     

    Une barricade de pierres et de bois ;

    Une quinzaine de jours de guerre civile ;

    Hier soir ils ont traîné dans son sang

    Mort sur la route ce jeune soldat :

    Venez bâtir dans la maison abandonnée du sansonnet.

     

    Nous avions nourri notre cœur de visions,

    De cette chère le cœur a fait de la violence ;

    Plus solide est notre haine

    Que notre amour : ô, abeilles à miel,

    Venez bâtir dans la maison abandonnée du sansonnet.

     

    William Butler Yeats

    « Méditations du Temps de la Guerre Civile » (1928) in Cinquante et un poèmes

    Bilingue

    Traduction de l’anglais et notes par Jean Briat

    William Blake & Co. Edit, 1989, rééd. 1998

    http://www.editions-william-blake-and-co.com/