mercredi, 12 décembre 2018
Peter Handke, « L’histoire du crayon »
DR
« Au sortir de certains films je me suis, un instant, senti un héros ; après la lecture de certains livres, je sais que j’en suis un (et je sais que c’est un devoir qui m’incombe)
Les acteurs japonais (chez Ozu par exemple) savent porter le deuil (sans exemple et de façon exemplaire); ils portent le deuil comme je n’ai jamais vu le faire qu’en rêve; ils sont là, les visages illuminés, et portent le deuil
Grande impression de réalité – c’est-à-dire : d’être dans la réalité – à la simple vue d’un chat qui au loin, saute du haut d’un mur ou de la marque des cheveux sur la buée d’une fenêtre du train. À partit de maintenant, je connais la réponse à la question : “Qu’est-ce que la réalité ?” – la réalité, c’est le chat qui saute du haut d’un mur
Écrire quelque chose dont personne ne pourra demander : “Qu’est-ce que cela veut dire ?” et qui en même temps reste tout à fait énigmatique
Les lecteurs sont des gens forts : ils transmettent la lecture, ils sont ces “quelques opiniâtres”
En écrivant il ne faut pas que j’en arrive à mesurer les mots les uns aux autres – le seul mot juste il me faut l’atteindre sans mots. En écrivant, seule doit parler, mot pour mot, la voix intérieure. C’est la voix du dehors, celle des oiseaux par exemple. Écoute la voix du dehors, c’est la voix intérieure »
Peter Handke
L’histoire du crayon
Traduit de l’allemand par Georges-Arthur Goldschmidt
Gallimard, 1987
18:09 Publié dans Écrivains, Édition, Je déballe ma bibliothèque, Livre | Lien permanent | Tags : peter handke, l'histoire du crayon, georges-arthur goldschmidt, gallimard
lundi, 03 décembre 2018
Claude Margat, « Daoren. Un rêve habitable »
Photogramme du film Claude Margat, réalisé par les Yeux d’Izo en 2011
« Nous ne sommes guère autre chose que la sensation d’un passage éphémère, un passage aussi impalpable que l’ombre et aussi rapide que la pensée. Nous-même et strictement nous-même est ce que nous devenons lorsque s’éteint la sensation du passage en nous de cette ombre spacieuse. Nous-même et strictement nous-même est le rocher au sommet duquel s’assied le mort considérant sa vie passée.
*
L’autre côté du monde offre la même apparence que ce côté-ci du monde. La sensation seulement diffère.
*
Dans le temps tout se clôt, dans l’espace tout se délie.
*
Il y a des moments forts dans le cycle des saisons comme le chant du coucou à midi, dans la pleine chaleur de l’été ou le bruit d’ailes des insectes qui fendent l’air et s’enfuient. Assis face au soleil mais protégé par l’ombre des buissons, tu t’étires dans l’espace matriciel, parcelle de vie négligeable prise dans le coït étouffant du ciel et de la terre. »
Claude Margat
Daoren. Un rêve habitable
Avec des encres de l’auteur
La Différence, 2009
Claude Margat est mort le 30 novembre 2018, à Rochefort où il était né en1945.
Poète, peintre, romancer, essayiste, c’était un de ces êtres rares qui font que la vie est moins insupportable. C'est dire s'il manque déjà.
14:47 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : claude margat, daoren.un rêve habitable.la différence
jeudi, 29 novembre 2018
Su Shi, « Écrit pour les adieux de Cen »
Portrait imaginaire de Su Shi par Zhao Mengfu
« Paresse semble souvent pareille au calme,
Mais le calme est-il l’élève de la paresse ?
Maladresse est tout près de droiture
Mais la droiture est-elle maladroite ?
Vous êtes calme et droit, messire,
Naturel et délié au gré des circonstances.
Hélas ! moi, que fais-je encore ?
De vous avoir connu, je tire nouvelles joies.
Je ne vais pas contre le monde,
Nous sommes simplement différents.
Moins habile qu’un pigeon dans les bois,
Plus lent qu’un poisson sous les glaces.
La droiture parfois s’étire et se déploie,
Le calme n’est jamais définitif.
Et moi je souffre de ces maux
Que ne guérissent ni aiguilles ni simples.
Au moment du départ, étonné des alcools si légers,
Et après les adieux, laissé seul dans les larmes.
Nous nous reverrons un jour, c’est certain,
Même si, j’en ai peur, la vie publique nous éloigne.
Je m’en remets seulement au rêve des anciennes collines
Qui vous emmènera dans ma pauvre chaumière. »
Su Shi (Su Dungpo) – 1037-1101
« La dynastie des Song du Nord »
Traduit par Stéphane Feuillas
In Anthologie de la poésie chinoise
La Pléiade, Gallimard, 2015
17:54 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : su shi, su dungpo, écrit pour les adieux de cen, stéphane feuillas, anthologie de la poésie chinoise, la pléiade, gallimard
jeudi, 22 novembre 2018
Luo Fu, « En raison du vent »
DR
« En raison du vent
Hier j’ai longé la rivière
Sans me hâter jusqu’à
L’endroit où les roseaux se penchant pour boire
Et j’ai demandé à la cheminée
D’écrire pour moi dans le ciel une longue lettre
Sans doute un peu confuse
Mais mon intention
Était aussi claire que la chandelle à ta fenêtre
Qu’on y trouve un peu d’ambiguïté
C’est bien difficile à éviter
En raison du vent
Que tu comprennes ou non cette lettre n’a pas d’importance
L’important c’est qu’il faut
Avant que les chrysanthèmes n’aient complètement fané
Que sans tarder tu te mettes en colère, ou que tu ries
Que sans tarder tu prennes dans le coffre cette fine chemise qui est à moi
Que sans tarder tu peignes à ton miroir cette noire et souple séduction qui est la tienne
Et qu’ensuite avec l’amour de toute une vie
Tu allumes une lampe
Je suis un feu
Qui à tout moment peut s’éteindre
En raison du vent »
1981
Luo Fu
En raison du vent
Traduit du chinois (Taïwan) par Alain Leroux
Circé, 2017
http://www.editions-circe.fr/livre-En_raison_du_vent-588-1-1-0-1.html
14:40 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : luo fu, en raison du vent, alain leroux, circé
mercredi, 21 novembre 2018
Joël Cornuault, « Tes prairies tant et plus »
DR
« Que si le temps aux trousses
– vieilles faux
que vous faut-il encore
roses noires squelettes piquants ? –
il reste tant de ces temps
d’allégresse suffisamment douce
pour ne pas nous exploser
tu es faite comme un moineau de cerisier
une moinelette de sorbier –
mais intense assez
pour faire feu à fleur et à fourrure
des quatre fers dans le cœur
cela tient à l’esprit
que tu as distribué
sur nos heures
ton affluence de dons
– tu parles du haut d’un printemps
Dans mon sac à pie tes diamants ont chu
Je l’ai senti si fort hier
ce courant
ce courant de cavalcade
dans le plus grand secret
d’une parfait générosité
et que cette influence
digne des fleurs de jasmin et des perce-neige réunis
est ta création
– belle comme une horloge qui a perdu ses aiguilles
une goutte de parfum sur la nuque à l’attention du fiancé
quand il s’endort contre la fiancée –
ta graine au jardin
dans ce désert
désert de fées
ta veille au grain d’Éden
À longueur de jours nos mille et une nuits »
Joël Cornuault
Tes prairies tant et plus
Dessins de Jean-Marc Scanreigh
Pierre Mainard, 2018
http://pierre-mainard-editions.com/boutique/grands-poemes...
17:31 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : joël cornuault, tes prairies tant et plus, pierre mainard, jean-marc scanreigh
lundi, 19 novembre 2018
Franck Venaille, « Visage du condottiere »
DR
« D’une douleur prégnante je cherche la raison
quand cesserai-je de porter à mon cou cette pancarte
où s’étale le mot : “c.o.u.p.a.b.l.e” ?
Pourrais-je enfin vivre et penser, agir, aimer et caresser
la chair de l’autre sans me croire installé
sur le bûcher de souffrir ?
D’une blessure ancienne suinte le pus.
Quelque chose se tord et ricane en moi.
Peut-être la vision que j’ai de l’infini.
Peut-être ce qui perdure en moi de primitif.
Rien que la sensation d’être cet homme désigné
fatigué de tirer l’attelage des jours.
Çà ! Ma douleur !
Ne pouvons-nous pas ajouter un brin de comique à nos rapports ?
(je me contenterai d’un pétale d’humour).
Déjà : on installe devant moi cette bouilloire.
Déjà : dans mon uniforme d’officier du 54e régiment des Trop Sensibles
je prie ma compagne de partager, avec moi, le breuvage fort !
C’est alors qu’un cheval avance sa tête par la fenêtre blonde ouverte
avec harmonie ses longs cils se mêlent aux broderies du rideau.
Ah ! Montagnes bleues peintes par l’Éternel !
Ah ! Mélodie rose de la fleur de lupin !
La douleur est bien là : n’est-elle pas organiquement mienne ?
Mais j’en fais don au pasteur intègre du village.
Et c’est d’un air léger que je termine de boire,
alors que
pour moi seul, cette femme entière
soulève sa voilette.
——————————————————————
En ces après-midi où surgissaient les merles
– petits orateurs agités et pugnaces –
je ne demandais rien d’autre à la vie que cela
partager avec eux le silence capiteux
me laisser abuser par leur si incompréhensible joie
et
pourquoi pas ?
à mon tour étendre sur ma douleur mes ailes noires
afin de la cacher au regard d’autrui
en ces après-midi où surgissaient les merles.
D’une chambre à l’autre
en leurs fenêtres ouvertes
passait, bon compagnon : le vent d’avril !
J’étais ce condottiere venu pour régner sur quelques icônes
forcément chastes. Ce soldat adossé à cet arrole noir
lui servant de rempart – main nue qui se tend au passage d’une jupe –
Rien que moi !
Tout de moi !
En ces après-midi où s’agitaient qui vous savez.
Elle était donc douce et lumineuse cette vie !
Pourquoi, soudainement, cette étrange odeur glissant dans les couloirs ?
Et d’où venait, rauque et rauque, cette roux rauque, qui :
s’élançait
contournait
s’immisçait partout, si rauque ?
De quelle poitrine ? Ça je le saurai.
De quels poumons ? On me le confiera.
De quel appartement avec vue sur le lac ?
Rauque et rauque cette toux signalant à toutes et tous
que, parmi eux, un être souffrant, sur sa couche, mal respirait.
En ces après-midi où surgissaient les merles. »
Franck Venaille
Tragique
Obsidiane, 2001, rééd. Poésie/Gallimard, 2010
11:28 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : franck venaille, visage du condottiere, tragique, obsidiane, poésiegallimard
samedi, 17 novembre 2018
Lutz Seiler, « Kruso »
DR
« “La mission de l’Est, Ed, je veux dire de l’Est tout entier à commencer par les yourtes casaques, par la tente de cirque de ma mère à Karaganda, tu sais, de là-bas jusqu’ici, jusqu’à cette île, cette arche…”, il avala de travers et recracha, mais la bouillie lui faisait manifestement du bien, “… ce sera de montrer la voie à l’Ouest. La voie vers la liberté, tu comprends, Ed ? Ce sera notre mission à nous et la mission de l’Est tout entier. La montrer à ceux qui, d’un point de vue technique, économique, infrastructurel sont allés…”, il déglutit et reprit avec une voix plus forte, “à ceux qui ont fait tant de chemin avec leurs autoroutes, leurs chaînes de montage, leurs parlements, leur montrer le chemin de la liberté, cette face perdue de leur… leur existence.” À nouveau il avala de travers, puis une quinte de toux, comme si un géant invisible l’avait saisi par les épaules pour le secouer.
Chut”, fit Ed mais il se tut aussitôt lorsqu’il aperçut le regard perçant de Kruso.
“C'est notre mission, Ed. Protéger la racine des scories qui nous arrivent maintenant, qui la submergent sous des avalanches si agréablement parfumées, incroyablement séduisantes et douces, sous des scories d'une grande beauté, tu comprends, Ed ?”
Mal à l’aise Ed essaya de continuer à le nourrir, mais Kruso n’avalait plus, il ne faisait que serrer les lèvres un peu plus, et ainsi une partie de la bouillie ressortait.
“La liberté nous attire. Elle reconnaît ceux qui l’aident. Toi aussi elle t’a reconnu Ed !”
Ed frotta autant qu’il put pour nettoyer de cette bouillie jaunâtre sa barbe de plusieurs jours et lui frictionna aussi la poitrine. Cette fois-ci les ablutions ont lieu l’après-midi, cette idée absurde frôla Ed. Il chercha à rassurer son ami avec des mots encourageants.
“Nous devons manger quelque chose, Losch. Je veux dire pour être fort, pour combatte les scories, je veux dire, qui d’autre sinon saurait comment…”
Comme Ed n’avait plus grand chose à dire à ce sujet (alors qu’il ressentait comme souvent une grande envie d’être d’accord avec son compagnon, d’être uni à lui malgré toute la distance), il se mit à réciter du Trakl. Il avait bien oublié quelques strophes, voire des textes entiers. Ce n’était pas grave. Il convoquait des vers et des rimes de textes venus d’ailleurs, l’ensemble des stocks sus par cœur était un peu mité à présent, et il chuchotait tout cela comme pour lui-même, il en faisait une seule et unique mélodie chargée d’amour et de désespoir – son ton à lui. Les poèmes de Kruso en faisaient partie aussi, et puis aussi des passages dont jusqu’ici il avait ignoré l’existence. Quelque chose comme un poème à lui – comme s’il avait commencé à écrire.
La cuillère toucha la bouche de Kruso et le sésame s’ouvrit.
“Bien Losch, c’est très bien, murmura Ed, nous y arriverons, tu verras.” »
Lutz Seiler
Kruso
Traduit de l’allemand par Uta Müller et Bernard Banoun
Postface de Jean-Yves Masson
Coll. « Der Doppelgänger »
Verdier, 2018
19:42 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : lutz seiler, kruso, uta müller, bernard banoun, jean-yves masson, verdier
jeudi, 08 novembre 2018
Michel Jullien, « L’île aux troncs »
DR
« Tchoubine et Sniezinsky furent des premiers colons, la fournée de 49, deux vétérans parmi les cent trois estropiés cinglant vers l’île le mardi 4 octobre, un vapeur. Personne ne vit les voyageurs débarquer à la force des bras, une queue-leu-leu sur la passerelle, leur démarche sur les mains, le tronc oscillant, un paquetage minuscule accroché dans le dos, leur regroupement sous les mélèzes, cent trois samovars postés sur la grève et l’au-revoir de tous ces bras à l’équipage. Bientôt le lac durcirait pour des mois. Le vapeur appareilla, sa cheminée fit un toupet noiraud dans les brumes de Valaam, on ne le vit plus – sa fumée, son fuselage –, et lorsque la colonie s’ébranla vers le centre de l’île avec cette neige et cette façon d’aller, on pensait à un banc de pingouins. Cent trois samovars, une petite congrégation insulaire, le ramassis des grands lendemains.
Au monastère, les nouveaux arrivants eurent le choix des cellules. Kotik et Piotr élurent deux loges attenantes au centre de l’allée, dans l’enceinte, presque à regret. Ils auraient préféré la même, empiler des châlits afin qu’aucune cloison ne les éloignât mais, cette année-là, le parc immobilier permettait que chacun fût chez soi. Ce n’est qu’ensuite, fallut se tasser, le monastère se remplissant à la faveur des transports printaniers. Pour l’heure, début d’hiver, les nouveaux résidents ne se marchaient pas sur les pieds, les murs marquaient une tendance au vide, en plus de quoi quelques âmes affectées dans cette retraite insulaire n’avaient pu supporter les rigueurs magistrales de la première saison, libérant des cellules. Ce ne fut pas le cas des deux comparses en leur nouvelle terre. Au contraire, Valaam les secoua, l’espace, le frimas, la nature, une certaine hygiène recouvrée, un minimum de soins dispensés, une vie communautaire mieux réglée parmi leurs prochains, la quiétude insulaire, les vapeurs lacustres, une diète éthylique vivifiante, du bouillon chaud, un toit, des nuits, du régime, un peu des bienfaits d’une cure. Après des années de macadam, la pause erratique les transforma. Aux heures de la journée, leur métabolisme savait renouer avec les conséquences d’une cuite. Les couperoses s’affadirent aux joues de Sniezinsky. Il désenfla, le pourtour mieux cintré et l’humeur retrouvée, non pas pour le petit gain esthétique mais, principalement, parce qu’en ces derniers temps à Leningrad il se fatiguait de traîner son ventre à même le sol lorsque les jambes n’aidaient en rien à le rehausser. Voici qu’entrait désormais un trop-plein de vide entre son froc et lui-même. Il s’en procura un nouveau, moins ample, de bon tissu. Ses toux s’apaisèrent, se turent, n’éclatant qu’aux premières minutes du réveil ; encore un peu et sa trachée s’épura au sortir du premier hiver. Il s’occupait. Sur le seuil de sa cellule Piotr s’adonnait à un petit commerce épatant, tailler des cuillères en pin sibérien, des bols dans le bois, creuser des écuelles au canif, racler des timbales, ses mains occupées à façonner des couverts qu’il entendait troquer non pas contre une planchette mobile comme beaucoup en possèdent mais un vrai fauteuil, avec des roues, une assise et un dossier. »
Michel Jullien
L’île aux troncs
Verdier, 2018
16:35 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : michel jullien, l'île aux troncs, verdier
dimanche, 04 novembre 2018
Jacques Roman, « D’entente avec oui »
Vincent Ottiger
« Il est étendu dans l’herbe
un livre tombe à terre
pourquoi le ramasse-t-on
et se relever
pourquoi donc se relever
à quelle page l’ouvrir
si l’on ne peut plus lire
Est-ce le poids du ciel
que soulève la poitrine
qui donc tourne les pages
d’un bleu papier
et télégraphie
de la détresse stop
sourire de la farce stop
–––––––––––––––––––––––
D’entente donner le jour
de ce côté-ci
à d’étranges constellations
entrevues intimes
au respir et au lit
de la conscience
son étendue nocturne
D’entente avec oui
aveugle chancelant
effleurer la face
de l’invisible sens
et voir d’un instrument fou
le revenant dire je
dire avoir entendu »
Jacques Roman
D’entente avec oui
Gravures sur bois de Vincent Ottiger
Paupières de terre, 2008
https://paupieresdeterre.wordpress.com/2012/02/22/jacques...
16:34 Publié dans Écrivains, Édition, En fouillant ma bibliothèque, Livre | Lien permanent | Tags : jacques roman, d'entente avec oui, vincent ottiger, paupières de terre
jeudi, 01 novembre 2018
Katherine L. Battaiellie, « Récit »
« Selon les besoins du ménage, et ses sentiments, elle transporte l’urne d’une pièce à l’autre. Quand les soucis s’accumulent, elle se poste en face d’elle et admoneste les cendres avec véhémence.
Elle leur crie qu’elle n’en peut plus, entre la chaudière qui est tombée en panne, la cave qui a été inondée, le voisin qui se plaint des branches qui dépassent sur sa propriété, les papiers des impôts qui ont disparu. Il aurait pu ranger un peu, mais ça, ça n’a jamais été son fort, et il s’est bien défilé, il la laisse toute seule se débrouiller.
Et quand elle a dit tout ce qu’elle avait à dire, elle prend l’urne, la fourre par terre dans un coin sombre derrière un meuble, et quitte la pièce en claquant la porte. »
Katherine L. Battaiellie
Récit
Rhubarbe, 2018
14:37 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : katherine l. battaiellie, récit, rhubarbe
mercredi, 31 octobre 2018
Christophe Manon, « Qui vive »
Christophe Manon & Frédéric D. Oberland, concert Jours redoutables,
à la Bibliothèque Mériadeck, 23 mars 2018 © cchambard
« Maintenant tu as mal camarade, d’une douleur sans âge, celle qui parcourt à gros bouillons de sang la longue histoire de l’humanité. Maintenant tu voudrais cesser d’entendre et de voir, te transformer en plante ou mieux encore en pierre, incapable d’un cri ou d’un geste, et tu voudrais sombrer dans un long sommeil qui n’arrive pas.
Maintenant tu as mal camarade. Tu agonises ou tu es déjà mort. Peu importe. Tu séjournes dans un espace intermédiaire, dans un temps intermédiaire, dans un de ces lieux de transition entre réel et irréel, on ne sait où, étendu, saignant, très calme cependant, tu fermes les yeux et te recroquevilles en position fœtale. Tu voudrais simplement rejoindre ton terrier natal, te coucher dans ta ruche tout confort pour une nuit sans rêve. Désireux maintenant de dormir en paix.
Tu ignores qui tu es, où tu es, et ce que tu fais, camarade. Tu ignores si tu te trouves au centre ou à la périphérie de la mort. Et quelle importance d’ailleurs ? Lèvres closes, tu cherches. Tu cherches des mots, mais dans quelle langue et pour communiquer avec qui ? Les yeux écarquillés comme un animal sauvage surpris dans sa fuite, tu protestes. Tu ne comprends pas et tu protestes.
Ne t’en fais pas, camarade. Mourir n’est pas difficile. Vivre l’est beaucoup plus. Vivre est une réalité. Ne t’en fais pas. Ta mort était déjà ancienne quand ta vie commença et tu as renoncé à toi-même depuis longtemps déjà. Mais est-ce mourir cette incompréhension, cette surprise, la bouche ouverte, les bras ballants ? Tu fermes les yeux et tu vois maintenant. De ton lointain passé surgissent des souvenirs que tu croyais disparus à jamais, séparé d’eux par l’infranchissable épaisseur du temps comme un obstacle de verre invisible et trompeur. »
Christophe Manon
Qui vive
Nouvelle édition revue et corrigée,
suivie de Missive du Conseil autonome des partisans rouges et de Derniers Télégrammes
Dernier Télégramme, 2018 (première édition, 2010)
15:03 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : christophe manon, qui vive, dernier télégramme
samedi, 27 octobre 2018
Patricia Cartereau & Albane Gellé, « Pelotes, Averses, Miroirs »
« Tu te rappelles
on ramassait des allumettes,
une enfant se lançait dans ses questions
avec une vigueur de poisson-chat
tu me diras qu’un jour tous les murs finissent
par être repeints
mais pour quel palais,
et jusqu’à quels estuaires.
On emmènera les animaux
parler à ceux qui ne parlent plus,
on s’occupera des drames,
on veillera la joie,
on prendra le temps de se dire au-revoir
devant des maisons,
des bouquets de fougères.
Sur la colline le ciel s’ouvre,
prépare la neige, tout est dehors.
Une maison est posée
sous le ventre d’un cheval,
le monde tremble, a de grandes rages.
J’additionne et je range
toutes les minutes de silence.
Tout vole et je marche
dans des éclats,
mille et cent signes, je touche
une écorce frottée par un sanglier,
viens voir ce cercle de houx,
entends-tu. »
Patricia Cartereau & Albane Gellé
Pelotes, Averses, Miroirs
Lecture de Ludovic Degroote
L’Atelier contemporain, 2018
http://www.editionslateliercontemporain.net/collections/l...
12:33 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : patricia cartereau, albane gellé, pelotes, averses, miroirs, ludovic degrotte, l'atelier contemporain