lundi, 04 mars 2019
Françoise Clédat, « Fantasque fatrasie (une suggestion de défaite) »
DR
« La fable emporte l’amant mort Mort elle l’enveloppe
l’emporte hors de son enveloppement
– Elle-même nue –
Amante nue sans rien qui l’enveloppe désormais
A soi-même réalité de l’amant mort contre qui s’appuyer
Fable sentir brûler
Les derniers
Les plus intenses feux de son identité corporelle
Adorant ce qui d’elle se consume
Anticipe le texte qu’elle brûle d’être
(L’avenir de ce qu’elle vivait n’était pas la réalité dans laquelle ce qu’elle vivait ouvrait un avenir)
Plus qu’à l’amant c’est à la dimension qui la reçoit
Qu’aimant elle se donne
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Bambine et l’amant mort. Bambine et l’amant aimé. L’aimé s’absente : il rend possible et nécessaire la diversité des amants, amants de légèreté, amants de dire. L’amant mort est l’unique. Exclusif. L’amour en lui ne niait pas les amants. Il les tenait plus fort que leur négation qui était celle de ce néant où il ne serait pas. L’inexistence devenait existence : Bambine se battait à mort. Faire l’amour était se battre à mort.
Avait cette nécessité.
De l’avoir eue l’aurait à jamais.
L’amant aimé s’absente. L’amante se voit se perdre en aimant. L’amant mort est réciproque.
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
Il fallait foule il fallait fable il fallait forme pour que d’amant mort l’aimé
(Quelle que soit cette forme il l’aurait habitée de si peu la revendiquer)
Il fallait foule
Forme comme glaise d’absence
Qu’elle soit entre des mains
Visage d’aimé
De l’amant mort modelé
(Qu’importe et perdu)
Il fallait ce mouvement d’à genoux qu’entre mains adorantes l’adorer
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
De l’amant aimé et de l’amant mort. Distincts ils ne cessent de se confondre, un a besoin d’autre pour être tout à fait ce qu’il est, mort pour ce qu’il reste l’aimé, aimé pour ce que dans l’amour du mort se fonde sa nouveauté.
Bambine
: “Aller où je n’ose aller. Aimer où je n’ose aimer. Où fait lit et croît est mon corps consenti à la mort.
Vieil invincible à nommer te dérobe – réel
Breuvage
Nourriture
Tant révèle ton corps à mon corps sa soif et sa faim de les combler si bien.
Bambine
: “Ode à mes hommes
Que tendrement j’aime d’être homme et délicat
(aine où je respire)
A fait mon corps accueillant
Quand au bord et
Lieu cet abîme
Tant te jette
– Héros – dans mes bras
Mieux que sur champ de bataille la “belle mort”
: “Ode à mes grecs »
Françoise Clédat
Fantasque fatrasie (une suggestion de défaite)
Tarabuste, 2013
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vendredi, 01 mars 2019
Charles Reznikoff, « La Jérusalem d’or »
DR
« 24
JUILLET
Personne dans la rue, sauf un moineau ;
il sautille sur le trottoir luisant,
et finit par s’envoler – dans un arbre poussiéreux.
25
Autour d’une excavation
une flopée brillante de lanternes rouges
s’est installée.
26
Les ramilles du buisson de notre voisin sont si fines,
que j’en distingue à peine les lignes noires ;
les feuilles vertes semblent flotter dans l’air.
27
Le buisson aux fleurs rouges criardes est dans l’arrière-cour –
pour les seul yeux de sa maîtresse, des chats
et des papillons blancs.
28
La chatte dans la cour de notre voisin est prise
de convulsions :
du vert jaillit de sa bouche sur le dallage –
elle vient d’ajouter une feuille à leur jardin. »
Charles Reznikoff
La Jérusalem d’or
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par André Markowicz
Unes, 2018
https://www.editionsunes.fr/catalogue/charles-reznikoff/l...
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lundi, 25 février 2019
Flora Bonfanti, « Lieux exemplaires »
DR
« Le feu allait et venait d’une maison à l’autre. Chercher le feu chez le voisin était motif suffisant pour qu’une femme sorte seule la nuit. Un mari crédule en témoigne :
Elle est revenue au lever du jour. Je lui demande d’où : La lumière éclairant notre enfant s’est éteinte, me dit-elle, je suis allée la rallumer chez le voisin.
Que serions-nous sans nos voisins, toujours prêts à rallumer notre feu au besoin ?
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Les femmes connurent le feu avant les hommes. Quand ils revenaient de la chasse, elles le cachaient à l’intérieur de leurs vulves »
Flora Bonfanti
Lieux exemplaires
Unes, 2018
https://www.editionsunes.fr/catalogue/flora-bonfanti/lieu...
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dimanche, 24 février 2019
Antoine Emaz, « D’écrire, un peu »
DR
« Une vie pour une petite pile de livres, l’entreprise peut paraître assez vaine. Et dans les mauvaises passes, on peut être pris dans un remous d’absurde et partager l’“à quoi bon ?” de la plupart de nos contemporains. Certes. Dans ces moments, il convient de ne pas oublier combien écrire a intensifié vivre, et inversement. Alors, non, il n’y a vraiment rien à regretter. »
Antoine Emaz
D’écrire, un peu
Coll. Territoires, Æncrages & Co, 2018
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mercredi, 20 février 2019
Eugenio Montale, « Deux “papillons” »
DR
« Pour un “Hommage à Rimbaud”
Tard sortie du cocon, admirable aile
de papillon qui d’une chaire effeuilles
l’exilé de Charleville,
ne va pas le suivre en son fulgurant
vol de perdrix grise, ni laisser tomber
plumes brisées, feuilles de gardénia
sur l’asphalte, glace noire !... Ton vol
sera plus terrible porté par
ce déploiement de pollen et de soie
dans le halo de pourpre auquel tu crois,
fille du soleil, esclave de sa première
pensée, qui désormais le domines là-haut…
* * *
Descendons le chemin qui dévale
parmi les ronces enchevêtrées ;
le vol d’un papillon nous guidera
face aux horizons que brisent les rivières.
Refermons derrière nous comme une porte
ces heures de doute et de nœuds dans la gorge.
De nostalgies non dites que nous importe ?
Même l’air autour de nous vole !
Et voici qu’à un détour
surgit la ligne argentée de la mer ;
nos vies anxieuses jettent encore l’ancre.
Je l’entends plonger — Adieu, sentier ! À présent
je me sens tout fleuri, est-ce d’ailes ou de voiles… »
Eugenio Montale
Poèmes choisis 1916-1980
Préface de Gianfranco Contini
Édition nouvelle de Patrice Dyerval Angelini
Poésie / Gallimard, 1991
Le premier poème, écrit le 30 juin 1950 est extrait de La Tourmente ; le second, écrit en juillet 1923, est extrait de Autres vers et poésies éparses.
& tout spécialement pour Philippe & Sophie https://www.youtube.com/watch?v=kDUybI2ZTgc
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dimanche, 10 février 2019
Franck Venaille, « L’enfant rouge »
Photogramme du film de Guy Lejeune, Franck Venaille, l’homme qui voulu être belge
« L’odeur de la ville tout entière parvient jusqu’à nous, les disgraciés. Demain sera dimanche. Il échappe à cette médiocrité générale dénoncée dans un tract par La Jeunesse communiste. Père, je vous ai aimé tragiquement, c’est à dire à travers mes larmes. Et qu’en est-il du combat des mots ? Je me nomme Franck Venaille et je sais que mon enfance m’attend dans cette rue Paul-Bert proche si proche du Bazar rouge que je salue. Ça. Je me souviens parfaitement de cet entrepôt que, de mémoire, je situe entre la rue des Cîteaux et le faubourg Saint-Antoine. On communiquait d’un étage à l’autre par un large escalier en colimaçon. Je n’y suis jamais entré seul. J’accompagnais ma mère qui se grisait de rêves, marchant telle une princesse sur l’authentique tapis rouge, dévoré en dessous par des seaux d’eau de lessive. Moi-de-onze-ans, j’observais la multitude de nuages cachant la vie réelle. La vie unique. Aujourd’hui encore je ne me sens pas un apôtre de l’observation minutieuse du ciel et d’autrui. Et hier, peut-être j’achetais (je volais !) des cartes postales reproduisant des œuvres de Bonnard, Matisse et Georges Braque. J’avais besoin de cette beauté. J’avais besoin d’admirer. C’est à cette époque que je mis à écrire, dans le métro, mes premiers Poèmes mécaniques. Les dernières marches de l’escalier de la station Faidherbe-Chaligny à peine franchies, je me précipitais sur le kiosque et m’emparais de tous les titres (Le Parisien libéré, France-Soir, Paris-Presse, L’Humanité, L’Aurore) pour retravailler les mots, les essorer, les tordre, eux qui s’étalaient là comme autant de blessures et de raisons d’espérer. Ne cherchez pas à me faire oublier l’élan qui fut le mien, d’emblée, vers la beauté ouvrière. Dès lors le quartier tout entier changeait de forme et je me croyais incandescent. Que la lumière soit ! Que ce jeune homme (cet enfant plutôt !) mêle avec succès l’écriture et la fidélité à une pensée politique qui commençait à apparaître dans sa vie. Ce soir, je suis avec toi. Je m’endors avec toi, enfant. Je suis resté attaché à des images naïves que j’ai conservées soigneusement. Aujourd’hui je refais le voyage qui me conduit dans mon quartier. Il est mien. Il m’appartient. Je l’ai aimé dans une sorte de toundra sentimentale. Viendront les temps noirs des prédateurs. Mais Moi-de-onze-ans n’a pas plié. »
Franck Venaille
L’enfant rouge
Mercure de France, 2018
Guy Lejeune, Franck Venaille, l’homme qui voulu être belge
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vendredi, 08 février 2019
Antoine Volodine, « Frères sorcières »
© : cchambard
« […] et pour commencer elle s’adressa à Deborah-hanche-en-biais, louant sa stupéfiante beauté et regrettant de devoir lui anéantir les organes les plus sensibles, afin qu’elle assiste impuissante, prise dans une masse imbrisable, à sa lente dégradation, programmée pour durer quatre fois cent sept siècles, ce qui était relativement peu et correspondait à la peine minimale que le sortilège qu’elle avait mis en branle exigeait, puis à Bayeeya-folleville elle donna quelques conseils pour s’occuper mentalement durant son agonie, puis, sans regarder Lou-des-ravines ni Naïmiya-toute-cristal, car elle n’ignorait pas que leur splendeur l’eût hypnotisée et privée de toute parole, elle dit “Petites sœurs, votre erreur a été de manœuvrer pour que le capitalisme fût établi ou rétabli dans ce monde noir où je n’avais, je l’avoue, ni attaches ni raison d’être, autrement, j’aurais volontiers accepté de rejoindre votre nichée”, et enfin elle se tourna vers Barbara-dévasteuse, Milmy-grande-fripouille et Augustine-aile-de-faucon et les caressa d’une voix extrêmement agréable et mélodieuse, citant pour les consoler des quatrains de poètes post-exotiques qu’autrefois Volodine, par pure jalousie mesquine, avait passés sous silence, vraisemblablement parce que la magnificence de leur prose rythmée, au contraire de la sienne, projetait immédiatement dans un état de jouissance qui pouvait durer des semaines, sans parler du fait qu’elle repoussait dans les oubliettes de la littérature les laborieuses tentatives poétiques des prisonniers écrivains dont Volodine avait parlé et qui on ne sait pourquoi avaient connu la gloire éditoriale ou, du moins, une certaine notoriété à l’intérieur de leur quartier de haute sécurité, et ainsi elle fit sortir de l’ombre, pendant fût-ce un instant, l’ignorée Anthologie de la barque de Maria Scheuermann, et l’étourdissante Sublime route de Noriko Schigulla, puis, quand toutes les mésanges mineures, l’une après l’autre, eurent manifesté qu’elles étaient apaisées et acceptaient l’atroce moment de leur décès, qui allait être suivi non d’une perte de conscience mais d’une interminable attente que rien ni personne ne pourrait soulager ni diminuer, elle tissa en un tournemain l’éternité autour de leur cœur […]
Antoine Volodine
Frères sorcières
Coll. Fiction & Cie, Seuil, 2019
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vendredi, 01 février 2019
Emmanuel Hocquard, « Allée de poivriers en Californie »
X
« Fin de vie. La vieille langue est là,
tapie comme une tique dans l’oreille. Elle se nourrit de tout
ce que je vois et son bruit m’empêche de voir ce que je ne vois pas.
J’aurai passé ma vie sans voir.
Ma vision ? Dans la cage d’un écureuil,
l’incessant retour des mêmes impressions et des mêmes pensées
insipides jusqu’à en être écœurantes,
jusqu’à serrer le cœur dans un étau : battements monotones,
ternes ressassements que traverse soudain, sans raison apparente,
au milieu de la nuit, au détour d’une phrase
ou en rêve, une lueur très fugitive,
un fulgurant vertige qui, brusquement, déchire les habitudes.
Alors la tique se réveille et tout redevient comme avant.
Les noms de Keats, Shelley, Sir John Cheyne
sont encore écrits sur les boîtes aux lettres des locataires
dans le couloir, à gauche de l’entrée. Une fleur
a poussé dans les tuiles, au bord du toit. Ce matin
à l’aube, depuis la fenêtre, la ville ressemble à une forêt
pétrifiée d’arbres gris sans feuillages,
aux troncs noueux, tordus sous le ciel orageux.
La ville aussi est une alarme, un vertige exact
dans la rumeur des battements de cœurs et des étaux.
Pise, Tony, Régis, Signore Typoce & Cie, tandis que vous dormez,
moi, Pyrrhus, je veille aux lettres de vos noms,
qui sont les lettres de mon nom.
Bibliothèques, entrepôts, boutiques de luxe, compagnies d’assurances,
la ville est construite sur l’alphabet et vit sur la réserve
des lettres : vingt-six battements de cœur en français.
Un dictionnaire & une grammaire pour rectifier la vue ?
Quelle garantie ? J’aurai passé ma vie sous une pluie de lettres,
ayant parfois cherché refuge dans l’amour.
Mais la langue de l’amour, entrecoupée par les soupirs, les silences
et les cris inarticulés de la jouissance, est pauvre,
approximative, inadaptée aux espoirs que nous mettons en elle.
Le sexe d’une femme est un abri très doux,
une retraite sans issue, que nous ensemençons de lettres.
L’amour naît, se nourrit, meurt de l’extinction provisoire des lettres
qui aussitôt, renaissent de ses cendres. L’amour périt
des lettres qu’il rejette au monde ; et nous laisse, à nouveau,
inchangés, aux prises avec le vieil alphabet parcouru de vertiges. »
Emmanuel Hocquard
« Allée de poivriers en Californie »
Première édition in revue L'In-plano, 1986, à l’exception du dernier épisode, in revue ZUK, 1988
In Ma Haie, Un privé à Tanger II
P.O.L, 2001
http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=...
Il existe un « blaireau » de ce texte, tiré à sept exemplaires.
Celui que nous possédons contient un envoi signé Régis Copeyton & une lettre d’Emmanuel Hocquard dont nous recopions ceci : « cet exemplaire, rare, comporte au moins trois fautes de frappe sinon davantage. C’est ce qui en fait sa rareté »
Emmanuel Hocquard est mort ce dimanche 27 janvier 2019, chez lui, à Mérilheu.
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vendredi, 25 janvier 2019
Marie-Hélène Lafon, « Traversée »
DR
« Le pays premier peut être une prison, il peut être un royaume suffisant, une source vive, un trésor. Je ne sais pas bien où passe la frontière entre la chance et le risque, le partir et le rester, l’attachement et l’arrachement ; je cherche à tâtons et suis des chemins ombreux ou troués de lumière qui s’enfoncent dans la terre des origines et partent dans le monde. Je sais seulement que la regardeuse d’enfance est devenue une travailleuse du verbe, assise à l’établi pour tout donner à voir en noir et blanc sur la page des livres. Il s’agit, par le truchement du matériau verbal, d’habiter la page comme on habiterait un pays, et dans son cadre rectangulaire, entre ses marges, de donner aux paysages, extérieurs et intérieurs, un corps textuel, d’incarner un bout du monde perdu au milieu de rien à mille mètres d’altitude, pays premier, séminal et infusé que chacun porterait en soi, comme une cicatrice ou comme un viatique, ou les deux à la fois ou de mille autres façons encore. Il s’agit de se tenir au plus près, au plus serré, et de ne rien inventer en réinventant tout ; et de brouiller les pistes en inversant patronymes et toponymes, en déplaçant Fridières de Saint-Flour à Saint-Amandin et Montesclide de Saint-Amandin à Marchastel ; et de trouver au Jaladis ou aux Manicaudies, on n’invente pas cette musique des noms propres, leur juste équilibre sur la ligne de crête de la phrase, ce qui n’est pas une mince affaire, ce qui serait même la grande affaire, l’épicentre du séisme textuel. »
Marie-Hélène Lafon
Traversée
Coll. Paysages écrits
Fondation Facim / éditions Guérin, 2015
première édition, Créaphis, 2013
http://fondation-facim.fr/edition/!/edition/1/titre/Trave...
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lundi, 21 janvier 2019
James Sacré – Guy Calamusa, « Et parier que dedans se donne aussi la beauté »
« Le plus beau poème n’est jamais
Que le reste de quelque chose
**
On ne sait trop ce que pourrait être
Les chutes, les copeaux d’un poème,
Des mots restés dans un brouillon, venus pourtant
A cause d’un paysage qu’on a parcouru
Ou pour tenir compagnie
A des dessins qu’on t’envoie, non aboutis.
Des mots dont on a pensé
Qu’ils ne pouvaient pas
Se constituer en poème et pourtant les voilà
En forme de dizain pour faire semblant d’en être un
**
A force de vouloir être dans un brouillon d’écriture
Plutôt que d’arriver dans un poème bien foutu
(Oui, le mot qui convient : si grande jouissance de l’avoir écrit
Si même dans un peu d’inquiétude)
A force de mal dessiner exprès, et de jeter comme au hasard
De la couleur sur un papier
Si quand même voilà pas
Un vrai poème à te proposer, lecteur
Avec un vrai dessin qui le tient ? »
James Sacré
Et parier que dedans se donne aussi la beauté
Dessins de Guy Calamusa
Coll. Territoires
Æncrages & Co
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samedi, 19 janvier 2019
Pierre Bergounioux, Jean-Michel Marchetti, «Possibles»
« C’est sans discussion possible, un bois de feuillus aux troncs noueux, tourmentés, des charmes par exemple, tôt le matin, à la mi octobre. La nuit a été froide. Le brouillard masque la lisière et, par contraste, noircit tout. Il n’a pas gelé. Les feuilles ne sont pas encore tombées. Dans quelques jours seulement.
Ce qu’on fait là reste un mystère. Rien de grave, de tragique ne nous a entraînés dans cette sombre colonnade. Si tel était le cas, on ne verrait rien. On fuirait, terrifié, ou bien on chercherait, affolé, quelqu’un ou quelque chose et on n’aurait pas une pensée pour les charmes, la brume, le déclin d’octobre.
La peinture nous rappelle que le monde excède la vision pauvrette, l’idée simplette dont on s’accommode ordinairement. Elle nous réveille du songe étriqué que nous prenions pour la réalité. »
Pierre Bergounioux
Possibles
Peintures de Jean-Michel Marchetti
Coll. Voix de chants
Æncrages & Co, 2018
18:03 Publié dans Écrivains, Édition, Livre | Lien permanent | Tags : pierre bergounioux, jean-michel marchetti, possibles, Æncrages & co
mercredi, 16 janvier 2019
Yang Wan li, « Le soir assis dans le studio baptisé “de l’Art de gouverner sans interférer avec le peuple” »
« porte fermée, je reste assis, mal à l’aise
j’ouvre les fenêtres pour faire rentrer une légère fraîcheur
la forêt cache le soleil
mon fils broie de l’encre d’un émeraude lumineux
spontanément ma main cherche mes recueils de poèmes
je fredonne doucement plusieurs poèmes
au début cela me réjouit
puis soudain je ressens de la tristesse
j’abandonne le recueil, impossible de lire plus longtemps
je me lève et marche autour de mon siège
les anciens avaient des griefs hauts comme une montagne
mon cœur est tranquille comme un fleuve
si je suis si différent d’eux,
pourquoi me brisent-ils les entrailles à ce point ?
mon émotion passée, je me mets à rire
une cigale hâte le soleil couchant »
Yang Wan li
Le son de la pluie
Poèmes choisi et traduits du chinois par
Cheng Wing fun & Hervé Collet
Moundarren, 1988, 2008, 2017
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