jeudi, 25 septembre 2014
Chantal Dupuy-Dunier, « Mille grues de papier »
173
Avec un fragment de soleil,
l’enfant aurait plié une grue
qui en aurait valu plus de cent.
Origami incandescent
de nature à s’opposer au rayonnement de la bombe ?
187
Sadako plie une grue
dans l’aile diaphane d’un oiseau mort.
Un peu de poudre sur les doigts.
287
Dans une larme,
Sadako plie une grue aux ailes liquides.
Dans la courbure d’une larme
sa vie s’infléchit.
Des globules blancs prolifèrent au ciel
aux côtés des étoiles.
506
J’avais l’âge de Sadako,
je vénérais Thérèse et ses roses,
voulais devenir carmélite.
Il ne demeure rien de ma folie d’enfermement.
Cependant j’ai conservé
comme un fétiche amérindien,
une statuette de ma sainte.
Dans chaque église visitée, c’est elle que je cherche.
Tant de grandeur dans cette petite vie,
si vite éteinte, tels les cierges sur le présentoir.
Dans une goutte de cire
tombée sur le fer forgé,
Sadako plie une grue.
635
Il pleut des grues d’origami
sur la couverture en coton d’un lit d’hôpital,
au long des couloirs blancs,
dans les paumes ouvertes du visiteur.
Il pleut de vrais oiseaux dans les rêves.
Dans les rêves,
on parviendrait à compter jusqu’à mille,
à aller jusqu’au bout du voyage ?
Dans les rêves, on pourrait…
Chantal Dupuy-Dunier
Mille grues de papier
Poésie / Flammarion, 2013
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lundi, 22 septembre 2014
Brigitte Palaggi & Olivier Domerg, « Fragments d’un mont-monde »
« Désécrire le poème quand il vient. Jalonner son chantier d’inscriptions citations injures ou de formules prétendument définitives. Vouloir que Manse soir le lieu d’une bataille au long cours, d’une empoignade, d’un règlement de conte poétique et alpin. Et, chaque matin, à heure dite, se retrouver sur le pré, pour, dans l’intervalle et dans l’amble du présent, enregistrer tout ce qui survient, séance tenante, fragments de temps, bribes de chant, pans de mont et de monde. Pour consigner l’inconsignable, stigmates du sol, mouvements invisibles, géologies intérieures, pluralité (rurale) du réel, de même que cet “infini détail du fini”.
Faire syntaxe de tout.
Perpétrer quelques exactions, chutes de registres ou fautes de goût, au passage. Se comporter comme un maladroit, un persifleur, un soudard, un grossier personnage. Pousser la poésie à la faute, à la sortie de piste ou de virage. L’envoyer sur les rosses, plutôt que sur les roses. L’acculer dans ses ultimes ressources et retranchements. Lui faire la misère : entourloupes, pied de nez, croche-pattes ; la mettre en cause et en doute ; lui tendre sans cesse des embuscades, dans ce défilé repéré, hier encore, par exemple, au bas de la crevasse, au pied du Puy immense, au seuil de sa très lente hémorragie, dans son repli le plus intime, le plus interne, comme au plus près de la masse. »
Brigitte Palaggi & Olivier Domerg
Fragments d’un mont-monde
Autres et pareils / Le bleu du ciel, 2013
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jeudi, 18 septembre 2014
Hélène Lanscotte, « Pas prête »
« Il n’a pas grandi avec elle. Il est resté le même, longtemps, sans qu’elle sache ce que grandir veut dire. Une toise de corps, hauteur largeur. Timide, il dit peu à peu la gêne à enfiler ses manches, révèle la nudité du poignet, désigne la paire de genoux en sage côte à côte, le manteau de plusieurs hivers.
Il est son exacte ressemblance. Elle est cette teinte, ce col, cette rondeur de bouton, cette épaisseur de lainage. Il est l’attache du bras au cou, de la main au genou. Autant de tendresses qui la lient à elle-même. Elle l’habite. Il revêt. Le corps se redécouvre : on a donc des épaules, ici. Le corps le rejette. Ne s’aime pas. Le corps l’affectionne. L’ouvre, le ferme. Elle s’appartient.
Maintenant elle n’a qu’à se l’ordonner et elle s’écroulera. Une flaque de petite fille elle sera, en manteau à carreaux. Non, il n’est pas trop court. Non, elle ne veut pas le donner – à cette lointaine cousine, à ce bébé idiot. Non, elle ne l’enlèvera pas. Tant pis si elle n’a pas enfilé sa robe. Oui, elle va sortir comme ça en culotte et manteau. Et croiser les bras pour qu’on ne le lui retire pas. Sans lui, elle ne peut pas s’aimer.
La vérité est qu’elle cherche à se chérir »
Hélène Lanscotte
Pas prête
L’Escampette, septembre 2014
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mercredi, 10 septembre 2014
Georges Bataille, « L’Expérience intérieure »
Georges Bataille est né le 10 septembre 1897 À Billom
« Le génie poétique n’est pas le don verbal (le don verbal est nécessaire, puisqu’il s’agit de mots, mais il égare souvent) : c’est la divination des ruines secrètement attendues, afin que tant de choses figées se défassent, se perdent, communiquent. Rien n’est plus rare. Cet instinct qui devine et le fait à coup sûr exige même, de qui le détient, le silence, la solitude : et plus il inspire, d’autant plus cruellement il isole. Mais comme il est instinct de destructions exigées, si l’exploitation que de plus pauvres font de leur génie veut être “expiée”, un sentiment obscur guide soudain le plus inspiré vers la mort. Un autre, ne sachant, ne pouvant mourir, faute de se détruire en entier, en lui détruit du moins la poésie.
(Ce qu’on ne saisit pas : que la littérature n’étant rien si elle n’est poésie, la poésie étant le contraire de son nom, le langage littéraire — expression des désirs cachés, de la vie obscure — est la perversion du langage un peu plus même que l’érotisme n’est celle des fonctions sexuelles. D’où la “terreur” sévissant à la fin “dans les lettres”, comme la recherche de vices, d’excitations nouvelles, à la fin de la vie d’un débauché.) »
Georges Bataille
L’Expérience intérieure
Gallimard 1943, rééd. 1954, rééd « Œuvres complètes tome V, La Somme Athéologique », 1981
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lundi, 08 septembre 2014
Pascal Quignard, « Mourir de penser »
photo : © CChambard
En librairie le 10 septembre 2014
Sur la radiation de la pensée
[extrait du chapitre xxxii]
« À la fin de la nuit, quand les chats quittent les coussins, quand tout à trac ils renoncent au point d’eau qui luit dans l’ombre sur le carrelage rouge de la cuisine, quand ils passent sans le voir devant le bol rempli de croquettes, quand ils gravissent avec leurs pattes de velours les marches de l’escalier qui monte à la chambre, quand ils poussent du front la porte ou qu’ils abaissent la poignée d’un coup de patte, ils ne grimpent pas sur le lit, ils ne piétinent pas le torse de leur maître pour le réveiller comme nous en avons, chaque aube, l’impression pénible ou irritée ; ils ont détecté de très loin l’arrêt du sommeil ; ils surprennent le réenclenchement neurologique. Sentant que le radiateur de pensée s’est remis en route, ils ne tolèrent pas qu’on feigne de dormir ou qu’on cherche à gratter des secondes sur la nécessité de se lever. Se fait alors un branchement neurologique de cerveau à cerveau ; non pas de signification à signification ; mais d’activité cérébrale à activité cérébrale. Les chats détectent l’électricité de la veille à distance (avant que le corps soit présent dans la pièce). Ils captent. (Par exemple de la cuisine au bureau, ils perçoivent à distance, de là ils trottent.) Ils se dirigent là où la pensée est la plus chaude. La concentration mentale de leur maître, ou d’un autre chat, ou de n’importe qui (un petit mulot qui a peur, un écureuil qui tremble), les appelle comme un pôle magnétique. C’est l’agitation de la pensée (en latin l’e-motio de la co-agitatio, en grec l’énergeia de la noèsis) qui les rend heureux. Les contenus de la pensée (les noèmes) leur sont parfaitement indifférents. L’effervescence électrique de l’autre corps est comme un poêle de faïence tout chaud, un gros radiateur de fonte où passe l’eau en gargouillant, auprès duquel ils se sentent bien. Auprès duquel leur vie est sous tension, où la relation s’est rejointe. Ils posent leurs coudes, rangent leurs mains, ou s’enroulent ou s’allongent, ils sont comme dans le ventre de leur mère, ils peuvent s’endormir avec confiance auprès d’un être dont la vigilance géante les protège. »
Pascal Quignard
Mourir de penser
Grasset, 2014
14:02 Publié dans Écrivains | Lien permanent | Tags : pascal quignard, mourir de penser, grasset
mardi, 02 septembre 2014
Jean-Christophe Bailly, « Description d’Olonne »
« … encore un tour de manège, encore un tour dans la porte-tambour, l’effritement lent des saisons, les crues de la Sauve (avec les niveaux les plus hauts gravés sur la tour de la Pente), des nuits de clochettes et d’autres de grand vent, ville pimpante et ville noyée de brume, j’y étais mais maintenant où se tient-elle, immobile en appui sur le bord de ses eaux vives, rêvant ? Ce que l’on quitte demeure, ce que l’on retrouve suit la pente et chaque jour qui passe aiguise en moi à la fois le désir d’y revenir et la crainte de le faire – ce que j’ai été là-bas, je ne pourrais plus l’être, ce que j’ai vu là-bas, je ne pourrais plus le voir, le voir ainsi, et tout l’inchangé, si vaste et si calme, ne serait qu’un masque de tragédie intime me disant que je n’y suis plus, que je n’y serais plus jamais – à moins de m’enfoncer tranquillement dans une retraite précoce, face à une petite allée d’iris et de glaïeuls dont je guetterais comme un seul homme la floraison, entre des bonjours de boulangères et des promenades de petit vieux. Olonne, Olonne, c’est le nom désormais, il le faut, d’un souvenir, d’une carte pliée qu’à chaque instant je peux rouvrir et d’autant plus facilement qu’elle le fait d’elle-même, en moi, de tous ses plis et de tous ses pores, de stase en stase comme une seule équipée. Vol haut, très haut, des oiseaux sur l’estuaire, claquant dans le ciel rapide à travers la grande verrière de l’atelier de Sam, carrefour d’ombres où toutes se recoupent, celles de Mériel comme celles de l’ami américain, chacune avec son pesant d’or, sans bruit, comme si j’avais battu les cartes d’un jeu d’archanges ou croisé sur un quai la dame de Vermeer qui tient la balance : c’est bien ainsi, et je prospère dans le vent du tableau, allée de parc ou porte cochère, on peut même le rimer. Quand la carte se replie, c’est comme si tout était lié et comme si l’harmonie n’était plus un vœu mais la certitude d’une rumeur lointaine. Petits puits apposés pour l’écoute, solennité de fontaine à quatre heures du matin, quelque chose se tient près de moi, qui est dans le souvenir comme l’écho d’un souvenir enfoui que l’autre éveillerait de son songe dormeur, et si je marche en rêve sur les contre-allées sableuses du boulevard Minton, c’est comme en allant à la rencontre d’un autre rêve, mais d’où je proviendrais, ruban de Möbius d’un temps qui penche vers le passé avec des allures d’avenir. Couche indistincte, parallèle au présent qui la forme et la soulève, et qui n’est pas tant l’enfance elle-même qu’une enfance de la sensation et de la durée – quelque chose qui se couche, qui fait son lit, sans finir, et de telle sorte que les trois années d’Olonne sont comme un seul jour découvert en une seule fois, et qui m’éclaire. »
Jean-Christophe Bailly
Description d’Olonne
Christian Bourgois, 1992, rééd. Titres (n° 110), 2014
18:53 Publié dans Écrivains | Lien permanent | Tags : jean-christophe bailly, description d'olonne, christian bourgois, titres
samedi, 30 août 2014
Roland Barthes, « La Papillonne »
La Papillonne
« C’est fou, le pouvoir de diversion d’un homme que son travail ennuie, intimide ou embarrasse : travaillant à la campagne (à quoi ? à me relire, hélas !), voici la liste des diversions que je suscite toutes les cinq minutes : vaporiser une mouche, me couper les ongles, manger une prune, aller pisser, vérifier si l’eau du robinet est toujours boueuse (il y a eu une panne d’eau aujourd’hui), aller chez le pharmacien, descendre au jardin voir combien de brugnons ont mûri sur l’arbre, regarder le journal de radio, bricoler un dispositif pour tenir mes paperrolles, etc : je drague.
(La drague relève de cette passion que Fourier appelait la Variante, l’Alternante, la Papillonne.) »
Roland Barthes
Roland Barthes par Roland Barthes
Seuil, 1975
17:31 Publié dans Écrivains | Lien permanent | Tags : roland barthes, roland barthes par roland barthes, seuil
jeudi, 28 août 2014
Roland Barthes, « Journal de deuil »
« 30 octobre
À Urt : triste, doux, profond (sans crispation).
10 novembre
Gêné et presque culpabilisé parce que parfois je crois que mon deuil se réduit à une émotivité.
Mais toute ma vie n’ai-je été que cela : ému ?
30 novembre
Ne pas dire Deuil. C’est trop psychanalytique. Je ne suis pas en deuil. J’ai du chagrin.
27 décembre 1977
Urt.
Crise violente de larmes.
(à propos d’une histoire de beurre et de beurrier avec Rachel et Michel). 1) Douleur de devoir vivre avec un autre “ménage”. Tout ici à U. me renvoie à son ménage, à sa maison. 2) Tout couple (conjugal) forme bloc dont l’être seul est exclu.
24 mars 1978
Le chagrin comme une pierre…
(à mon cou,
au fond de moi)
Vers le 12 avril 1978
Écrire pour se souvenir ? Non pour me souvenir, mais pour combattre le déchirement de l’oubli en tant qu’il s’annonce absolu. Le – bientôt – “plus aucune trace”, nulle part, en personne.
Nécessité du “Monument”.
Memento illam vixisse.* »
Roland Barthes
Journal de deuil
Seuil/Imec, 2009
* Souviens-toi que celle-là a vécu.
11:55 Publié dans Écrivains | Lien permanent | Tags : roland bartes, joiurnal de deuil, seuilimec
dimanche, 17 août 2014
Jacques Lèbre, « La mort lumineuse »
© : C.Chambard
Sensibilité des feuilles
« Ce sont peut-être les quelques voix humaines
issues des immeubles aux fenêtres ouvertes
— c’est une matinée de printemps, un jour férié —
qui font que parfois les feuilles bougent,
même sans vent, même sans aucune brise,
comme si elles étaient sensibles à un langage
ou du moins à son souffle, et qu’importe alors le sens
pour des oreilles vertes dont l’ouïe est si fine.
Je peux préciser qu’au moment même aucun drap
n’est secoué dans le silence, aucun couple de ramiers
ne copule sur une branche, ce qui pourrait prêter à confusion
si l’on peut aussi confondre les gémissements lointains
d’une femme au bord de la jouissance avec les roucoulements
de pigeons postés sur une corniche toute proche.
Pas de vent donc, dans cette matinée, pas de brise non plus,
mais dans une lumière que tamisent quelques nuages blancs
parfois, un instant, les feuilles bougent, frémissent.
Et si les voix que j’entends, me dis-je soudain,
provenaient d’une radio, ou bien d’une télévision ?
Alors, la sensibilité des feuilles serait tout autre
que celle que j’imaginais il y a juste un instant.
D’ailleurs, désœuvré, je m’accoude à la fenêtre,
une musique s’échappe de la source profonde d’un intérieur,
elle glisse comme une onde sur la paroi de l’air
et je vois que les feuilles bougent, frémissent. »
Jacques Lèbre
La mort lumineuse
L’Escampette, 2004
18:50 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : jacques lèbre, la mort lumineuse, l'escampette
mercredi, 13 août 2014
Michaël Glück, « Tournant le dos à »
© : C. Chambard
10.
on parle pour
ne pas laisser place
au goût de la terre
on fait comme
on tient debout
on dit il elle
ne sait qui
tient l’autre
les lits sont défaits
les guerres passées
les étreintes aussi
deux oublient
11.
ce qui est fait ce peu
dit : un legs ce n’est pas plus
ce qui se transmet sans savoir
une errance de la matière
dit encore c’est encore
corps qui se reproduit
retient le vieux code
depuis genèse du vivant
se tue au labour
lire ce va-et-vient
boustrophédon ou
travail de la navette
22.
et c’est un autre jour et
un autre cela fait une vie
et c’est un temps et le temps
entre les doigts n’est rien
un oiseau traverse les yeux
battement de cils
à peine le temps du cœur
d’un écureuil
qui bat au poignet
à peine le temps de se retourner
de jeter le sel
par-dessus l’épaule »
Michaël Glück
Tournant le dos à
Lanskine, 2013
15:23 Publié dans Écrivains | Lien permanent | Tags : michaël glück, tournant le dos à, lanskine
mardi, 05 août 2014
Abdallah Zrika, « Petites proses »
Le linceul de ma grand-mère
Quand ma grand-mère est morte, un vieillard, monté sur une vieille bicyclette, est allé chercher le linceul. Sa barbe blanche touchait presque le guidon. Je l’ai vu de loin. C’était le vent, plus que lui-même, qui le guidait, le linceul était sur le guidon. Il sa faufilait sous le poids du vent, en zigzaguant. Les ruelles étaient étroites et tortueuses. Quelquefois, une baraque s’avançait sur la chaussée. Tandis qu’il se torturait lui aussi. Le vent, vraiment très fort, faisait gonfler le linceul. Parfois, j’imaginais que ce n’était pas lui qui roulait, mais que les ruelles étaient tortues en lui, ou bien étaient-ce le linceul du vent, ou le linceul de la bicyclette, qui se gonflaient. Cela a duré je ne sais combien de temps, jusqu’à ce que j’entende un bruit dont je n’aime pas me souvenir. Quelques bouts du linceul se coinçaient entre les rayons de la roue, et le vieillard tombait de la bicyclette, directement sur la tête, et mourait après quelques minutes, le linceul de ma grand-mère entre ses mains. »
Abdallah Zrika
Petites proses
Traduit de l’arabe par l’auteur avec le concours de Claude Chambard
L’Escampette, 1998
17:19 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : abdallah zrika, petites proses, claude chambard, l'escampette
lundi, 28 juillet 2014
Lionel Bourg, « L’échappée »
Lionel Bourg au 20 ans de L'Escampette à Chauvigny, mai 2014
© C. Chambard
« Une phrase une seule, inachevable.
Mouvante des sables indistincts qu’elle charrie, du lœss, des alluvions transportées au fil des mots, méandre après méandre, entre ses muscles d’onde soyeuse qui se contractent avant de se détendre le long des berges, enveloppant les branches et les racines des arbres ployés au-dessus des remous. Une phrase parfaite. Indissociable du frisson des feuillages que l’orage chahute et que le vent oblige à se tordre comme en une même flamme liquide, une phrase qui monte, descend, s’apaise ou se rebiffe, répercutant au détour d’une virgule ou d’une parenthèse le chuintement pluvieux dont elle ne saurait se défaire. Une phrase, rien qu’une phrase, ce fut cela, l’étape de la Grande Chartreuse du Tour 1958. Gaul me la susurra mieux que les plus grands stylistes. Je l’écoutais. L’entendais. Jamais mon attention ne s’était si résolument tournée vers le mouvement chaloupé d’un verbe, d’un adjectif, de sorte que, sauvage encore, inculte mais irriguée par les chansons de maman, les alexandrins qu’elle clamait, les cantiques, les paillardes et les refrains révolutionnaires que je reprenais sans comprendre – mais si, je comprenais, j’ai tout compris, bambin, la folie, la tendresse, la mort, la violence, le mépris, l’injustice, la révolte, la haine –, elle naissait débordante, ma passion des noms, des syllabes comme de cette grammaire onctueuse où je plantai l’ergot, léchant à son extrémité la pâte qui venait de lever, pleine de songes. »
Lionel Bourg
L’échappée
L’Escampette, 2014
12:55 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : lionel bourg, l'échappée, l'escampette, gaul