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Un nécessaire malentendu - Page 84

  • Umberto Saba

    umberto-saba.jpgMon enfance fut pauvre et heureuse
    grâce à peu d’amis, quelques animaux,
    près de moi une bonne tante que j’aimais
    comme ma mère, et dans le ciel Dieu immortel.

    À l’ange gardien était réservée
    la nuit la moitié de mon oreiller.
    Plus jamais son ombre chérie n’est venue en rêve
    après la première douceur de la chair.

    Un rire irrépressible s’emparait de mes camarades
    et moi j’étais saisi d’une étrange ferveur
    quand je récitais des vers à l’école.

    Sifflets, chœurs de cris d'animaux,
    je me revois encore au fond de cet enfer, et j’entends
    seule en moi une voix qui m’approuve.



    Umberto Saba

    poème 4 de “Autobiographie” (1924)

    traduit de l’italien par Odette Kaan

    in Il Canzoniere

    L’Âge d'homme, 1988


  • Pascal Quignard, Bordeaux 4, 5 & 6 février 2010

    WangHui-TheBeautyOfGreenMountainsAndRivers-1679-ShanghaiMuseum.jpg« Au temps de l’empereur Ti Yao vivait Hiu-yeou. L’empereur envoya à Hiu-yeou une troupe de ses meilleurs officiers pour lui demander d’accepter l’empire. Hiu-yeou fut pris d’une nausée imparable devant l’émissaire à la seule idée que l’empereur céleste eût songé à lui offrir de diriger le monde.
    La main sur la bouche, il ne put rien répondre. Et il se retira.
    Le lendemain, avant l’aube, alors que les officiers dormaient encore, il s’enfuit.
    Il arriva au pied du mont Tsi-chan et découvrit un lieu si désert qu’il éprouva le désir de s’y établir. Il considéra autour de lui les roches qui pourraient l’abriter et posa son baluchon sous l’une d'entre elles.
    Alors il descendit à la rivière pour se laver les oreilles.


    *


    Tch’ao-fou poussa plus loin que Hiu-yeou le mépris des choses politiques.
    Tch’ao-fou vivait dans un petit ermitage, bien caché sous les feuillages, que nul ne pouvait voir, au pied du mont Tsi-chan, juste au-dessus de la vallée. Il possédait en tout et pour tout un champ et un bœuf. Alors qu’il descendait le flanc de la vallée pour aller faire boire son bœuf dans la rivière, Tch’ao-fou vit Hiu-yeou accroupi sur la rive, penchant la tête à droite, inclinant la tête à gauche, en train de se laver les oreilles.
    Tch’ao-fou s’approcha de Hiu-yeou et, après l’avoir salué à plusieurs reprises, il lui demanda la raison de ses gestes rythmés.
    Hiu-yeou rétorqua :
    “ L’empereur Ti Yao m’a proposé de prendre les rênes de l'empire. Voilà pourquoi je suis en train de me laver soigneusement les oreilles.”
    Tout le haut du corps de Tch’ao-fou frémit.
    Il considéra en pleurant la rivière Ying.
    Tch’ao-fou tira son bœuf par le licol et ne lui permit plus de boire dans la rivière où Hiu-yeou avait lavé des oreilles qui avaient entendu une semblable proposition. »


    Pascal Quignard
    La haine de la musique. Premier traité : Les larmes de saint Pierre
    Calmann-Lévy, 1996

    La peinture est de Wang Hui - La beauté des montagnes vertes et des rivières (1679). On peut voir l'original au Shangaï Museum


    & & &



    Pascal bib 2010.jpgJeudi 4 février à Sciences Po Bordeaux j’ai pu assister à une rencontre entre Pascal Quignard et des étudiants à l'invitation de Françoise Taliano-des Garets. Belle lecture de Pascal et nombreuses questions touchantes, voire pertinentes, des étudiants. J’ai principalement retenu cette réponse à la question, pourquoi écrivez-vous ? : « Je n’écris que pour deux yeux sévères que je ne pourrais pas satisfaire.» Les yeux en question sont ceux de la grand-mère de l’écrivain comme il nous le confirmera le lendemain au colloque, intitulé « l’Énigme », que l’ardua lui consacrait à la bibliothèque Mériadeck. Nombreuses communications inégales d’où parfois surgirent quelques pépites éparses - Jean-Louis Pautrot, JeanTucoo-Chala, Bernard Vouilloux - des avancées pertinentes - Chantal Lapeyre-Desmaison et Dominique Rabaté -, et un moment fort mais trop bref Pascal Quignard : le fantasme d’un roman latin (romain ?) de Bénédicte Gorillot. Les deux jours se sont hélas terminés par la communication nauséabonde et d’un ridicule total de Roger Navarri, qui a confondu l’exploration de son ego et celle de l’œuvre de Pascal Quignard.
    Les rares, mais précieuses, interventions de l’écrivain, pendant les deux jours du colloque, ont toujours éclairé, souligné, ce qui devait l’être.
    Nous pouvons, dès lors, reprendre notre travail de lecture en sa compagnie.



    & & &

     

    « Les livres partagent avec les tous petits enfants et les chats le privilège d’être tenus, des heures durant, sur les genoux des adultes. Et de façon extraordinaire, plus encore que les enfants, plus encore que les chats, ils ont le pouvoir de captiver jusqu’au silence le regard de ceux qui les regardent, de pétrifier les membres de leurs corps, de subjuguer les traits de leur visage jusqu’à leur donner l’apparence de l’imploration muette, l’apparence d'une bête qui est aux aguets, l’apparence d’une prière incompréhensible et peut-être éperdue.  »


    Pascal Quignard

    le Salon du Wurtemberg, Gallimard, 1986

  • Katy Remy

    KRjpg.jpg« La femme des petites provinces n’habite nulle part, elle vit pendant la semaine dans un meublé et les jours de congé elle va de ville en ville à l’hôtel pour écrire, en vue de tous, au bistrot.
    En une nuit, elle est n’importe où. Elle ne visite pas, elle s’installe sur la première place venue, au premier hôtel de basse catégorie et se met à écrire. Elle ne saura rien du lieu, ni des gens. Elle continue un travail d’écriture commencé ailleurs, longtemps auparavant, dans un pays noté disparu. Ce qu’elle appelle “travail d’écriture”, c’est une consignation du temps, un rassemblement de son énergie qui l’oblige à s’installer pour écrire en arrivant et à écrire sans arrêt pendant deux jours. L’écriture n’est pas automatique ? Ni magie ni facilité. Même si des mots s’écrivent sous ses doigts.
    La femme des petites provinces peut raconter qu’elle a arpenté Buenos Aires ou Gilette. Vous ne la croirez pas. Mais guère plus si elle vous décrit la taille des vignes dans la montagne. L’écriture n’est pas faite pour être crue. »


    Katy Remy
    La femme des petites provinces
    Contre-Pied, 2009

  • Xavier Person

    HOW TO DISAPPEAR COMPLETELY


    IMGP2396.JPG« Je n’avais pas commencé à parler que déjà je cherchais à me taire, je n’étais retourné dans ce rêve que pour t’y retrouver, je ne t’écris pas une phrase plutôt qu’une autre à l’intérieur d’une seule phrase, je ne peux plus dire ton nom si je te regarde de trop près, j’écrivais pour que le rêve d’une phrase se réalise et ce n’était qu’un rêve, c’était comme toucher une peau, toucher la peau extra sensible de la phrase et alors une autre phrase commençait, je ne voulais faire l’amour qu’à une phrase et dans cette phrase, j’échangeais cette phrase contre un rêve et du coup ne trouvais rien à te dire, tourné vers le mur. »

    Xavier Person
    Extravague
    Le bleu du ciel, 2009

  • Fleur Jaeggy

    images.jpg« À quatorze ans j’étais pensionnaire dans un collège de l’Appenzell. En ces lieux où Robert Walser avait fait de nombreuses promenades lorsqu’il se trouvait à l’asile psychiatrique, à Herisau, non loin de notre institution. Il est mort dans la neige. Quelques photos montrent ses traces et la posture de son corps dans la neige. Nous ne connaissions pas l’écrivain. Et il était même inconnu de notre professeur de littérature. Parfois je pense qu’il est beau de mourir ainsi, après une promenade, de se laisser choir dans un sépulcre naturel, dans la neige de l’Appenzell, après presque trente années d’asile, à Herisau. Il est vraiment dommage que nous n’ayons pas connu l’existence de Walser, nous aurions cueilli une fleur pour lui. Kant lui-même, avant sa mort, fut ému lorsqu’une inconnue lui offrit une rose. En Appenzell, on ne peut faire autrement que de se promener. Si l’on regarde les petites fenêtres bordées de blanc et les fleurs laborieuses et incandescentes sur les appuis des fenêtres, on ressent une stagnation tropicale, une luxuriance tenue à bride haute, on a l’impression qu’à l’intérieur il se passe quelque chose de calmement obscur et un peu malade. Une Arcadie de la maladie. On dirait qu’il y a là une paix idyllique et mortelle, dans un éclat brillant. Une jubilation de chaux et de fleurs. À l’extérieur des fenêtres le paysage lance un appel, ce n’est pas un mirage, c’est un Zwang, disait-on au collège, une imposition. »

    Fleur Jaeggy
    Les années bienheureuses du châtiment
    Traduit de l’italien par Jean-Yves Manganaro
    Gallimard, 1992, rééd. 2004

    Merci à Enrique Vila-Matas d'avoir attiré mon attention sur Fleur Jaeggy dans son indispensable Journal volubile.

  • Le web est un feuillteton n° 1

    arton2021-0c890.jpgFrançois Bon lance aujourd'hui le premier numéro de Le web est un feuilleton sur publie.net : "Idée simple : faire une passerelle entre les textes mis en ligne et l’actualité continue de nos auteurs, dont une bonne part sont des acteurs essentiels du web littéraire.

    Le faire sous la forme d’une revue de création, qui puisse se lire comme un ensemble, une fiction, un magazine, s’imprimer ou se distribuer.

    Voilà comment est né Le web est un feuilleton. Nous avons décidé d’un bimensuel, hommage secret à notre ancienne Quinzaine littéraire.

    Le feuilleton sera distribué sur publie.net comme les autres textes, mais sur la page d'accueil on trouvera toujours à lire l’intégrale du dernier numéro.

    Les précédents seront accessibles à l’ensemble de nos abonnés, ou en achetant l’accès à la série de l’année.

    Le script "prévisualiser ce livre" ci-dessus, qui permet de lire en ligne le numéro en cours, est public, et peut être implémenté d’un simple copier/coller sur les blogs ou sites de nos auteurs, ou des bibliothèques qui le souhaitent.

    Accrocher : par la seule confiance dans l’écriture, les voix et visages, les chroniques et réflexions, susciter le désir d’aller chercher sur publie.net les textes édités de chaque auteur (ils ne figureront pas tous dans chaque numéro, même si le noyau le plus actif de notre coopérative sera l’élément moteur du feuilleton), mais aussi de considérer le web lui-même comme un grand livre vivant, sans cesse renouvelé, et pleinement dépositaire (je n’ai pas dit exclusivement !) de l’expérience littéraire.

    C’est parti, dans le plaisir. Comme le site lui-même, une nouvelle expérience qui trouvera sa dimension en marchant. Même pour nous, qui nous lisons les uns les autres et suivons de près l’actualité des sites, le regard est différent, la lecture plus intense, par le seul fait de composer ce parcours, et l’offrir...

    D’où cette rupture de modèle pour la diffusion, n° en cours en accès libre et archives réservées aux abonnés ou aux acheteurs de la licence annuelle."

    Bonne lecture à tous.

    http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article2021

  • Mes livres de l'année… & quelques films

     

    Irene-1.jpg

     

    Je tiens depuis mon plus jeune âge, très scrupuleusement, la liste de mes lectures.

    Voici, pour l'année 2009, celles que je retiens parmi la centaine passée sur laquelle je me suis penché, et que j'aimerais conseiller. Sans aucun palmarès, simplement inscrits dans l'ordre de leur lecture. Tous les livres n'ont pas paru en 2009, certains avaient déjà été lus en d'autres années.

    L'exercice est sans doute vain… Peut-être, donnera-t-il quelques envies à quelques lecteurs, c'est le moins que je souhaite en ce début d'année.

    Frédéric Boyer, Hammurabi, Hammurabi, P.O.L
    Chloé Delaume, Dans ma maison sous terre, Coll. Fiction & cie, Seuil
    Anne-Marie Garat, Hongrie, coll. Un endroit où aller, Actes Sud
    Leslie Kaplan, Mon Amérique commence en Pologne, P.O.L
    Édith Azam, Rupture, Dernier télégramme
    Dorothée Volut, Alphabet, Éric Pesty
    Arno Bertina, Ma solitude s’appelle Brando, Verticales
    W. G. Sebald, Campo santo, traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau et Sybille Muller, Actes Sud
    Maurice Blanchot, l’Instant de ma mort, Fata Morgana
    Jerome Rothenberg, les Techniciens du sacré (anthologie, version française établie par Yves di Manno), José Corti
    Pierre Guyotat, Vivre, Denoël
    Roland Barthes, Journal de deuil, coll. Fictions & cie., Seuil
    António Lobo Antunes, Livres de chroniques V, traduit du portugais par Michelle Guidicelli, Christian Bourgois
    Laura Kasischke, la Vie devant ses yeux, traduit de l'anglais (États-Unis) par Anne Wicke, Christian Bourgois
    Bohumil Hrabal, Moi qui ai servi le roi d’Angleterre, traduit du tchèque par Milena Braud, Seuil
    Michel Chaillou, le Dernier des romains, Fayard
    Agnès Desarthe, le Remplaçant, Coll. Fiction & cie, Seuil
    Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne, P.O.L
    Augustin, les Aveux, traduit du latin par Frédéric Boyer, P.O.L
    Truman Capote, De sang froid, traduit de l’anglais (États-Unis) par Raymond Girard, Gallimard
    Jean-Jacques Viton, Je voulais m’en aller mais je n’ai pas bougé, P.O.L
    Julien Blaine, Blaine au Mac un Tri, Al Dante
    Enrique Vila-Matas, Journal volubile, traduit de l’espagnol par André Gabastou, Christian Bourgois
    Pierre Michon, les Onze, Verdier
    Pascal Quignard, la Barque silencieuse, Seuil
    Françoise Clédat, le Gai Nocher, Tarabuste
    Gwenaëlle Aubry, Personne, Mercure de France
    Gaétan Soucy, l’Angoisse du héron, L’Escampette
    Isabelle Baladine Howald, la Douleur du retour, La Cabane
    François Matton, Autant la mer, P.O.L
    Yoko Tawada, le Voyage à Bordeaux, traduit de l’allemand par Bernard Banoun, Verdier
    Xavier Person, Extravague, le bleu du ciel
    Catherine Mavrikakis, le Ciel de Bay City, Sabine Wespieser
    Liliane Giraudon, Biogres, Ritournelles/Malagar
    Laurent Mauvignier, Des hommes, Minuit

     

    & quelques films, en vrac :


    Alain Cavalier, Irène
    Agnès Varda, les Plages d’Agnès
    Jacques Demy, les Demoiselles de Rochefort
    Clint Eastwood, Gran Torino
    Jonathan Demme, Rachel se Marie
    Bennet Miller, Capote
    Arnaud Depleschin, un Conte de Noël
    Ken Loach, Looking for Éric
    Woody Allen, Whatever Works
    Joseph Losey, The Servant
    Alexandre Sokourov, Alexandra
    Martin Ritt, The Molly Maguires
    François Truffaut, Vivement dimanche
    Peter Hyams, Outland

    La photo est extraite du film Irène d'Alain Cavalier.

  • MMX

     

    carte-de-voeux-2010.jpg

     

     

    Avec ce petit conte d’Enrique Vila-Matas, je souhaite à chacun la meilleure année 2010 possible.



    « Pensant à Madrid, j’ai imaginé qu’on y inventait la poudre de la sympathie malgré la loi sur le tabac – elle serait une sorte de râpé – et, au début, elle avait quelque chose de clandestin. La nouvelle invention était capable de transformer un pays entier. Celui qui la goûtait changeait immédiatement d’humeur, non seulement il souriait, mais en plus il devenait adorablement joyeux et sympathique, détendu, attentif aux opinions d’autrui : élégant, discret, intelligent, un vrai démocrate.
    L’inventeur de la poudre de la sympathie faisait ses premiers essais et expériences sur les chauffeurs de taxi de Madrid, changeant en une semaine leur caractère de cochon, faisant d’eux des gens qui écoutaient avec une joie évidente de la musique classique ou des récitals de poésie. Leur sympathie était telle et leurs éclats de rire si bienfaisants que l’Espagne changeait de façon spectaculaire du soir au matin, parce que ces mêmes chauffeurs de taxi de Madrid transmettaient la révolution des œillets et le rire : un rire qui, par le truchement de la poudre magique, se répandait jusqu’aux évêques fondamentalistes et au personnel d’Iberia et finissait par pulvériser littéralement la malveillance traditionnelle des franquistes. Et tout le pays se gondolait. On n’écrivait plus de romans sur la guerre civile et il y avait une grande fête dans la vieille maison tragique de Bernarda Alba*.
    La révolution se répandait en Espagne à partir de ses fondements les plus souterrains et contaminait le reste des citoyens. Le rire, c’est l’échec de la répression, entendait-on dire partout. Et des chauffeurs de taxi de Madrid et des commandants d’Iberia devenaient l’élite intellectuelle la plus importante d’Europe. Et tout le monde riait. Même les évêques espagnols. »


    Enrique Vila-Matas
    Journal volubile
    Traduit de l’espagnol par André Gabastou
    Christian Bourgois, 2009

    * La Maison de Bernarda Alba (la Casa de Bernarda Alba), drame en trois actes de Federico García Lorca, 1936 (note du blogueur).

  • Mon cœur au soir

    Trakl.jpgLe soir on entend le cri des chauves-souris,
    Deux chevaux galopent dans la prairie,
    L’érable roux frissonne.
    Le promeneur voit paraître la petite auberge au bord du chemin.
    Délicieux, le goût du vin jeune et des noix,
    Délicieux, le vertige de l’ivresse dans l’obscure forêt.
    À travers de noires futaies résonnent des cloches douloureuses.
    Et des gouttes de rosée tombent sur mon visage.


    Georg Trakl
    Rêve et folie & autres poèmes, traduction Henri Stierlin
    (suivi d’un choix de lettres traduites par Monique Silberstein)
    Éditions Héros-Limite, 2009

  • Traité du rouge-gorge

    rouge-gorge.jpg« Jésus est sur la croix. Un petit oiseau gris tout à coup descend du ciel et volette autour de la croix. Il s’approche de Jésus et essaie à l’aide de son bec d’arracher le clou qui est à la droite du Seigneur et qui perce sa main.

    *


    Le clou bouge un peu ; le sang divin coule sur sa gorge ; il recommence encore.


    *


    Jésus ouvre les yeux, tourne son visage vers le petit oiseau gris, le regarde qui s’échine. À voix très basse il lui chuchote qu’en souvenir du secours qu’il a cherché à lui porter sa poitrine restera marquée de son sang jusqu’à la fin du temps, jusqu’à l’extinction du monde, jusqu’à l’engloutissement des oiseaux dans l’espace. »


    Pascal Quignard
    Petits traités, XXIIe traité
    Maeght éditeur, 1990, rééd. Folio 2976, 2002

  • Lettre à Monsieur Besson

    Les élections approchent. Il est grand temps d’agiter l’épouvantail de l’invasion barbare, de ressouder la Nation derrière des velléités fumeuses! Trois piliers nous semblent fonder la notion d’identité nationale en France : Liberté, Egalité, Fraternité. Ces trois symboles sont sérieusement mis à mal, Monsieur Besson, par le gouvernement auquel vous appartenez, après une volte-face qui en dit long des convictions politiques qui furent les vôtres. En effet, il y a une indécence des Privilèges dans ce pays, qui s’est trouvée confortée par le fameux bouclier fiscal qui n’empêche nullement la régression économique et le “Casse-toi pauvre con!”, fameux lapsus qui est la marque d’un mépris profond de l’idéologie de droite vis-à-vis des classes populaires. Nous passerons sur les dérapages racistes, les blagues de certains membres de votre majorité. Cela, souvent bien enfoui dans la Mémoire collective, prompte à dénicher les boucs émissaires d’aujourd’hui et de demain. L’histoire ne serait donc jamais donneuse de leçons !
    J’ajouterai un quatrième pilier qui nous apparaît comme fondamental: celui de la laïcité, bafouée depuis des lustres,  et de plus en plus,  par votre gouvernement dont la politique va accroître la ghettoïsation sociale. La première injustice est celle du logement, du travail. Depuis longtemps, dans la réalité, les enfants des classes populaires n’ont pas les mêmes chances de réussite scolaire que les enfants des classes sociales supérieures qui vous soutiennent électoralement, même si elles ne sont pas les seules. On assiste aujourd’hui à un apartheid scolaire progressif, reposant sur le fait social, économique et religieux. En effet, tout petit, institutionnellement, on sépare les enfants qui n’ont rien demandé, eux. Ecole privée traditionnelle, catholique, juive, musulmane désormais, école où les enfants ne doivent pas être mélangés, ainsi en ont décidé les adultes, appuyés par une politique discriminatoire. Les écoles de la République devenant peu à peu des ghettos que vous aurez tout loisir de dénoncer à l’avenir, après avoir bradé l’école républicaine.
    Est-ce de cette façon là que vous voulez fonder l’Identité nationale?
    En outre, les forces sociales qui sont votre fer de lance (à de rares exceptions): industriels, financiers de tous bords, prédateurs aux visages invisibles, ne craignent pas de délocaliser, de spéculer, jetant les personnes dans la grande misère, l’angoisse, la tragédie. Quel est leur souci de l’intérêt national ? N’ont-ils pas plutôt souci de leurs intérêts privés ? En 1936, ces forces là clamaient déjà, Plutôt Hitler que le Front populaire. Ce sont les mêmes forces qui sont avec vous, aujourd’hui, accusant, au fond, les pauvres, les immigrés, plus largement les étrangers, de mettre à mal cette identité nationale que vous semblez tant chérir avec eux, tous ceux là qui s’abreuvent à l’esclavage moderne, embauchant les sans-papiers, sortes d’êtres virtuels, sans existence de chair, d’os et d’esprit: les Noirs, les Arabes, les Afghans, etc. Vous le savez, votre politique d’exclusion, d’expulsion, est un panier percé. Mais, sur le plan électoral, elle peut s’avérer féconde. C’est sans aucun doute cela qui fait s’agiter votre gouvernement, lui suggérant de faire resurgir les vieux démons pétainistes, cajolant les agriculteurs que le système capitaliste jette dans une impasse tragique, en conduisant un grand nombre au suicide.

    L’histoire nous rappelle que des étrangers, les classes populaires ont souvent tout donné au moment sombre de notre histoire pour défendre la Patrie. Manouchian, par exemple, auquel rend hommage en ce moment un film de Robert Guédiguian. De quel côté était le Patronat français, Monsieur Besson, en 1939 ? Cessez donc de  faire glisser  le débat sur l’Identité Nationale sur un versant ethnocentrique, stigmatisant une nouvelle fois les Métèques. Prenez garde, cela est un brûlot. La seule identité que nous nous reconnaissons, c’est celle qui fait de chaque citoyen un homme libre, égal aux autres, fraternel. Nous sommes en effet loin du compte car la politique de casse sociale, culturelle, qu’applique avec soin, cynisme et arrogance, votre gouvernement,  nous entraîne, dans les faits, aux antipodes. Notre espoir est que s’oppose à vos projets un mouvement massif et pensé, en mesure d’inventer autre chose que la fatalité désastreuse du capitalisme financier qui n’en a pas fini de tenter de nous faire avaler la couleuvre de la crise. La crise, pour qui, Monsieur Besson, pour les enfants gâtés de la République dont vous êtes ?
    Oui, nous devrons inventer un autre monde si nous ne voulons pas que naissent d’autres barbaries. Pas seulement dans le verbe mais dans les actes. L’identité nationale est mise en péril par l’injustice sociale, ce que votre gouvernement n’admettra jamais puisque,  pour lui,  les intérêts de classe sont une vieille lune
    L’avenir nous le dira. En tout cas, je ne me reconnais pas dans cette Identité Nationale que vous pensez refonder. Pourtant, je me sens français tout autant que vous.

    Joël Vernet, écrivain

    Dernier livre paru : le Séjour invisible

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    Dès son premier livre, Joël Vernet tentait de répondre à la violence du monde par la recherche éperdue des sensations de l’enfance. Il ne peut se résoudre à accepter les coups portés à la beauté et à l’innocence.

    Ce nouveau livre a pour cadre la maison de l’enfance, les terres isolées de la Margeride. L’auteur y est réfugié et, tout en se livrant au courant des jours, il évoque les visages et les voyages qui ont jalonné sa vie. La figure du père, le grand "absent", la figure mythique de Rimbaud, la petite gitane qui envahit l’espace et la mémoire... C’est un voyage immobile, rythmé de temps de contemplation et de temps de réflexion, au cours duquel l’auteur ne cesse de s’interroger sur l’utilité, la portée, la sincérité des mots écrits ou parlés.

    14X21 ; 15 € ; ISBN 9782356080134 ; EAN 9782356080134

    L'Escampette, B.P. 7 - 86300 Chauvigny

    Diffusion/distribution : Les Belles lettres

  • La montée des Couardes

    La Montée des Couardes001.jpg

    Vient de paraître :

    Claude Chambard
    La montée des Couardes


    « Maintenant le chemin absorbe chaque pierre de mer & chaque fragment du pays, chaque abandon de nuages stockés au bord du ciel en paix, silencieux mais ferme & la forêt, les barrières, les murets & les dépôts de la mer, les vagues anciennes, claires, tout se repose, à l’ouest, le jour prochain est encore un luxe, maintenant que le plus petit feuillage agite la forêt retentit un son très calme, un repos à mon sens, un repos. »


    Ouvrage publié par l'association AUTRES ET PAREILS à l’occasion des quinze ans des éditions.
    EAN : 9782916252216 / ISBN : 978-2-916252-21-6 / N° d'éditeur : 53 / 10-09Prix : 4 €

    Diffusion A&P : 04 42 42 09 55 - http://autresetpareils.free.fr

    Bâtiment C12. Résidence paradis-Saint-Roch – 13500 Martigues