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Écrivains - Page 73

  • Joanne Anton “Le Découragement”

    decouragement.jpgDans la très élégante collection à 6€10, Allia publie un premier livre, qui doit certes à Thomas Bernhard, mais surtout au fait même d’écrire, à l’angoisse, au découragement, à la folie… Tout de digressions souvent drôles, emmené par une pensée en effervescence, obsessionnelle et démentielle souvent, Le Découragement mérite que l’on s’y attarde, et on pourra en profiter pour relire Marcher, que l’on ne  trouve bizarrement que dans « Récits, 1971-1982 » dans la collection Quarto aux éditions Gallimard.

     

     « Dans Marcher de Thomas Bernhard, un homme parle à un autre de la folie d’un autre. Et. Il serait bon de s’en inspirer si d’aventure on marchait nous aussi avec quelqu’un. On parlerait à un autre du découragement d’un autre, comme Oelher parle de la folie de Karrer à un autre.

    On aurait peut-être dû faire ça, pense-t-on à présent sur le boulevard, l’écrivant plus tard. Oh ! On aurait dû ! On remue le couteau dans la plaie du lundi ; tout est bon lundi, tout nous sert lundi à prouver que notre récit sur le découragement ça ne va pas. On aurait dû pousser notre imitation bien plus loin, se dit-on, l’écrira-t-on, et dès mercredi dernier, écrire une conversation où converser de manière conversante avec un autre sur le découragement d’un autre. On s’est trompé de chemin depuis le début. Nous tenons la preuve de ne pas avoir mis notre récit suffisamment sous protection, sinon le jugerions-nous ? Se dit-on Thomas Bernhard, ça ne va pas ? On serait bon pour Steinhof si l’on pensait le contraire de sa pensée, hurlant sur le boulevard que Thomas Bernhard, c’est de la marchandise de rebut autrichien. Et. Qu’à bien y regarder, Marcher, c’est raté. »

     

    Joanne Anton

    Le Découragement

    Allia, 2011

  • Andrzej Stasiuk

    stasiuk_andrzej.jpg«  Oui, la mélancolie et la nostalgie sont le seul moyen de ne pas devenir fou en Allemagne. C’est la seule façon de neutraliser psychiquement ce pays. J’essaie d’imaginer un Allemand en train de pleurer et je rigole. Je n’arrive même pas à imaginer une Allemande qui pleure. Ou alors c’est une immigrée avec un passeport allemand. Oui le monde serait un peu meilleur si on pouvait imaginer un Allemand qui pleure. Hélas. Restent les enfants allemands, les nourrissons allemands. La mélancolie tenue en bride et l’alcool en quantité raisonnable — voilà le seul moyen de survivre à un voyage littéraire de Munich à Hambourg. Regarder les usines Mercedes et ravaler ses larmes. Monter dans le cigare d’argent de l’ICE* et avoir l’automne dans le cœur. Se promener dans le Stade olympique de Berlin et fredonner une mélodie tzigane de Transylvanie. Ne succomber à aucun prix à l’ambiance des rues, des places et des transports en commun. Regarder dans les yeux le citoyen de soixante-dix ans à lunettes à monture dorée assis en face dans le compartiment et boire une gorgée de Jim Beam d’une longueur est-européenne. Le plus souvent, le citoyen détourne le regard, de peur qu’on lui offre à boire. Ce sont des conseils tout simples, mais qui peuvent servir si on part pour une semaine ou deux. »

     

    * Intercity-Express, train à grande vitesse.

     

     

    Andrzej Stasiuk

    Mon Allemagne

    Traduit du polonais par Charles Zaremba

    Christian Bourgois, 2010

  • Lucrèce, “Au cœur des ténèbres…”

    Lucrece.jpg“Au cœur des ténèbres nous voyons ce qui est dans la lumière : car l’air le plus proche, assombri par cette noirceur, et qui est entré le premier dans nos yeux, qui a envahi cette place ouverte, est talonné et rejoint par un air porteur de feux, air lumineux qui purge nos yeux de ces ténèbres et dissipe les noires ombres antérieures ; air plus mobile, aux particules plus nombreuses, plus déliées et, par là, plus puissant. À peine a-t-il empli de lumière les canaux de nos yeux, à peine a-t-il rendu la liberté à ceux qu’assiégeait un air ténébreux, qu’aussitôt, à sa suite, arrivent les simulacres des objets situés dans la lumière, qui peuvent alors assaillir notre vue. Et si, inversement, nous sommes incapables, en pleine lumière, de percer l’intérieur des ténèbres, c’est que l’air plus épais qui s’amasse derrière le jour emplit les canaux des yeux et obstrue tous les accès offerts à la lumière, empêchant l’émission des simulacres d’émouvoir notre vue.”

    Lucrèce “Simulacres et illusions”,

    in La nature des choses

    Traduit du latin par Chantal Labre

    Arléa, 2004

     

  • Isabelle Baladine Howald, "La Douleur du retour"

    la_douleur_du_retour.png André du Bouchet est enterré dans le cimetière de Truinas, modeste commune de la Drôme. Philippe Jaccottet a consacré un livre à l’enterrement, à la mémoire de son ami poète, à ce qui les réunissait, au « chagrin qui est une espèce de joie », Truinas, le 21 avril 2001, aux éditions de la Dogana. Ce livre est absolument saisissant qui interroge la poésie devant la mort.

    Quelques années plus tard Isabelle Baladine Howald – qui a lu le livre – a demandé à un couple de ses amis de l’emmener au cimetière de Truinas. Elle marche à petits pas, précautionneux ce qui lui donne une ampleur infinie que le paysage doucement lui restitue en l’acceptant absolument. Elle escalade le muret « un carré d’herbe entre ces vieux murs, une douzaine de tombes éparses ». Le nom sur une ardoise, l’écriture toujours. Que peut la poésie ? Déplacer « vers l’exactitude dans le déplacement lui-même. » C’est tout l’enjeu de ce mince livre qui s’inscrit résolument dans la réflexion que mène Isabelle Baladine Howald « comme sous l’effet d’un souffle » et que son écriture, si personnelle – fragile, friable, souple… – nous restitue  – sens, forme, langue, sentiment. Indispensable en ces temps de disette.

    Claude Chambard

     

    Isabelle Baladine Howald

    La Douleur du retour

    La Cabane

    20 p. ; 6 €

    http://www.editionsdelacabane.fr/

     

  • Enrique Vila-Matas, Étrange façon de vivre

     

    « Moi, j’étais un homme dont les jours particulièrement mémorables brillaient par leur absence. Mais, en ce jour d’hiver, tout avait l’air de se dérouler de façon parfaitement anormale, ce jour avait, semblait-il, pour vocation de se transformer en l’un de ceux que, avec le temps, notre mémoire finit par retenir comme des longues journées, et sur lesquels il nous arrive même — comme je le fais, depuis des jours, ici à Premià, à l’ombre de ce mûrier centenaire — d’écrire ; oui, nous écrivons sur eux, obsédés par ce jour où notre vie tout entière a pris, en quelques secondes, une orientation décisive, nous écrivons parce qu’il ne nous reste rien de mieux à faire que de nous en souvenir et nous écrivons que nous nous en souviendrons toujours. Nous ne vivons plus, nous nous contentons d’écrire sur lui : étrange façon de vivre. »

     

    vila-matas,bourgois,gabastou,titresEnrique Vila-Matas

    Étrange façon de vivre

    Traduit de l’espagnol par

    André Gabastou

    Christian Bourgois, 2000,

    réédition coll. Titres n° 97

     

  • Boris Pasternak, Le Poème en février

    pasternak,robin,anarchie,jean-paul rocher,févrierTraduit par Armand Robin dans Poèmes de Boris Pasternak  aux éditions Anarchistes en 1946.

    Réédité dans  le Combat libertaire par les éditions Jean-Paul Rocher en 2009.

     

     

     

    pasternak1.jpgLE POÈME EN FÉVRIER

    Février. Prendre un encrier, pleurer !
    Dans les sanglots écrire sur février
    Tout le temps que la goguenarde boue met
    À devenir sur le printemps d’encre un reflet.

    Prendre un cab. Pour deux tiers d’un rouble,
    Via les sonneries au ciel, le cri des roues.
    Rouler jusqu’où l’averse est alarme
    Encore plus criarde qu’encrier, larme.

    Tout autour, dans la neige fondante cent creux d’encre,
    Bourgade par les freux croassants défoncée.
    Et plus il y a de contingent, plus sûre en l’encre
    Des sanglots la poésie est agencée.

  • Bernard Manciet, Ampelos

    Bernard_Manciet_04-Fellonneau-couve-4.jpgLe manuscrit de ce livre était sur la table de travail de Bernard Manciet lorsque la mort s’en est venue le chercher. Les dieux ont-ils pleuré ? Quelques vivants (pour encore peu de temps) sans aucun doute… La disparition de Manciet est la fin de quelque chose de plus grand que lui, la fin d’un modèle de résistance aux prés carrés. Mais l’arbre, qui parfois cachait la forêt, n’est pas encore coupé, c’est à peine si quelques feuilles sont recroquevillées. Les poètes occitans, des nouvelles générations, doivent trouver ici le modèle et savoir le dévorer et le dépasser.

    Le chant, la célébration, la langue, n’ont pas de particularismes locaux, ils sont de toujours et maintenant, d’ici et d’ailleurs, dans toutes les langues, la grandeur de la poésie est à ce prix. Manciet l’avait bien compris. Ce dernier volume en est la preuve encore, au travail dans les langues, pour une unique réussite. « Il faut mourir en couleurs terribles – que cau color-morir pauruc », écoutez la langue chanter, « dormir ne pas dormir mais/rêver le rêve – dromir non pas dromir mès/saunejar lo saunei », écoutez la langue bruire, « dans la chair luisante de la nuit/le jeune impétueux se repose/il dort dans la vision/toutes les sources de sa chair/parlent dans la vieille parole – debs la carn lusenta de la nueit/lo hodre joen se repausa/que dròm dens la vision/las dotz tota de sa carn/parlan dans la vielha paraula », écoutez la langue éternelle de Manciet, c’est-à-dire la langue éternelle de la poésie du monde entier.


    Claude Chambard


    Bernard Manciet
    Ampelos
    Bilingue : français/occitan
    Traduit de l’occitan par l’auteur et Guy Latry
    14x21 ; 80 p. ; 13 €  – isbn : 978.2.914387.92.7
    L’Escampette éditions

  • Un jour de fatigue

    Des mots de James Lee Burke pour viatique afin de ne pas sombrer (?)

    arton2152.jpg


    “Qu’est-ce que je peux dire ? On vit une époque de malades. Tu veux mon opinion ? Ouvre donc quelques colonies pénitentiaires au pôle Nord, là où vivent les pingouins. Débarrasse-toi de tous ces salopards de merde et ramène-nous donc un peu de propreté avant que la ville tout entière ne se transforme en chiotte.”

     

    James Lee Burke

    Dans la brume électrique avec les morts confédérés

     Traduit de l’américain par Freddy Michalski

    Rivages, 1999

  • Jean-Pierre Ostende - Et voraces ils couraient dans la nuit

    arton22832-bc6fe.jpgUn nouveau livre de Jean-Pierre Ostende à paraître le 2 février aux éditions Gallimard, voilà une bonne nouvelle.

    Et voraces ils couraient dans la nuit.

    En plus l'auteur s’est amusé à faire une bande annonce que l’on peut voir sur Dailymotion, histoire de donner envie.

    En tous cas on attend avec impatience la sortie du livre.

    http://www.dailymotion.com/video/xgh84n_jean-pierre-ostende-et-voraces-ils-couraient-dans-la-nuit_creation

  • Jean-François Bory : d'Annunzio

    avec méthode mais « comme en vacances »

    Jean-Francois Bory_La Touriale.jpg

     

    Voici un joli petit livre dont chacun pourra tirer profit s’il a un tant soit peu de curiosité, d’humour, de goût pour la digression, la surprise, et la prose (re)tenue – c’est dire si elle est absolument débridée.
    On ne présente plus Jean-François Bory qui, depuis longtemps, délivre du plaisir, de la dérision, et des raisons de croire encore aux pouvoirs de la littérature puisque aussi poète visuel soit-il, le récit ne l’a jamais abandonné – ou est-ce l’inverse – et voici qu’il nous en apporte une nouvelle preuve joyeuse bien qu’érudite. De D’Annunzio, donc il est question, mais aussi de Walter Scott, du monstre du Loch-Ness, de Francis Ponge, de Jules Renard, d’Ivan Messac, de traduction, d’un hôtel rococo au bord du lac de Garde, de plusieurs fiancées, de la Yougoslavie – et principalement de la recherche de la direction du château de Trsat –, du Vittoriale, d’un œil +un œil perdus… bref « de la vie, c’est-à-dire pour moi, de l’écriture ».
    Problématique D’Annunzio ? Certes. Mais si on ne « s’intéresse à rien qu’à tout à la fois », le terrain est libre, la rive ferme, le ratage infini, et l’objet du mythe toujours repoussé d’être approché « avec méthode, mais “comme en vacances” ». D’ailleurs, il reste, à Jean-François Bory, plusieurs « façons » de rater un livre sur Gabriele D’Annunzio et c’est tant mieux.


    Claude Chambard


    Jean-François Bory
    Dix-sept façons de rater un livre sur D’Annunzio
    Spectres familiers
    72 p. ; 12 € ; isbn : 978.2.909857.13.8

    Pour la photographie de Jean-François Bory merci à Poésie Marseille

  • De seuil en seuil

    Hier, Anne-Françoise Kavauvea a mis en ligne un article sur trois de mes livres. Non seulement sa lecture est d'une justesse rare mais elle lève quelques lièvres qu'elle a été jusqu'à maintenant la seule à voir courir, je l'en remercie. Une telle lecture du travail d'un auteur me semble suffisamment rare pour être soulignée. Et tous les articles d'Anne-Françoise Kavauvea sont du même tonneau. Je me dois donc de vous inciter à lire son blog le plus régulièrement possible.

    http://annefrancoisekavauvea.blogspot.com/2011/01/claude-chambard-lire-ecrire-vivre.html

    Tannhaüser+détail.JPG


  • Bonne année 2011 avec Emily Dickinson

    Que tous mes vœux vous accompagnent au long de cette année nouvelle.

     

    « Fais moi un tableau du soleil —
    Que je l’accroche dans ma chambre.
    Et fasse semblant de me réchauffer
    Quand les autres s’écrieront “Jour” !

    Dessine-moi un Rouge-gorge — sur une tige —
    À l’entendre, je rêverai,
    Et quand les Vergers ne chanteront plus —
    Rangerai — mon simulacre —

    Dis-moi s’il fait vraiment — chaud à midi —
    Si ce ne sont des Boutons d’or — qui “voltigent” —
    Ou des Papillons — qui “fleurissent” ?
    Puis — omets — le gel — sur la prairie —
    Omets la Rousseur — sur l’arbre —
    Jouons à ceux-là — jamais n’adviennent ! »


    Emily Dickinson
    Y aura-t-il pour de vrai un matin, Cahier 9
    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claire Malroux
    José Corti, 2008