Pascal Quignard, "nostalgia"
« Le mot nostalgia fut créé par un médecin de Mulhouse qui s’appelait Hofer. Cette invention eut lieu en 1678. Le médecin Hofer essayait de trouver un nom pour définir une maladie qui frappait les soldats mercenaires, particulièrement ceux natifs de Suisse.
Soudain ces Suisses, piétons ou officiers, sans même chercher à déserter les troupes dans lesquelles ils s’étaient engagés, se laissaient mourir dans le regret de leurs alpages.
Ils pleurent.
Quand ils parlent, ils rapportent sans fin les souvenirs des mœurs de leur enfance.
Ils se pendent aux branches des arbres en nommant les chiens de leurs troupeaux.
Le médecin Hofer chercha dans son dictionnaire de langue grecque le mot de retour puis préleva celui de souffrance. De l’addition de nostos et d’algos il fit nostalgia.
En façonnant ce nom, en 1678, il baptisa la maladie des baroques.
[…]
La nostalgie est une structure du temps humain qui fait songer au solstice dans le ciel.
[…]
La maladie du retour impossible du perdu — la nostalgia — est le premier vice de la pensée, à côté de l’appétence au langage. »
Pascal Quignard
Abîmes, extraits du chapitre xii
Grasset, 2002, rééd. Folio n°4138, 2004
photo © : C. Chambard
Roger Laporte est mort le mardi 24 avril 2001. Il avait soixante-seize ans. Son œuvre est considérable. Nous devons continuer à la lire, à y trouver des nourritures pour le voyage qui nous reste à faire. Il m’avait confié le manuscrit de ce livre, Écrire la musique, que je suis fier d’avoir publié et de continuer à vendre bon an mal an à quelques poignées d’exemplaires, preuve qu’il y a encore des lecteurs pour ce travail — cette vie — d’écriture à nul autre comparable. On trouvera l’essentiel des textes de Roger Laporte — La Veille, Une voix de fin silence, Pourquoi ?, Fugue, Supplément, Fugue 3, Codicille, Suite et Moriendo — dans le volume Une vie, publié par P.OL. en 1986.
Dans la très élégante collection à 6€10, Allia publie un premier livre, qui doit certes à Thomas Bernhard, mais surtout au fait même d’écrire, à l’angoisse, au découragement, à la folie… Tout de digressions souvent drôles, emmené par une pensée en effervescence, obsessionnelle et démentielle souvent, Le Découragement
« Oui, la mélancolie et la nostalgie sont le seul moyen de ne pas devenir fou en Allemagne. C’est la seule façon de neutraliser psychiquement ce pays. J’essaie d’imaginer un Allemand en train de pleurer et je rigole. Je n’arrive même pas à imaginer une Allemande qui pleure. Ou alors c’est une immigrée avec un passeport allemand. Oui le monde serait un peu meilleur si on pouvait imaginer un Allemand qui pleure. Hélas. Restent les enfants allemands, les nourrissons allemands. La mélancolie tenue en bride et l’alcool en quantité raisonnable — voilà le seul moyen de survivre à un voyage littéraire de Munich à Hambourg. Regarder les usines Mercedes et ravaler ses larmes. Monter dans le cigare d’argent de l’ICE* et avoir l’automne dans le cœur. Se promener dans le Stade olympique de Berlin et fredonner une mélodie tzigane de Transylvanie. Ne succomber à aucun prix à l’ambiance des rues, des places et des transports en commun. Regarder dans les yeux le citoyen de soixante-dix ans à lunettes à monture dorée assis en face dans le compartiment et boire une gorgée de Jim Beam d’une longueur est-européenne. Le plus souvent, le citoyen détourne le regard, de peur qu’on lui offre à boire. Ce sont des conseils tout simples, mais qui peuvent servir si on part pour une semaine ou deux. »