jeudi, 30 janvier 2020
Ariel Spiegler, « Jardinier »
Agnolo di Cosimo dit Bronzino, Noli me tangere, 1561, Paris, Musée du Louvre
Ce n’est pas si courant qu’un livre de poèmes me transporte à ce point. Celui-ci est une vraie surprise. Acheté il y a 48 heures dans une bonne librairie après quelques pages sur place, il m’a bouleversé par ce qu’il donne à lire et à penser, mais aussi par ce qu'il rompt avec bien des façons actuelles. Ce n’est pas si courant aujourd’hui que la chair et l’esprit soient abordés avec générosité, réelle envie de partage, quête de soi-même dans l’amour de l’autre, qu’il soit humain ou d’essence divine – le jardinier on l’aura compris est le Christ ressuscité que Marie-Madeleine rencontre près du tombeau, comme le rapportent Jean & Marc. Reprenant, poursuivant, au fond, ce que quelques-uns de ces prédécesseurs ont mis en route – Thérèse d’Avila & Jean de la Croix, pour aller vite –, Ariel Spiegler – dont je ne connaissais rien –, bouleverse les habitudes et les sens en six parties, où le « je », le « tu » qui vont de l’un à l’autre — « petite », « Ariel », sont forcement plus définis —, sont les moteurs d’un dialogue intérieur et d’une passion qui porte à vaincre ce que le monde et le temps opacifient, abiment. Ce sont « L’appel d’un homme incompréhensible », « une mélodie, une espèce de couleur », « la meilleure part de toi », le désir, bien sûr, la recherche, l’erreur forcément, le questionnement permanent, qui constituent ce livre très sensuel et divin où, par exemple, « je me suis mélangée à son corps » et « j’ai chanté trop tôt la prière des humains et des anges » seraient des passages qui nous donneraient des nouvelles, de nous-même, perdus et déliés dans la passion et réunis dans l’écriture et la lecture. C’est dire si ce livre est nécessaire.
Claude Chambard, 30 janvier 2020
« Je t’adore
Qui es-tu ?
Avant que je parle, que je batte,
il y avait l’espace immense.
Tu as présidé à l’aurore.
Aucun oiseau n’est tombé sans toi.
Toute la nuit je t’ai voulu
mais que dure la nuit ?
Je t’adore.
J’ai fait d’un rien du tout
une histoire extravagante,
des nœuds marins
et les nuages allaient, sans pensée, au-dessus de moi.
Que je t’adore en marchant, en dormant,
que je t’adore par tous les visages.
Soulève-moi jusqu’à ta face,
effeuille-moi, amoindris-moi,
disperse-moi dans ta lumière.
Je t’adore.
Surgis, vivante, lève-toi
et cherche celui qui t’attend depuis
avant ta naissance
pour que tu deviennes
libre comme lui.
Ne cesse pas de chanter, de le vouloir,
chante. »
Ariel Spiegler
Jardinier
Gallimard, 2019
15:26 Publié dans Anniversaires, Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : ariel spiegler, jardinier, gallimard
vendredi, 10 janvier 2020
Lu Yu, « Écrit dans un moment de détente »
« Un vieil homme allant sur ses soixante-dix ans,
En fait, tout pareil à un enfant
Qui cherche en sanglotant les fruits des monts,
Qui suit en éclatant de rire les mimes des villages,
Ravi d’ajouter avec d’autres des tuiles sur le stupa,
Debout, seul, se mirant dans un petit bassin,
Qui prend entre ses doigts un livre usé à lire,
Embrouillé comme s’il allait étudier à l’école… »
Lu Yu – 1125-1210
Traduit du chinois par Stéphane Feuillas
in Anthologie de la poésie chinoise
Pléiade / Gallimard, 2015
18:03 Publié dans Chine, Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : lu, écrit dans un momen de détente, anthologie de la poésie chinoise, stéphane feuillas, gallimard
vendredi, 03 janvier 2020
Robert Walser, « Ce que je peux dire de mieux sur la musique »
Si vous n’avez jamais lu Robert Walser, voici une excellente occasion de commencer. Ce joli livre que publient nos amies de Zoé est une petite anthologie qui traverse son écriture des premières aux dernières pages, de 1899 à 1933. On reconnaîtra – relira – certains de ces textes déjà publiés chez Zoé & ailleurs, mais la fidèle Marion Graf donne ici la traduction d’une jolie moitié d’inédits – dont celui que nous reproduisons plus bas, daté de 1933 (l’année où il cesse d’écrire). Ce choix de textes, axés autour de la musique, de la musicalité, on l’aura compris au titre de l’ensemble, seront pour les uns une magnifique révision avec l’émerveillement de l’inédit par surcroît et, pour les autres, une splendide et joyeuse introduction à la lecture du maître ès poèmes brefs, petites proses & autres microgrammes qui mourut, dans la neige, le jour de Noël 1956 lors d’une de ses promenades quotidiennes à Herisau.
La belle nuit
« Je note ceci à la hâte : par exemple pendant le repas, on soulève par la douce peau du cou un petit chaton bien réel, qui n’est pas une allégorie, donc, pour voir s’il a envie de rester là où s’il préfère s’en aller. Il n’y a pas au monde un seul être pensant, pas un seul être sentant qui puisse imposer à un chaton ses caresses. Dans un recueil de poèmes, je viens de tomber sur une place de marché. Par rapport au problème qui vient de surgir à l’horizon des aspirations culturelles, “l’esprit et la technique”, j’ai pensé la nuit dernière, que j’aimerais qualifier de belle nuit parce qu’elle était sans vent et sans nuages, que la technique était un moyen de mettre de l’ordre dans les choses de l’esprit, que l’esprit, porté à des coups de génie etc. était le mâle que la technique, femelle, allait chercher dans ses divagations pour le ramener vers l’utile et le nécessaire. Le recueil de poèmes mentionné est signé Ludovic Boucledor, et ce sont les éditions du Rire, à Witzville, qui me l’ont adressé. Est-ce que je fais partie des journalistes épris de vérité, oui ou non ? Je veux planter mes dents dans cette question comme dans un gâteau croustillant, et pour y répondre, je déclarerai que jamais je ne parle du temps qu’il fait. Si je séjourne dans une ville étrangère où se jette peut-être sur moi un vent violent, j’écris ensuite que mes principes m’interdisent de m’étendre sur les détails. J’agis de la sorte parce que j’ai découvert que certaines sincérités ne sont en réalité que des dépendances intellectuelles. À mon avis, les correspondants, et je ne parle pas ici des commerciaux, mais bien des écrivains, ne doivent pas se soumettre aux influences du monde sensible, au nombre desquelles je compte les atmosphères, etc. À quoi sert la supériorité du journaliste ?
La nuit qui m’enveloppait merveilleusement voltigeait autour de mon âme comme une Philomèle. Je venais de quelque part et je me rendais quelque part. Des êtres volants survolaient le théâtre de la vie avec leurs plumes d’argent, gagnant leurs honoraires et laissant tomber sur le sol des écrits imprimés afin que le public les ramasse et les lises. Un hôtel de montagne éclairé à l’électricité flottait comme dans les airs, du fait que dans la vapeur nocturne, la silhouette de la montagne était invisible, ce qui avait l’air splendide. Sur le cours d’eau où scintillait en profondeur une lueur dorée, des musiciens glissaient en gondoles, et on eût dit que les branchages qui s’inclinaient depuis les hauteurs étaient des auditeurs tendant l’oreille à ce concert, et de nouveaux morceaux de prose me vinrent à l’esprit. Les idées qui viennent à l’esprit d’un écrivain n’impliquent-elles pas la perspective d’efforts à venir ? Pour cette raison, je suis presque heureux quand rien ne me passe par la tête. “Une heure d’oubli”, c’est le titre d’une collection publiée à Paris dont je suis depuis longtemps l’ami.
La belle nuit devint la plus belle nuit du monde au moment où dans une véranda, aux abords de la ville, j’aperçus des gens attablés pour le repas du soir, après le travail, tandis qu’un harmonica faisait monter d’un jardin endormi une mélodie pour dire bonne nuit et que les ombres des feuilles se découpaient contre une façade, et que des chemins à peine distinct menaient vers des maisons, ou s’en éloignaient.
À présent, un mot tout de même pour évoquer le plaisir que j’ai pris, dans la retraite de mon cabinet de travail, à me faire la lecture des vingt poèmes de Boucledor, c’était comme si je les avais lus d’une voix contenue à une femme ouverte à la poésie et à ces choses-là.
La poésie m’amuse toujours dans la mesure où de petites fautes de rythme m’y réservent une délectation supplémentaire. Pour ce livre de poèmes assez maigre, je dis vingt fois merci à l’auteur, une fois pour chacune des vingt contributions ailées. D’autre part, Boucledor me saura peut-être gré de l’avoir entretissé dans cette belle nuit. »
Traduction Marion Graf
Robert Walser
Ce que je peux dire de mieux sur la musique
Choix de textes édités par Roman Brotbeck et Reto Sorg
Traduits de l’allemand par Marion Graf, Golnaz Houchidar, Jean Launay, Bernard Lortholary, Jean-Claude Schneider, Nicole Taubes
Zoé, 2019
https://www.editionszoe.ch/livre/ce-que-je-peux-dire-de-mieux-sur-la-musique
17:38 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : robert walser, ce que je peux dire de mieux sur la musique, roman brotbeck et reto sorg, marion graf, golnaz houchidar, jean launay, bernard lortholary, jean-claude schneider, nicole taubes, zoé
mercredi, 01 janvier 2020
Pierre Bergounioux, « Enfantillages »
« Courir après des insectes, récolter des cailloux, lire continuellement, au lieu d’agir, qui semblent insanes, passé un certain âge, le sont beaucoup moins et peut-être pas du tout si l’on admet que le passé demeure présent à chaque instant et ne s’éloigne, ne passe qu’autant qu’il a trouvé son achèvement. C’est parfois le cas et alors on est quitte, disponible pour des tâches nouvelles, actuelles. Mais il arrive, et c’est le plus souvent, au commencement, que notre ignorance, notre incurie nous empêchent d’obtenir ce qui nous est très manifestement destiné, nécessaire, salutaire. On ne coupera pas au dépit, à la tristesse. Mais si l’on est incapable d’intercepter les merveilles qui passent et que les adultes ne voient rien, ne font rien qui vaille, on a toujours la ressource de confier à celui qu’on sera peut-être devenu, à son tour, plus tard, le soin de réparer les dommages et les pertes qu’on a essuyés d’emblée. De lui à nous, il existe une continuité essentielle, et c’est le temps. »
Pierre Bergounioux
Enfantillages
L’Herne, 2019
Avec tous mes vœux pour 2020
16:59 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : pierre bergounioux, enfantillages, l'herne
mardi, 31 décembre 2019
Ishikawa Takuboku, « 7 tankas »
« Tout comme l’enfant qui parti en voyage
revenu au pays s’endort
aussi doucement en vérité est arrivé l’hiver
Chose plutôt rare
que ce calme plat dans mon cœur
quand j’écoute avec plaisir jusqu’à l’horloge qui sonne
Ah si pour sincèrement
lui ouvrir mon cœur j’avais un ami !
Je commencerais par lui parler de toi
Ce dont les gens parlent
cette beauté des cheveux défaits qui s’emmêlent aux tempes
je l’ai reconnue en te voyant écrire
De couleur cramoisie
ce vieux carnet où subsistent
l’heure et le lieu du rendez-vous secret !
Dix ans déjà que je l’ai composé disait-il de ce poème chinois
avant de le déclamer lorsqu’il était ivre
Ami vieilli de tant voyager
Quand donc était-ce ?
Oh la joie que j’avais eue à entendre soudain dans un rêve
cette voix que depuis si longtemps hélas je ne puis écouter ! »
1910
Ishikawa Takuboku
Une poignée de sable
Traduit du japonais par Yves-Marie Allioux
Philippe Picquier, 2016
17:35 Publié dans Écrivains, Édition, Je déballe ma bibliothèque, Livre | Lien permanent | Tags : ishikawa tabukoku, une poignée de sable, yves-marie allioux, philippe picquier
dimanche, 29 décembre 2019
Natsume Sôseki, « Dénigrement de soi servant à clore le cahier des “Copeaux” »
« Regardant à froid, je suis aise de m’éloigner du monde,
Et déraisonnable et si lent à m’attirer les louanges.
Prêt à brocarder les modernes, j’abandonne leur temps ;
Proche de dauber les anciens, je fréquente leurs livres.
Mon talent semble un vieux bidet poussif autant qu’ombrageux,
Mon savoir tient de la dépouille d’insecte mince et vide.
Il me restera ce faible pour les brumes du voyage.
Jugeur de fleuves et de montagnes, je dors sous le chaume. »
septembre 1889
Natsume Sôseki
Poèmes
Traduit du chinois (Japon), présenté et annoté par Alain-Louis Colas
édition trilingue, chinois, japonais, français
Le bruit du temps, 2016
13:23 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : natsume sôseki, dénigrement de soi servant à clore le cahoer des copaux, poèmes, alain-louis cola, le bruit du temps
mercredi, 25 décembre 2019
Pierre Bergounioux, « Des salons de verdure »
« Il existe deux sortes de livres : les bons et puis les autres. Les premiers débordent en quelque sorte d’eux-mêmes. Ils n’instituent pas un monde à part, sui generis. Ils ouvrent celui qui les ouvre, changent sa pensée, donc sa vie. Deux facteurs contribuent à appauvrir celle-ci, l’ordre des choses, qui est toujours coercitif, dans les sociétés de classes, et la routinisation, qui est une défense contre le risque, l’angoisse, le nouveau. Les poètes s’inscrivent en faux contre le premier et nous délivrent, à leurs frais, de nous-mêmes, de notre triste finitude, de l’ennui, de la médiocrité. »
Pierre Bergounioux
Des salons de verdure
in Cahiers de l’Herne n° 127, “Pierre Bergounioux”,
sous la direction de Jean-Paul Michel, novembre 2019
http://www.editionsdelherne.com/publication/cahier-pierre-bergounioux/
15:33 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : pierre bergounioux, des salons de verdure, jean-paul michel, l'herne
vendredi, 20 décembre 2019
Mareille Macé, « Ce besoin d’installer sur terre ce que l’on a rêvé. “Compagnies de Mathieu Riboulet” »
« Encore. Voilà un mot plein de ressources ; on pourrait dire que c’est le temps lui-même, le temps de la vie même : il désigne ce qui a tenu jusqu’à maintenant, et ce qui se soulève de nouveau, ce qui aura toujours à se soulever de nouveau. “Encore”, cela veut dire que ça aura tenu jusqu’à cette heure : la vie se sera poussée en nous “comme un vaillant petit cortège”, la vie aura tenu jusqu’à maintenant, la vie se sera éprouvée en nous jusqu’à maintenant, la vie qu’on n’abat pas. Mais cela veut dire aussi qu’on n’a jamais vécu une bonne fois pour toutes ; que toujours ça se resoulève, ça doit se resoulever, se remettre en selle. De nouveau. Allez ! encore une fois. “Encore” est certes le mot de la lassitude : et allez, encore ! C’est le mot de la fatigue à recommencer, à avoir à recommencer. Travailler encore, supporter encore l’avalanche des deuils. Mais “encore” est aussi et surtout le mot du désir, du désir forcément infini ; car aimer, c’est vouloir encore, en vouloir encore. C’est le mot des amants, et c’est le mot des enfants : encore ! qui ne voient pas pourquoi un bonheur ou un plaisir devrait s’arrêter – et ils ont raison. Encore est le mot de l’infini dans les choses, des choses qui n’en finissent pas, qui s’infinissent toutes seules ou qu’on doit infinir. Comme la joie, comme la lutte. “Nous deux encore” donc, mais aussi et encore nous tous, nous tous constitués par le désir de bâtir, de camper en effet sur ces rives, avec les fantômes, de braver ce monde abîmé et d’y faire nos cabanes, puisque décidément “notre besoin d’installer quelque part sur terre ce que l’on a rêvé” ne connaît pas de fin. »
Marielle Macé
« Ce besoin d’installer sur terre ce que l’on a rêvé »
in « Compagnies de Mathieu Riboulet »
Verdier, en librairie le 9 janvier 2020
https://editions-verdier.fr/livre/compagnies-de-mathieu-riboulet/
40 ans de Verdier
17:14 Publié dans Écrivains, Édition, Livre, Verdier | Lien permanent | Tags : marielle macé, ce besoin d'installer sur terre ce que l'on a rêvé, compagnies de mathieu riboulet, verdier
jeudi, 19 décembre 2019
Carl Rakosi, « Le vieil homme »
DR
« D’abord les poils
poussèrent plus épais sur la poitrine
et le ventre
et les cheveux plus fins au sommet
de son crâne.
Puis le gris apparut
le long du côté droit
de sa poitrine.
Un jour il regarda
dans le miroir
et vit des poils épais
et gris dans ses narines.
Alors il voulut
admettre
que l’âge était venu.
Le vieil homme
retira son dentier
du verre d’eau
et coupa lui-même
une petite saucisse.
Jeune homme
il avait été si pressé
de vieillir.
Maintenant, il se sentait plus jeune
que jamais. »
Carl Rakosi
Amulette
Traduit de l’américain par Philippe Blanchon en compagnie d’Olivier Gallon
Suivi d’un entretien avec l’auteur
La Barque, 2018
14:42 Publié dans Écrivains, Édition, En fouillant ma bibliothèque, Livre | Lien permanent | Tags : carl rakosi, amulette, philippe blanchon, olivier gallon, la barque
Carl Rakosi, « Le vieil homme »
DR
« D’abord les poils
poussèrent plus épais sur la poitrine
et le ventre
et les cheveux plus fins au sommet
de son crâne.
Puis le gris apparut
le long du côté droit
de sa poitrine.
Un jour il regarda
dans le miroir
et vit des poils épais
et gris dans ses narines.
Alors il voulut
admettre
que l’âge était venu.
Le vieil homme
retira son dentier
du verre d’eau
et coupa lui-même
une petite saucisse.
Jeune homme
il avait été si pressé
de vieillir.
Maintenant, il se sentait plus jeune
que jamais. »
Carl Rakosi
Amulette
Traduit de l’américain par Philippe Blanchon en compagnie d’Olivier Gallon
Suivi d’un entretien avec l’auteur
La Barque, 2018
14:40 Publié dans Écrivains, Édition, En fouillant ma bibliothèque, Livre | Lien permanent | Tags : carl rakosi, amulette, philippe blanchon, olivier gallon, la barque
vendredi, 13 décembre 2019
Tonino Guerra, « vendredi 13 décembre 1996 »
« Il y a toujours une journée, dans la vie d’un homme, pour recueillir la beauté du monde. Et même si l’on vit mille ans, ce n’est que la répétition de cette rencontre inattendue. Il y a des papillons qui vivent un seul jour, et ce jour-là contient les fulgurations exquises de tous les désirs. »
Tonino Guerra
Il pleut sur le déluge
Traduit de l’italien par Sophie Royère
La Barque, 2018
https://www.labarque.fr/livres27-tonino-guerra-il-pleut-sur-le-deluge.html
16:44 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : tonino guerra, il pleut sur la déluge, sophie royère, la barque
vendredi, 06 décembre 2019
Pascal Quignard, « Un pied d’homme qui brûle »
photogramme du documentaire L'Europe des écrivains de David Teboul
« C’est ainsi qu’il n’y a pas de fin à nos jours.
Le “fil” de l’intrigue n’existe pas.
Les pistes des grèves, des oiseaux, des arbres, des hommes et des bêtes divergent dans le temps, se brouillent dans l’espace, se perdent dans la mort.
Il me semble qu’à la fin de mes jours, de mes livres, de mes spectacles, à force de se dérouter des routes, de se dévoyer des voies, des sentiers, des sentes, la trace que creusaient mes pas ne se distinguait plus de la forêt elle-même.
C’est le fragment LXXI d’Héraclite : Celui qui oublie où conduit la route arrive sans fin.
Par la bonté de la brume qui monte sous le premier rayon qui en rencontre l’eau et lui adjoint ce peu de tiédeur qui l’échauffe, par la bonté de la rosée qui s’y dépose, se lève l’odeur merveilleuse, chaque matin, de la terre mouillée.
Et sur les bords de l’Yonne la senteur de la vase dans les mousses que la clarté touche, entre les mentes, dans les joncs.
À midi, la terre jusque là humide et noire est redevenue sèche et presque blanche. Je pousse la grille. Le pied nu, en se posant sur elle, la craquèle, la morcèle, la divise, et aussitôt en fait une sorte de poudre. C’est un sable doux qui est tiède sous la plante du pied qui s’enfonce. Puis qui y délivre son empreinte quand il se retire. On lève les yeux. C’est le soleil tout rond, l’étoile invraisemblable à laquelle on doit tout, qu’on ne peut même pas fixer. Héraclite écrit dans le fragment III : Le soleil pas plus large qu’un pied d’homme (podos anthrôpeion).
Notre corps en vieillissant subit une métamorphose qui se fait de plus en plus précise.
Nous sommes comme une photographie qu’on pose sur une flamme.
Nous ne connaissons pas d’autre énigme que la vie elle-même émouvant notre corps. »
Pascal Quignard
La vie n’est pas une biographie
Galillée, 2019
15:25 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent