Denis Montebello : note sur "carnet des morts"
Hui: une adhésion au jour mais timide, vaguement réticente. C‘est ainsi qu‘un ami dit oui, le libraire des Saisons à La Rochelle, un oui que j‘entends comme une trace, comme si l‘Argonne revenait avec lui et avec sa forêt, la grande forêt d‘enfance dont il fera, lui qui ne la connaît que par ouï-dire, sa guerre, qui écrira ses Pastorales de guerre.
Lire et cueillir c‘est tout un, et c‘est ce que fait Claude Chambard dans son carnet des morts, il cueille les traces, les recueille, il met ses pas dans des vestiges, ses mots. Ce sont les mots de l‘enfant : de celui qui ne parle pas et que le poète, des années après, essaie de rejoindre dans sa forêt.
« J‘ai couru vers l‘enfant. Dans la forêt. Dans la forêt en travail.
Dans la scène oubliée où j‘ai appris à écrire.
Quittant mon père pour écrire.
Écartant ma mère pour écrire.
J‘ai couru vers l‘enfant qui courait vers l‘école. »
Le temps retrouvé a parfois un goût délicieux, ou c‘est la boîte de Coco, cette « petite boîte métallique, ronde, qui contient une poudre marron clair ou jaune foncé (je ne parviens pas à me décider) ou un coquillage orange ou fraise que je lèche avec application » qui réveille les années d‘or : de souffrance. Ces figures qu‘on disait absentes du paysage. Ce Grandpère qu‘on croyait à jamais enfoui avec ses phrases.
« Je puis me souvenir, sans nostalgie, du temps où nous étions autre chose. »
C‘est ce qu‘écrit Claude Chambard.
C‘est aussi ce que se dit le lecteur ce carnet refermé. Quand il songe à ces routes qu‘il ouvre, à toutes ces routes qui ouvrent à la grande forêt.
Denis Montebello, 2 septembre 2011
Claude Chambard
carnet des morts
15x19,5 ; 112 p. ; ill. ; 14 €
Dessin de couverture : François Matton
isbn : 978.2.915232.72.1
le bleu du ciel
BP 38 — 33230 Coutras
05 57 48 09 04
bleuduciel@wanadoo.fr
& aussi sur le même livre les chroniques de
Anne Françoise Kavauvea :
http://annefrancoisekavauvea.blogspot.com/2011/06/carnet-des-morts-claude-chambard.html
& d'Éric Bonnargent :
http://anagnoste.blogspot.com/2011/07/claude-chambard-carnet-des-morts.html
« Ne nous ont pas quittés, c’est tout le contraire. Cela veut-il dire qu’ils nous ont emmenés là où ils sont ? Très certainement, une part considérable de nous-mêmes en tous cas, cette part qui ne saurait être détachée d’eux. Ou bien les avions-nous si peu que ce soit précédés, dans cette action d’ensemble ? Et tout de suite une voix : tu te prends pour qui, pour dire ça ? Je me prends pour ce que je suis, personne, à ce stade et depuis toujours. »
Emmanuel Hocquard
Roger Laporte est mort le mardi 24 avril 2001. Il avait soixante-seize ans. Son œuvre est considérable. Nous devons continuer à la lire, à y trouver des nourritures pour le voyage qui nous reste à faire. Il m’avait confié le manuscrit de ce livre, Écrire la musique, que je suis fier d’avoir publié et de continuer à vendre bon an mal an à quelques poignées d’exemplaires, preuve qu’il y a encore des lecteurs pour ce travail — cette vie — d’écriture à nul autre comparable. On trouvera l’essentiel des textes de Roger Laporte — La Veille, Une voix de fin silence, Pourquoi ?, Fugue, Supplément, Fugue 3, Codicille, Suite et Moriendo — dans le volume Une vie, publié par P.OL. en 1986.
Dans la très élégante collection à 6€10, Allia publie un premier livre, qui doit certes à Thomas Bernhard, mais surtout au fait même d’écrire, à l’angoisse, au découragement, à la folie… Tout de digressions souvent drôles, emmené par une pensée en effervescence, obsessionnelle et démentielle souvent, Le Découragement 
Un grand article de Pascal Quignard, dans le Monde de vendredi : L’enfant incorrigible, à propos des Contes pour les enfants et la maison des frères Grimm, édités et traduits de l’allemand par Natacha Rimasson-Fertin, Corti, coll Merveilleux, 1184 p. en deux volumes, sous coffret, 50 €
Largement salué lors de sa première édition la Descente de l’Escaut, est réimprimée à juste raison. Attendue par tous ceux qui avaient découvert Franck Venaille trop tard, ou loupé l’événement. Il est vrai qu’entre temps Chaos (Mercure de France, 2007) est venu corroborer tout le bien que l’on pouvait penser du travail d’écriture de Franck Venaille. Mais cette Descente de l’Escaut est un livre un peu à part, grand œuvre peut-être de ce poète incontournable. Une parole digne au cœur d’une souffrance implacable car c’est le chant qui sauve. C’est le chant – le lied – qui révèle, qui peut dire la douleur, la rage, l’impossible, la fatigue, ce qui est muet de naissance, réaliste et secret, ce qui tremble dans la vase, l’enfant qui joue près des remparts, l’homme meurtri, le chant très lointain, très proche, dans l’étrave du steamer, dans les flots de l’Escaut, dans les saccades nerveuses qui agitent le corps du poète. La descente de l’Escaut, la descente au fond de soi, dans le désordre et la douleur, la descente dans le chaos de soi en soi… L’eau, la brume, le poète, indéfectiblement vivant.