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Écrivains - Page 69

  • Franck Venaille, « Chaos »

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    « Je crois à la parole rare.

    À ce qui protège des mouvements de foule du langage.

    Hier ! Demain ! & ce bien étrange aujourd’hui.

    Tout cela forme ce que je crains : des figures de carnaval (l’horreur des masques)

    Nous sommes un groupe. Nous sommes compagnons de voyage. Nous irons ensemble longtemps je crois.

    Mais pour cela il faut que je me force pour oublier la langue du père.

    Ici & ailleurs.

    J’en ris nerveusement.

    Pourquoi faut-il que, dans la version sexuelle de l’amour, on se dévore les bouches ? On aurait

    pu imaginer quelque chose de nettement différent ! (plus angélique !)

    C’est parce que je crois au langage que je ne puis vous répondre, dit-il.

    Dit l’enfant. Celui que nous portons en nous.

    Dit encore le-petit-de-la-douleur-première. »

     

    Franck Venaille

    Chaos

    Mercure de France, 2006

     

  • Christine Lavant

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    « Qu’il est bon que je sois cachée

    et plus jamais ne sois visible.

    Mon amande — en discorde avec la terre —

    est montée de son plein gré dans la lune :

    lors tu peux dormir sur tes deux oreilles.

    Le lieu où nous nous sommes rencontrés

    n’a jamais été vraiment dans le temps.

    Pardonne-moi ce savoir

    — pelure de la solitude.

    Peut-être que, malgré cela, ton oreiller

    est parfois au toucher comme couvert de rosée,

    peut-être que, du haut de son perchoir,

    le coq t’annonce de sa voix souvent trop perçante

    qu’à nouveau le matin se lève, clair

    comme le verre, au-dessus de ton toit,

    quand toi, tu es très faible

    et défait d’avoir veillé ?

    Je ne suis pas celle qui lors te tourmente,

    je suis la servante qui pèle des pommes

    dans la lune et n’en mange aucune. »

     

     

    Christine Lavant

     « L’Écuelle du mendiant »

    in Un art comme le mien n’est que vie mutilée

     Poèmes choisis, présentés et traduits de l’allemand (Autriche)

    par François Mathieu

     Lignes, 2009


     Merci à Lambert Schlechter, ici en compagnie de Christine Lavant, début des années 70

  • Valérie Rouzeau, « Vrouz »

     

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    Valérie Rouzeau est accueillie par Permanences de la littérature — ­ http://www.permanencesdelalitterature.fr/­ — jusqu’au 25 janvier à Bordeaux et Coutras. Elle était au 91 (librairie Mollat) le 17 janvier, interrogée par Florence Vanoli. Vous pouvez écouter l’entretien et la lecture ici : http://www.mollat.com/player.html?id=65019729


     

    « Au fond du ciel à gauche peut-être on verra bien

    Les effets spéciaux pluie amour cinéma pluie

    La liste est longue d’amour au cinéma il pleut

    Sur les cheveux d’une belle comme des papillons bleus

    Elle lui plaît il lui plut dès le premier regard

    À Cherbourg à Hong-Kong en Septembre sur la route

    La route de Madison on ne vit qu’une seule fois

    Crève les yeux crève l’écran l’eau vive avec le feu

    Coup de foudre émotif gnôle pour les anonymes

    Une goutte aura suffi à griser les amants

    L’amour passion déborde moissons d’apocalypse

    Déluge et pieds dans l’eau les escarpins les bottes

    Ça monte à la tête droit par le cœur emballé

    D’un homme et une femme beaux à Deauville ville d’eau. »

     

    Valérie Rouzeau

    Vrouz  (Prix Guillaume-Appolinaire 2012)

    La Table Ronde, 2012

  • Lettre à Pierre Veilletet

    Très cher Pierre,

     

    vous êtes un homme épatant — je me répète allez vous penser, mais c’est un mot que nous aimons tous les deux. Un « honnête homme ». Fin journaliste certes, mais aussi fin écrivain et il est bien dommage que vous n’ayez pas plus publié. Vos romans, petites proses, votre Peuple du toro, vos lectures, les échanges que nous pouvions avoir lors de rencontres le plus souvent fortuites étaient toujours un délice. Votre fino une merveille. Votre amitié un bonheur. Nous aimions la même petite peinture plus que toute autre — un Repos pendant la fuite en Égypte de Gérard David —, découverte au hasard d’une visite au Prado, elle est dans nos cœurs jusqu’à la fin de toutes choses. Nous aimions le même hôtel à Lille — le Brueghel — où vous alliez souvent écrire.

     

    Depuis hier, apprenant la triste nouvelle, j’ai passé quelques heures avec vos livres, presque tous dédicacés, mais l’un d’entre eux me touche plus que tout parce que vous avez eu la délicatesse de me le signer alors qu’il venait de paraître avec ces mots de votre fine écriture « Pour Claude, Cœur de père, la veille de l’être… » le jour précédent la naissance de mon second fils. C’était en 1992.

     

    Nous passions de belles soirées avec Wieland Grommes à fouiner dans votre bibliothèque du quai des Chartrons et c’était plaisir de vous voir tirer sur vos pipes tous les deux lors de conversations interminables. J’ai eu la joie plusieurs fois de vous interroger en public lors de la sortie de tel ou tel livre — Le Peuple du toro avec Véronique Flanet, Bords d’eaux, Querencia & autres lieux sûrs, Le Vin, leçon de choses — et j’ai un souvenir ému de l’exposition de vos objets intimes et de la conversation publique et joyeuse avec Olivier Mony au château Dillon à Blanquefort. Vous m’avez fait un immense cadeau en préfaçant le livre, qu’en compagnie du photographe Bruno Lasnier, j’ai publié au Festin, Un voyage fantôme, en 1997 et ce lien est pour moi incomparable.

     

    Journaliste, grand reporter, rédacteur en chef de Sud Ouest Dimanche, Prix Albert-Londres en 1976, président de la section française de Reporters sans frontières, prix François Mauriac pour la Pension des nonnes en 1986, publiée par les éditions Arléa dont vous avez été le fondateur avec Catherine et Jean-Claude Guillebaud, oui vous avez été tout ça et tant d’autres choses.

     

    Né le 2 octobre 1943 à Momuy dans les Landes vous venez d’avoir la mauvaise idée de nous fausser compagnie le 8 de ce mois de janvier, ici à Bordeaux, à quelques encablures des quais, dans ce quartier des Chartrons où vous aviez trouvé refuge, et vous devez bien imaginer la peine de ceux qui vous aiment.

     

    Cher Pierre, j’espère que votre cœur de père aura trouvé, là où vous êtes, une querencia d’où l’on peut, pour une éternité heureuse, lire et boire des vins remarquables (je suis certain que vous n’avez pas oublié votre canif tire-bouchon au manche de corne) en regardant vivre les toros.

     


    Je vous embrasse.

     

    Claude

     

     

     une vidéo :

    http://www.dailymotion.com/video/k5axKw6qXmPnqh1PqZa#.UO6kxLZGXyw

     

     

  • Françoise Ascal, « Lignées »

     

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    « Ce que je sais, tout le monde le sait. Je ne sais rien que je serais seule à savoir. Et tout ce que j’ai appris je le savais déjà. J’en arrive à douter d’exister. J’en arrive à ne plus savoir si un moi est possible. Si  quelque chose à soi est possible. Dans la foule je vous regarde et me reconnais. À des milliers d’exemplaires. Visages d’argile commune. Regards qu’on pourrait croire uniques. Vous-mêmes, sentez-vous parfois votre crâne devenir un lieu de traverse, un corridor ouvert à tous vents, un hall fourmillant, tandis que vos pas sur le sol ne laissent aucune trace, votre chair aucune ombre ? »

     

     

    Françoise Ascal

    Lignées

    Dessins de Gérard Titus-Carmel

    Æncrages & co. , coll. Écri(peind)re

    http://www.aencrages.com/

     

  • Michaël Glück, « la Table »

    V

     

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    « chacun selon sa langue recommencer dans le commencement de la séparation chacun selon sa langue réinventer le jour frapper la pierre d’un mot reprendre la filiation des noms dans le livre des schistes chacun selon sa langue le poème réfractaire et les lèvres rebelles à l’idole

     

    lapidaire lazuli

     

     

    ni ciel gris ni ciel noir ni la foudre ni l’effondrement ni la ruine rien rien de tout ça le récit ne dit rien seules les images dans l’après ont réitéré la nostalgie de l’unisson

     

    comme si le rêve en sa blessure avait redoublé l’expulsion du jardin d’éden comme si quelque faute avait été commise entre le temps de la fondation et celui de la fuite de babel

     

    ­­­­­­­­

     

    et par le ressassement de la malédiction en eux venue d’un dehors vide par les lamentations proférées face à l’autre incompréhensible par la déploration devant le miroir ils oublient qu’ils se sont eux-mêmes maudits qu’ils se sont eux-mêmes châtiés ils n’entendent pas la chance qui leur est donnée d’un recommencement

     

     

    car chance est là donnée non dans un retour compulsif vers quelque langue parfaite mais dans le rappel à chacun de l’offrande et du devoir de s’énoncer pour s’annoncer car chance est là donnée dans ce qui est non pas le châtiment d’avoir voulu monter à l’assaut du ciel de cela celui qui s’est dans le commencement retiré rirait plutôt mais la juste exhortation à ne jamais se soumettre

     

     

    ton assiette est vide et ton verre est brisé si nul convive ne vient s’asseoir face à toi la table est détruite tu te tiens devant l’auge tu es la proie de qui vient y jeter le brouet qui te prolonge à peine vers le lendemain celui-là qui arrive derrière toi marque ton épaule d’un signe que tu reproduis dans l’argile qui te cuit

     

     

    couler dans le moule passer au four calibrer mesurer jeter au concasseur l’impur et l’imparfait faire est parfaire trier éliminer sélectionner transporter conformer fabriquons cuisons bâtissons entreprenons concentrons parlons d’une même lèvre commerçons

     

    et les poètes

     

    nous en ferons l’économie

     

     

    chacun vit asservit au rêve de l’empire chacun se satisfait de cette soumission chacun à l’illusion de bien conduire ses pas sur la route tracée dont il relève les bornes dont il comble les trous avec le goudron de l’angoisse chacun délègue à l’empire le soin de broder le sens »

     

    Michaël Glück

    La Table

    Second volume de la série « Dans la suite des jours »

    L’Amourier, 2005

     

  • Hélène Frappat, « Sous réserve »

     

    hélène frappat,sous réserve,kant,allia


    « 109. La réserve n’est pas un moyen terme entre la vérité et le mensonge car entre deux termes, il n’y a rien. Elle ne s’oppose, ni à la vérité, ni à la sincérité — mais à la franchise. “Entre la véracité et le mensonge il n’y a pas de milieu, tandis qu’il en existe un entre la franchise qui consiste à tout dire et la réserve qui consiste à ne pas dire en exprimant sa pensée toute la vérité bien que l’on ne dise rien qui ne soit pas vrai.” (Kant) Elle me contraint à penser que l’on pourrait être sincère, sans dire toute la vérité ; que l’on pourrait, sans mentir, ne pas la dire toute.

     

    110. En peinture la réserve est la surface d’un ouvrage (tableau, aquarelle, etc.), laissée intacte, sans ornement, en relief ou en blanc ; en imprimerie cela s’appelle un cache.


    111. “J’ai revu la mer avec joie et j’espère bien que cela me permettra l’oubli qui fait peindre.”


    112. Depuis tant d’années que je lisais les mêmes pages, j’ignorais que “le mensonge” transgresse, non pas “la vérité”, mais ce que d’un terme bien mystérieux, Kant nomme “sincérité” — ou plus mystérieux encore “véracité”.

     

    113. Tel est l’“enseignement” que Maria von Herbert reçoit de Kant. “Le défaut de sincérité est une corruption de la façon de penser et un mal absolu. Celui qui n’est pas sincère dit des choses dont il sait pertinemment qu’elles sont fausses ; dans la Doctrine de la vertu cela s’appelle “le mensonge”. Aussi inoffensif soit-il, il n’est pas pour autant innocent ; bien plus, il porte gravement atteinte au devoir qu’on a envers soi-même, et qui est absolument irrémissible parce que sa transgression abaisse la dignité humaine dans notre propre personne et attaque notre manière de penser à la racine ; en effet, la tromperie sème partout le doute et le soupçon, et ôte à la vertu elle-même ma confiance qu’elle inspire dès lors qu’il faut la juger d’après ses apparences.”

     

    114. Entre la fin de l’automne 2001 et le début de l’hiver 2002 j’ai pris des avions et des trains pour te rejoindre, prétendant me rendre à Turin quand je demeurais en secret à Paris, arriver à Turin quand je partais pour Gênes, rester à Paris quand j’allais à Milan, inventant un travail à Rome où je courais te voir, toi. »

     

    Hélène Frappat

    Sous réserve

    Allia, 2004

     

  • Pierre Rottenberg, “Le livre partagé”

     

    pierre rottenberg, le livre partagé, tel quel, seuil« les mots ils n’ont pas d’ordre disent plus ou moins laissent entendre ce qui ne sera pas tenu sont-ils pour finir entièrement soumis à un ordre révélateur qui les mettrait à jour rigueur des mots une phrase déployant ne retenant que pour jeter d’un côté imprévu la marge invisible visible d’une manière de parler qui reprend les éléments d’une histoire et les éclaire jetant aussi un doute complet sur une telle histoire cherchée structure du livre à l’intérieur du désœuvrement


     

    la force des équivalences un système qui organise et disperse une vision du livre en tant que mouvante aux articulations simples en nombre fini trouver un point vers un centre supposable et chercher la mise en place plus ou moins définitive de ces éléments ordre du lisible si dans l’air sans pesanteur du livre inorganisé il y avait quelque matériau à la densité naturelle voulue ce peut être une ramification d’une manière de raconter à l’intérieur de la seconde qui sans la remplacer accentue ce mouvement vers le centre derrière il y a l’histoire quelques mouvements furtifs accentuant le déplacement du livre vers le dehors les feuilles pivotant dans la lumière les troncs les feuilles se redéploieraient


     

    une page dans l’air des pages tassées à gauche et à  droite qui vaut ce que valent les pages écrites pas écrites lues pas lues regardées pas regardées sa force d’équivalence tient au degré de pesanteur du livre à ce moment un centre est toujours déplaçable retrouver trouver le point où cela éclate où les éclats sont autant de niveaux où cela s’organise à nouveau avoir la mémoire entière de la blancheur point dilaté qui s’il fait allusion partiellement à une scène déplace avant tout l’idée du centre réorganise l’été de la scène retournée le drap visible en tant que saison du livre

     

     

    fermer les pages en glissant un doigt à l’intérieur les troncs sont repliés sur une surface de signes noirs et blancs une séquence à laquelle il n’a pas été fait précisément allusion intervient maintenant l’idée de l’épaisseur physique du livre la lecture qui a pu en être faite se modifie intervient une présence dont il n’avait pas été tenu compte jusque-là déplaçable elle aussi peut-être à même de ne plus réapparaître le livre troue sa propre épaisseur réanime pour un instant les images qu’il a tassées pour se constituer comme si véritablement c’était l’ordre que suit le livre pour se faire cette ramification et ce feuillage une certaine chaleur oppressante et humide réanimant ce qu’il efface dans la même seconde points de rupture maintenus véritables chaînons du livre autant qu’il y aura de pages à tourner autant ce seront des éclatements de mots soit l’image d’un matériau géologique avec ses ruptures sa disposition par couches image centrale du livre et qui se déplace à mesure qu’un autre centre vient jouer imposant sa blancheur radicale le jour de l’image l’écriture bat elle est cette chute permanente et oblique de ses formes morceaux de langage saisis dans leurs suspens étincelants ou obscurcis »

     

    Pierre Rottenberg

    Le livre partagé

    Coll. Tel Quel, Seuil, 1966

     photo, détail :  J.P. Couderc

  • Emily Dickinson, Quatre quatrains & deux distiques

     En préparant des rencontres au Collège Jean-Monnet de Bénévent-l’Abbaye

     

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    L’amour mesure à son échelle — seule —

    “Grand comme moi” — situe le Soleil

    Pour Qui n’en a jamais senti l’éclat —

    Il est le seul à sa ressemblance —

     

    * * *

     

    Dépendre du Ruisseau

    Serait absurde pour la Source —

    Que le Ruisseau — renaisse du Ruisseau —

    Mais la Source — du Sol toujours sûr

     

    * * *

     

    L’Énigme qu’on devine

    Bien vite on la méprise —

    Rien ne s’évente aussi longtemps

    Que d’Hier la Surprise —

    (Lettre à T.W. Higginson)

     

    * * *

     

    Le matin, qui ne vient qu’une fois,

    Envisage de revenir —

    Deux Aubes pour un Seul Matin

    Donne un prix soudain à la Vie —

    (À Mabel Todd)

     

    * * *

     

    Toutes choses balayées

    Voilà — l’immensité —

    (Lettre à T.W. Higginson)

     

    * * *

     

    Une Lettre est une joie de la Terre —

    Elle est refusée aux Dieux —

    (Lettres à Mr et Mrs Loomis et Charles Clark)

     

     

    Emily Dickinson

    Quatrains et autres poèmes brefs

    Traduction et présentation de Claire Malroux

    Poésie / Gallimard n°348, 2000

     

     

  • Anne-Marie Albiach, « Le double »

    anne-marie albiach, bernard noël, flammarion

    a/     l’absence dans les degrés, l’excès du corps : il disparaît. Hors texte il donne lieu à l’instance de l’accident, à la pliure, elle efface le mouvement de lecture par la traverse d’une pause de papier excédé : un geste prévoit l’issue, l’“exécution” génitale remonte les dates en sens hiérarchique — il s’agit de la terre, gradins, marches hexagonales, issues de l’angle avant toute blancheur à porter sous le nom que dénonce le chiffre Suspendu dont l’absence dans le lieu vertical désigne le sens “clôture” l’instant du corps qui “… ne tombe pas” : l’horizon graduel dénonce l’italique elle a toujours froid depuis…

     

     

     

     

     

    b/      positif, espace : donnée

    la masse soutient une diagonale, se creuse dans la coupure vers le mouvement sectionné en libre cours du sujet qui s’abstrait, l’objet immédiat pénètre la lumière ; l’absence de l’objet mène à son détour, la dalle notifie ses degrés au premier plan daté

     

     

     

     

     

    l’Objet.     entre parenthèses, il exécute l’attrait à la terre Le sol se dissout, il résout l’équation de la disparité Un pas dans le froid avait-il suscité une image, telle “fragilité” alors qu’il disparaîtrait innervé de chaleur et de froid Se prend répétitif le sujet qui s’absente et devient objet : élaboré à cet “entretien de la surface”, tremplin labial, il s’énonce empreint à l’extrême de la corporéité Les outils arpègent le sens de la disparition, la distance donne le lieu géographique : la pierre suggère une fiction, support attentif Le texte se lit dans la désignation de la main ; balbutiements à son élaboration, une page double l’absence et la présence ; alternativement le sujet et l’objet deviennent cette “épaisseur” de livre et se réduit-il au geste qui lui rend l’identité, corpus en excès sur lequel le “doigt” accentue la pliure sans cesse récidivée : labeur liquide « dans la bouche ÷ de pleine terre” »

     

     Anne-Marie Albiach

     Mezza Voce

     Coll. Textes dirigée par Bernard Noël

    Flammarion, 1984


    La voix d’Anne-Marie Albiach lisant Mezza Voce :http://mediamogul.seas.upenn.edu/pennsound/authors/Albiach/Albiach-Anne-Marie_Etat_Mezza-Voce_Kenning.mp3 

    Merci à Angèle Paoli pour le lien.

    Anne-Marie Albiach, née en 1937, est morte hier dimanche. Quel sale automne.

     

  • Jacques Dupin

    Jacques Dupin, né en 1927, vient de mourir. Lire & relire toujours :

    http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=auteur&numauteur=64

    http://remue.net/spip.php?rubrique90

    http://www.youtube.com/watch?v=3rkYcZgT5MM&feature=relmfu

    http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-philippe-cazier/291012/propos-de-jacques-dupin

     

     

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    « S’en tenir à la terre, à l’écriture de la terre, et relever du feu — se lever avec le feu… notre rencontre future, des milliers de fois la première, et la seule… la rectitude, la syncope d’une seule nuit… des élans divergent qui se joignent dans l’épissure de la nuit, un cordage trempé, et le pas de l’un glissant sur le corps de l’autre à travers labours et forêts, déserts et glaciers…

     

    un pas, une enjambée, la dernière toujours — et la suivante, désaccordée, ici, tendue, entendue de personne… le pas qui gravit, qui marque la crête, le même pas descend au ravin… le même pas qui se tient plus haut, à l’aplomb de nous, vertigineux, et passe plus loin dans le souffle, dans l’attente du souffle et de la douleur… »

     

    Jacques Dupin

     Échancré

    P.O.L, 1990

  • Georges Bataille, "Le Coupable"

     

    georges bataille,le coupable,gallimard


    «  Mon désir ? Sans limites…

    Pouvais-je être le Tout ? J’ai pu l’être — risiblement…

    Je sautai, de travers je sautai.

    Tout se défit, se disloqua.

    Tout en moi se défit

    Pourrai-je seul un instant cesser de rire ?


    (Rien qu’un homme, analogue à d’autres.

    Soucieux d’obligations qui lui reviennent.

    Nié dans la simplicité du grand nombre.

    Le rire est un éclair, en lui-même, en d’autres.)


    Dans la profondeur d’un bois, comme dans la chambre où les deux amants se dénudent, le rire et la poésie se libèrent.

    Hors du bois comme hors de la chambre, l’action utile est poursuivie, à laquelle chaque homme appartient. Mais chaque homme, dans sa chambre, s’en retire… ; chaque homme, en mourant, s’en retire… Ma folie dans le bois règne en souveraine… Qui pourrait supprimer la mort ? Je mets le feu au bois, les flammes du rire y pétillent.


    La rage de parler m’habite, et la rage de l’exactitude. Je m’imagine précis, capable, ambitieux. J’aurais dû me taire et je parle. Je ris de la peur de la mort : elle me tient éveillé ! Luttant contre elle (contre la peur de la mort).


    J’écris, je ne veux pas mourir.

    Pour moi, ces mots, “je serai mort”, ne sont pas respirables. Mon absence est le vent du dehors. Elle est comique. Je suis à l’abri, dans ma chambre. Mais la tombe ? déjà si voisine, sa pensée m’enveloppe de la tête aux pieds.


    Immense contradiction de mon attitude.

    Personne eut-il, aussi gaiement cette simplicité de mort ?

    Mais l’encre change l’absence en intention.

     

    Le vent du dehors écrirait ce livre ? Écrire est formuler mon intention… J’ai voulu cette philosophie “de qui la tête au ciel était voisine — et dont les pieds touchaient à l’empire des morts”. J’attends que la bourrasque déracine… À l’instant, j’accède à tout le possible ! j’accède à l’impossible en même temps. J’atteins le pouvoir que l’être avait de parvenir au contraire de l’être. Ma mort et moi, nous nous glissons dans le vent du dehors, où je m’ouvre à l’absence de moi. »

     

    Georges Bataille

    Le Coupable

    Gallimard, 1944, repris dans Œuvres complètes tome V, « La somme Athéologique », 1973


     Un lien : Georges Bataille. À perte de vue de André S. Labarthe

    http://elegendre.wordpress.com/2011/10/02/georges-bataille-a-perte-de-vue/