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Au jour le jour - Page 2

  • Saint-Michel-de-Montaigne, le 29 août 2020

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    La Tille, ma rivière, à Lux (Côte d'Or)

     

    Nous sommes ici, à deux pas du château d’un ami, Michel de Montaigne, dans cette église de Saint-Michel-de-Montaigne où son épouse, Françoise de la Chassaigne, fit enterrer, selon ses dires, le cœur de l’homme qu’elle aimait avant que son corps le fusse au couvent des Feuillants à Bordeaux. Je dis d’un ami car pour tout lecteur un peu constant de son œuvre – c’est le cas pour toutes les œuvres aimées, n’est-ce pas – Michel de Montaigne est un ami.

    Montaigne écrivait à la toute fin de ses Essais : « C’est une absolue perfection, et comme divine de savoir jouir loyalement de son être. » Et plus avant, dans le chapitre X du livre III, où il traite entre autres de sa charge de maire de Bordeaux, il parle de « l’amitié que l’on se doit », que l’on se doit à soi-même mais que je n’entends chez lui bien sûr qu’adjointe à l’amitié que l’on doit à l’autre.
    Cette amitié que l’on se doit et que l’on partage, je la trouve dans le travail, des deux auteurs que nous allons entendre ce soir. J’ignore s’ils se connaissaient avant de faire ce voyage ensemble aujourd’hui, mais qu’importe, c’est parce que ce sont eux qu’ils sont là, en amitié avec Montaigne & avec nous.

    Dans ce paysage si particulier, près de cette tour mythique d’où Montaigne voyait le monde, où il écrivait, où il aimait.

     

    Qu’il me soit permis de glisser au passage la présence affectueuse d’un ami ébouriffé qui fut domestique ici et qui a écrit un des livres les plus considérables que je possède dans ma bibliothèque dans lequel il écrivait : « Écrire comme on tâtonne, frissonne, entrer par effraction dans la nuit de la langue, pressentir un espace, des sites à reconnaître de mémoire, c'est cela le sentiment géographique, sentiment que toute rêverie apporte sa terre, » Il s’agit on l’a compris du Sentiment géographique (1976) et de frère Michel Chaillou. Il aimait la Loire et la Gartempe, comme Marie-Hélène Lafon, que nous allons écouter, aime sa rivière, la Santoire, comme Michel de Montaigne aime sa Lidoire, & Pascal Quignard la Seine (qui est un fleuve), l’Yonne & la Bièvre de son ami Sainte-Colombe.

     

    Le paysage, le pays, traversé de rivières, sera donc, en amitié, dans l’échange et la lecture que nous allons faire avec Marie-Hélène Lafon qui depuis son premier livre Le soir du chien en 2001, qui obtint le prix Renaudot des lycéens, jusqu'à cette Histoire du fils qui va paraître dans quelques jours chez son éditeur fidèle Buchet Chastel, en passant par Joseph, Nos vies, Les pays, Les derniers indiens, Traversée, Album… creuse le langage et le paysage de son cher Cantal, certes, mais plus largement celui de la littérature.

    D’ailleurs en exergue à Histoire du fils elle a copié des mots de Valère Novarina : « Le langage est notre sol, notre chair. Je me représente toujours le chantier comme un creux, une ouverture du sol, et l’avancée d’un texte, sa progression, comme une marche en montagne. »


    Nous allons commencer avec ça, creuser le langage, creuser le paysage, écouter le travail de la rivière.

     

    Claude Chambard

    Introduction à la conversation-lecture avec Marie-Hélène Lafon en l’église Saint-Michel- de-Montaigne

     

    Une fois n'est pas coutume, comme on sait, voici quelques lignes miennes qui furent l'introduction à la conversation-lecture avec Marie-Hélène Lafon en l'église Saint-Michel-de-Montaigne, le 29 septembre 2020, avant que les voûtes résonnent du récit-récital de Pascal Quignard & Aline Piboule, "Boutès ou le désir de se jeter à l’eau". Ces quelques lignes ne prétendent qu'à ceci, ouvrir et faire souvenir de ces deux moments exceptionnels réunis grâce à la fine intelligence, à la fine prescience, de Marie-Laure Picot, pour son Festival Littérature en jardin. Qu'elle en soit, une nouvelle fois, remerciée.

  • Christine de Pizan, « Ce jour saint Valentin… »

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    Christine de Pizan  & Etienne de Castel, The British Library Board.

     

    L’amant

     

    Ce jour de la Saint-Valentin, ma belle dame,

    Je vous choisis pour dame pour l’année

    Et pour toujours une fois pour toutes.

    Bien que je vous aie déjà donné

    Mon amour sans faille,

    Ce jour, pour maintenir l’usage

    Des amoureux dont je fais partie,

    Je vous retiens à nouveau, belle et sage.

     

    Le doux printemps où tout se renouvelle

    Commence ce soir ; tout amoureux

    Doit donc ce jour retenir pour maîtresse

    Dame ou jeune fille, mais jamais

    Ne s’achèvera l’amour que sans partage

    Je mis en vous, c’est pour toujours,

    Et pour montrer que je ne cherche pas à m’en repentir

    Je vous retiens à nouveau, belle et sage.

     

    Je serai gai dans la saison nouvelle

    Pour votre amour, soir et matin,

    Car j’espère avoir beaucoup de nouvelles

    De vous ; j’en manifesterai une grande joie,

    Comme il est juste, si votre doux cœur

    Veut consentir à mon bonheur.

    Quoi qu’il en soit, jusqu’au mourir,

    Je vous retiens à nouveau, belle et sage.

     

    Souveraine de toutes, sans mentir,

    Amour m’a mis dans un tel servage

    Qu’il ne pourrait faiblir :

    Je vous retiens à nouveau, belle et sage.

     

    La dame

     

    Très doux ami, pour ta grande joie

    Je te choisis de nouveau et retiens

    Ce jour de Saint-Valentin, où Amour

    Prend volontiers sa proie : je te donne

    À nouveau mon cœur. Bien que depuis longtemps

    Il fût tout à toi, je te le confirme à nouveau

    Et promet de t’aimer d’un amour sûr.

     

    Pour ami, pour toujours, où que je sois

    Je t’ai retenu et jamais le lien

    N’en sera rompu. Mettons-nous sur le chemin

    De la joie dans ce doux temps, plein de félicité,

    Qui commence ce soir ; je l’affirme,

    Je suis à toi, rien ne peut m’en détacher,

    Et promets de t’aimer d’un amour sûr.

     

    Il est juste que ton cœur s’en réjouisse

    Et que pour moi, en acte et en maintien,

    Tu sois joyeux en ce temps où tout

    Se réjouit ; je me tiens aussi

    Au doux plaisir que je retiens de mon côté,

    Car vrai amour me l’a durablement donné,

    Et promets de t’aimer d’un amour sûr.

     

    Ainsi, ami, je suis à toi, sans fin

    Et promets de t’aimer d’amour sûr. »

     

    Christine de Pizan

    Cent ballades d’amant et de dame

    Présentation, édition et traduction de Jacqueline Cerquiglini-Toulet

    Poésie / Gallimard, 2019

  • Li Qingzhao, « Le printemps est venu »

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    pour saluer le Nouvel An chinois – fête du Printemps

    année du Singe de feu

     

    « Le printemps est venu jusqu’à ma cour.

       Tendre est le vert des herbes.

    Les boutons rouges des pruniers,

       à peine éclatés,

    sont près à s’épanouir.

    Les nuages bleus s’estompent

       en poussière de jade.

    Je m’attarde à mon rêve de l’aube :

    Je brisais avec toi

       la cruche printanière.

     

    Les ombres des fleurs s’alanguissent

       et se posent sur les portes.

    La lueur pâle de la lune s’étale

       sur le rideau translucide.

    Un si beau soir !

    Deux fois en trois ans,

       tu as manqué le printemps.

    Reviens, reviens vite !

    Et jouissons de celui-ci

       jusqu’au fond de nos cœurs ! »

     

    Li Qingzhao (1084-1151 ?)

    Les fleurs du cannelier

    Traduit du chinois par Zheng Su

    Interprété et présenté par Ferdinand Stoces

    Ophée / La Différence, 1990

  • Notes à tout faire

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    Sepolcro dei Pancrazi Rome

     

    Depuis quelques jours, en parallèle aux nombreux livres de poésie que je dois lire pour les chroniquer, lecture de la Correspondance de mon cher Robert Walser — Lettres de 1897 à 1949 —, lettres au cœur même de son travail c’est une évidence. La lettre, la carte postale, en un mot : la correspondance, sont une de mes préoccupations depuis belle lurette aussi. J’y reviendrai.

     

    Quelques bribes de notes à paraître à l’automne dans CCP :


    Voici un livre qui est la preuve simple que la poésie quand elle est juste poursuit le dialogue entre morts & vivants. Ainsi : « Il remit des yeux aux statues aussi longtemps qu’il le put. » [à propos de Le Dernier mot, organisé & présenté par Ana Rodríguez de la Robla suivi de Les Préceptes de la fin par Alberto Manguel, traduit du latin par Denis Montebello & de l’espagnol par François Gaudry, Coll. Le Cabinet de lecture, L’escampette]

     

    Armand Dupuy tire la langue aux phrases toutes faite, il l’étire comme on tire la pâte pour donner le gâteau le plus fin, le plus léger, le plus goûteux, pour mieux taire ce qui résonne dans sa poésie & qu’il faut donc aller chercher à bout de sens — de contre sens — car — sans hésiter à fractionner le poème, le vers, la ligne — « ce que l’on cherche s’en va dans le mot », car « triste et vrai le silence de ma tête », car « personne ne l’entend », car « tout rate en langue ». [Armand Dupuy, Mieux taire, gravures de Jean-Michel Marchetti, préface de Bernard Noël, Coll. Écri(pein)dre, Æncrages & Co.]

     

    Deux volets d’une tentation chinoise. D’abord une approche sensuelle, intime de la sublime Li Ts’ing-tchao (Li Quingzhao) — dont on lira avec profit Les Fleurs du cannelier —, qui pourrait bien être cette jeune fille qui accompagne Victor Segalen dans le second texte : « Ce que je sens, au plus profond de mon corps, ce sont les mots mesurés avec les lèvres de chair de la jeune fille pure que vous avez caressée […] sa chair dont ni vous, ni moi n’avons oublié le goût, nous en connaissons l’ombre. » Tribu pour le poète voyageur, cadencé de la première à la dernière ligne d’une prose pure et vive, comme si Perche voulait conjurer l’absence — l’oubli — de Segalen. [François Perche, Nocturne pour V.S précédé de Obscurs parmi les ombres, Rougerie]


    Claude Chambard, ce 3 juillet

     

  • Lettre à Pierre Veilletet

    Très cher Pierre,

     

    vous êtes un homme épatant — je me répète allez vous penser, mais c’est un mot que nous aimons tous les deux. Un « honnête homme ». Fin journaliste certes, mais aussi fin écrivain et il est bien dommage que vous n’ayez pas plus publié. Vos romans, petites proses, votre Peuple du toro, vos lectures, les échanges que nous pouvions avoir lors de rencontres le plus souvent fortuites étaient toujours un délice. Votre fino une merveille. Votre amitié un bonheur. Nous aimions la même petite peinture plus que toute autre — un Repos pendant la fuite en Égypte de Gérard David —, découverte au hasard d’une visite au Prado, elle est dans nos cœurs jusqu’à la fin de toutes choses. Nous aimions le même hôtel à Lille — le Brueghel — où vous alliez souvent écrire.

     

    Depuis hier, apprenant la triste nouvelle, j’ai passé quelques heures avec vos livres, presque tous dédicacés, mais l’un d’entre eux me touche plus que tout parce que vous avez eu la délicatesse de me le signer alors qu’il venait de paraître avec ces mots de votre fine écriture « Pour Claude, Cœur de père, la veille de l’être… » le jour précédent la naissance de mon second fils. C’était en 1992.

     

    Nous passions de belles soirées avec Wieland Grommes à fouiner dans votre bibliothèque du quai des Chartrons et c’était plaisir de vous voir tirer sur vos pipes tous les deux lors de conversations interminables. J’ai eu la joie plusieurs fois de vous interroger en public lors de la sortie de tel ou tel livre — Le Peuple du toro avec Véronique Flanet, Bords d’eaux, Querencia & autres lieux sûrs, Le Vin, leçon de choses — et j’ai un souvenir ému de l’exposition de vos objets intimes et de la conversation publique et joyeuse avec Olivier Mony au château Dillon à Blanquefort. Vous m’avez fait un immense cadeau en préfaçant le livre, qu’en compagnie du photographe Bruno Lasnier, j’ai publié au Festin, Un voyage fantôme, en 1997 et ce lien est pour moi incomparable.

     

    Journaliste, grand reporter, rédacteur en chef de Sud Ouest Dimanche, Prix Albert-Londres en 1976, président de la section française de Reporters sans frontières, prix François Mauriac pour la Pension des nonnes en 1986, publiée par les éditions Arléa dont vous avez été le fondateur avec Catherine et Jean-Claude Guillebaud, oui vous avez été tout ça et tant d’autres choses.

     

    Né le 2 octobre 1943 à Momuy dans les Landes vous venez d’avoir la mauvaise idée de nous fausser compagnie le 8 de ce mois de janvier, ici à Bordeaux, à quelques encablures des quais, dans ce quartier des Chartrons où vous aviez trouvé refuge, et vous devez bien imaginer la peine de ceux qui vous aiment.

     

    Cher Pierre, j’espère que votre cœur de père aura trouvé, là où vous êtes, une querencia d’où l’on peut, pour une éternité heureuse, lire et boire des vins remarquables (je suis certain que vous n’avez pas oublié votre canif tire-bouchon au manche de corne) en regardant vivre les toros.

     


    Je vous embrasse.

     

    Claude

     

     

     une vidéo :

    http://www.dailymotion.com/video/k5axKw6qXmPnqh1PqZa#.UO6kxLZGXyw

     

     

  • Deux extraits du "carnet des morts"

    sur Poezibao : http://poezibao.typepad.com/poezibao/2011/04/anthologie-permanente-claude-chambard.html

     

    sur Littérature de partout : http://litteraturedepartout.hautetfort.com/archive/2011/04/08/claude-chambard-carnet-des-morts.html

     

    poezibao,littérature de partout,carnet des morts,claude chambard,mollat


    quelques livres dans la vitrine de la librairie Mollat

     

  • Juste la paix – extrait d'un travail en cours « sans lieu, ni date »

    Cet homme fut un monstre de lâcheté & d’ignorance.

    Voilà ce qu’il a fait graver sur sa pierre tombale. Pierre noire & froide, pierre convenue, pierre imbécile de cimetière ni tout à fait pareille, ni tout à fait une autre, nous sommes identiques devant la mort répètent, reniflent, les bien-pensants de droite, de gauche, du centre & du reste…

    ¿ Por qué no te callas ?, a-t-il crié à son reflet, à son double inversé,  dans la glace, ce soir d’un automne aussi lugubre que le fonds de la casquette d’un dictateur modèle courant.

    & sur cette plaque de granit lustré, noire comme la pierre idiote que l’on a posé sur la tombe de Marcel Proust au Père Lachaise à des fins de réfections, sur cette page d’un livre noir moins drôle qu’une page de Tristam Shandy, moins profonde qu’une encre lithographique, moins dure que le cœur d’un sans cœur, il se recueille sur lui-même. Vaguement. Il se recueille vaguement. Que se recueillerait-on sur soi-même sans craindre ses propres remarques, les pires car si elles ne font jamais très mal sur l’instant, elles durent souvent plus que celles des autres, les intrus, les faux-amis, les jesaistout, les chefs, les sous-chefs, les moinsquerien et les plusquetout… pareil, tout pareil, tous pareils.

    J’aurais du la faire fabriquer en calcaire de Bourgogne, ça a tout de même une autre gueule, pense-t-il. Cet artisan auxois m’aurait gravé un beau Didot, ah merde, ça aurait ressemblé à quelque chose, à une page, voilà à une page, mais ça…

    Je veux juste avoir la paix, pense-t-il. Pas des cachets roses, pas des cachets bleus, pas des simulacres ou des contournements, pas des remèdes, pas des béquilles, pas des bons sentiments, pas des effusions, juste la paix sous la dalle.

     

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    Claude Chambard

    26 mai 2008 – 3 mars 2011

     

  • Mes livres de l'année… & quelques films

     

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    Je tiens depuis mon plus jeune âge, très scrupuleusement, la liste de mes lectures.

    Voici, pour l'année 2009, celles que je retiens parmi la centaine passée sur laquelle je me suis penché, et que j'aimerais conseiller. Sans aucun palmarès, simplement inscrits dans l'ordre de leur lecture. Tous les livres n'ont pas paru en 2009, certains avaient déjà été lus en d'autres années.

    L'exercice est sans doute vain… Peut-être, donnera-t-il quelques envies à quelques lecteurs, c'est le moins que je souhaite en ce début d'année.

    Frédéric Boyer, Hammurabi, Hammurabi, P.O.L
    Chloé Delaume, Dans ma maison sous terre, Coll. Fiction & cie, Seuil
    Anne-Marie Garat, Hongrie, coll. Un endroit où aller, Actes Sud
    Leslie Kaplan, Mon Amérique commence en Pologne, P.O.L
    Édith Azam, Rupture, Dernier télégramme
    Dorothée Volut, Alphabet, Éric Pesty
    Arno Bertina, Ma solitude s’appelle Brando, Verticales
    W. G. Sebald, Campo santo, traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau et Sybille Muller, Actes Sud
    Maurice Blanchot, l’Instant de ma mort, Fata Morgana
    Jerome Rothenberg, les Techniciens du sacré (anthologie, version française établie par Yves di Manno), José Corti
    Pierre Guyotat, Vivre, Denoël
    Roland Barthes, Journal de deuil, coll. Fictions & cie., Seuil
    António Lobo Antunes, Livres de chroniques V, traduit du portugais par Michelle Guidicelli, Christian Bourgois
    Laura Kasischke, la Vie devant ses yeux, traduit de l'anglais (États-Unis) par Anne Wicke, Christian Bourgois
    Bohumil Hrabal, Moi qui ai servi le roi d’Angleterre, traduit du tchèque par Milena Braud, Seuil
    Michel Chaillou, le Dernier des romains, Fayard
    Agnès Desarthe, le Remplaçant, Coll. Fiction & cie, Seuil
    Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne, P.O.L
    Augustin, les Aveux, traduit du latin par Frédéric Boyer, P.O.L
    Truman Capote, De sang froid, traduit de l’anglais (États-Unis) par Raymond Girard, Gallimard
    Jean-Jacques Viton, Je voulais m’en aller mais je n’ai pas bougé, P.O.L
    Julien Blaine, Blaine au Mac un Tri, Al Dante
    Enrique Vila-Matas, Journal volubile, traduit de l’espagnol par André Gabastou, Christian Bourgois
    Pierre Michon, les Onze, Verdier
    Pascal Quignard, la Barque silencieuse, Seuil
    Françoise Clédat, le Gai Nocher, Tarabuste
    Gwenaëlle Aubry, Personne, Mercure de France
    Gaétan Soucy, l’Angoisse du héron, L’Escampette
    Isabelle Baladine Howald, la Douleur du retour, La Cabane
    François Matton, Autant la mer, P.O.L
    Yoko Tawada, le Voyage à Bordeaux, traduit de l’allemand par Bernard Banoun, Verdier
    Xavier Person, Extravague, le bleu du ciel
    Catherine Mavrikakis, le Ciel de Bay City, Sabine Wespieser
    Liliane Giraudon, Biogres, Ritournelles/Malagar
    Laurent Mauvignier, Des hommes, Minuit

     

    & quelques films, en vrac :


    Alain Cavalier, Irène
    Agnès Varda, les Plages d’Agnès
    Jacques Demy, les Demoiselles de Rochefort
    Clint Eastwood, Gran Torino
    Jonathan Demme, Rachel se Marie
    Bennet Miller, Capote
    Arnaud Depleschin, un Conte de Noël
    Ken Loach, Looking for Éric
    Woody Allen, Whatever Works
    Joseph Losey, The Servant
    Alexandre Sokourov, Alexandra
    Martin Ritt, The Molly Maguires
    François Truffaut, Vivement dimanche
    Peter Hyams, Outland

    La photo est extraite du film Irène d'Alain Cavalier.

  • Traité du rouge-gorge

    rouge-gorge.jpg« Jésus est sur la croix. Un petit oiseau gris tout à coup descend du ciel et volette autour de la croix. Il s’approche de Jésus et essaie à l’aide de son bec d’arracher le clou qui est à la droite du Seigneur et qui perce sa main.

    *


    Le clou bouge un peu ; le sang divin coule sur sa gorge ; il recommence encore.


    *


    Jésus ouvre les yeux, tourne son visage vers le petit oiseau gris, le regarde qui s’échine. À voix très basse il lui chuchote qu’en souvenir du secours qu’il a cherché à lui porter sa poitrine restera marquée de son sang jusqu’à la fin du temps, jusqu’à l’extinction du monde, jusqu’à l’engloutissement des oiseaux dans l’espace. »


    Pascal Quignard
    Petits traités, XXIIe traité
    Maeght éditeur, 1990, rééd. Folio 2976, 2002

  • Amos Oz

    images.jpg“Enfant, j’espérais devenir un livre quand je serais grand. Pas un écrivain, un livre : les hommes se font tuer comme des fourmis. Les écrivains aussi. Mais un livre, même si on le détruisait méthodiquement, il en subsisterait toujours quelque part un exemplaire qui ressusciterait sur une étagère, au fond d’un rayonnage dans quelque bibliothèque perdue, à Reykjavik, Valladolid ou Vancouver.”

    Amos Oz, Une histoire d’amour et de ténèbres

    Traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen

    Gallimard, 2004, réed. Folio n° 4265, 2008

  • W. G. Sebald, les Anneaux de Saturne

    images-1.jpg« […] une année jour pour jour après le début de mon voyage, je me trouvai dans l’incapacité quasi totale de me mouvoir, si bien qu’il fallu me transporter à l’hôpital de la capitale régionale, Norwich, où j’entrepris, du moins en pensée, de rédiger les pages qui suivent. Je me rappelle très précisément qu’aussitôt après avoir pris possession de ma chambre, au huitième étage du bâtiment, je devins la proie d’une véritable hantise, me figurant que les vastes espaces que j’avais franchis l’été précédent dans le Suffolk s’étaient définitivement rétractés en un seul point aveugle et sourd. Il est vrai que de mon lit je ne voyais du monde qu’un morceau de ciel blafard s’inscrivant dans l’embrasure de la fenêtre.
    À maintes reprises déjà, au fil de la journée, le désir m’était venu de jeter un regard par cette fenêtre d’hôpital bizarrement voilée d’un filet noir afin de m’assurer que la réalité ne s’était pas, comme je le craignais, évanouie à jamais ; à la nuit tombante, il devint si fort qu’après avoir réussi à me glisser par-dessus le bord du lit, moitié à plat ventre, moitié sur le flanc et, une fois au sol, à rejoindre le mur à quatre pattes, je me redressai malgré les douleurs que cela me causait, me hissant à grand-peine, cramponné à l’appui de fenêtre. Dans la posture crispée d’une créature qui vient d’adopter pour la première fois la station debout, je me tins ensuite contre la vitre et ne pus m’empêcher de songer à la scène dans laquelle le pauvre Gregor, s’agrippant de ses petites pattes tremblantes au dossier de son siège, regarde par la fenêtre de sa chambre, avec le souvenir imprécis, est-il dit, de ce qu’il avait du ressentir de libérateur autrefois, du seul fait de regarder au dehors. Et de même que Gregor, avec ses yeux devenus troubles, ne reconnaissait plus la silencieuse rue Charlotte, où il vivait depuis des années avec les siens, et la tenait pour un désert grisâtre, de même la ville familière, qui se déployait des aires d’accès à l’hôpital jusqu’à l’horizon, me paraissait totalement étrangère. Je n’arrivais pas à croire que tout en bas, parmi ces murs encastrés les uns dans les autres, quelque chose pût encore bouger ; j’avais l’impression que mon regard plongeait du haut d’une falaise sur une mer de roche ou sur un champ de décombres d’où les sombres masses des tours de parking surgissaient tels des blocs erratiques. Hormis une infirmière franchissant le misérable espace vert aménagé à l’entrée pour prendre son service de nuit, on ne voyait personne dans les environs. Une ambulance coiffée du gyrophare bleu progressait en bifurquant lentement à plusieurs croisements, du centre ville vers le pavillon des urgences. Le son de la sirène n’arrivait pas jusque là-haut. À l’altitude où je me trouvais, j’étais entouré d’un silence presque total, pour ainsi dire artificiel. La seule chose que j’entendais à la fenêtre, c’était le souffle de l’air et, parfois, lorsque celui-ci s’interrompait momentanément, le sifflement qui ne cessait jamais complètement dans mes propres oreilles. »

    W. G. Sebald
    Les Anneaux de Saturne
    Traduit de l’allemand par Bernard Kreiss
    Actes Sud, 1999

  • António Lobo Antunes

    images.jpg“Je suis parfois tenté d’écrire un peu sur ma vie, d’expliquer comment je suis passé d’un roman à l'autre, de raconter comment j’ai grandi. Parce que j’ai l'impression de grandir avec mes romans. Je n’attache pas tellement d’importance au fait qu’ils soient publiés ou non ; l’important, pour moi, c’est de les écrire. Pendant qu’on écrit, non seulement on en apprend beaucoup sur le métier, mais on est aussi au plus près des émotions.”

    “Quand il m’arrive de passer une journée sans écrire, je me sens comme si je m’étais habillé sans m’être douché. Quand je n’écris pas je suis envahi par une profonde sensation d’absence et de vide. Quand je n’écris pas, je suis assailli par un terrible sentiment de culpabilité que je n’ai jamais cessé de ressentir.

    Mon rythme est infernal : je travaille douze heures par jour. Quand je pars en voyage pour présenter un livre et que je dois donner des interviews et faire tout ce qu’il faut pour en assurer la promotion, je récupère le temps perdu pendant la nuit et j’écris jusqu'à deux ou trois heures du matin. Peu importe que je sois en Allemagne, en Autriche ou en Espagne, que je doive me lever de bonne heure ou que je sois fatigué ; il faut que j’écrive tous les jours, j’en ai besoin pour ne pas me sentir coupable.”

    in María Luisa Blanco

    Conversations avec António Lobo Antunes

    Traduit de l'espagnol par Michelle Giudicelli

    Christian Bourgois, 2001