Mathieu Brosseau, Philippe Rahmy & Stéphane Dussel, Mots Tessons
Une nouvelle maison d’édition, créée par Armand Dupuy, poète, et Stéphane Dussel, peintre, et voici qu’intrigué on va humer les deux brefs livres qui viennent de paraître.
Dans L’espèce, joli livre à l’italienne, Mathieu Brosseau pose deux questions essentielles (la première sans point d’interrogation cependant…), qui sont aussi les titres de chapitres : « Et s’il ne fallait plus dire/Que les signes du silence » et « Et s’il fallait dire l’absence/quels seraient les signes du silence ? » Tout le projet tient entre ses deux propositions et la réponse, si réponse il y a, nous parvient sous forme d’énoncés, d’entrelacements, d’assonances… dans « le brouhaha des siècles glissés ». Et comme le souligne Fabrice Thumerel dans sa préface : « Ouvrir l’espèce, c’est faire place à l’animal : c’est alors que les signes se font singes. » C’est dit et c’est dire, on va le voir, si les deux premiers livres de Mots Tessons se « parlent ».
Cellules souches se tient bien droit, permettant aux encres, lavis, de se frotter aux textes sur des valeurs de noir et blanc qui se répondent avec pertinence. Car le livre est « fabriqué » à quatre mains et l’on ne sait jamais très bien à qui l’on doit quoi. Bâti à partir d’une lettre de Dussel à Rahmy, dont on retiendra comme éléments déclencheurs ces deux phrases, la première et la dernière : « Il faut d’abord question d’un singe, d’un singe que j’avais sur l’épaule et qui te grignotait les cellules . », « Je ne te connais pas. Tu ne me connais pas. Nous nous connaissons. Le singe est un point de départ. »
Claude Chambard
Mathieu Brosseau
L’espèce
60 p. ; 13 €
Philippe Rahmy & Stéphane Dussel
Cellules souches
30 p. ; 15 €
Cette chronique a paru une première fois dans CCP n° 20, septembre 2010.
Mathieu Brosseau vient de publier Uns au Castor Astral , nous y reviendrons prochainement.
« Ne nous ont pas quittés, c’est tout le contraire. Cela veut-il dire qu’ils nous ont emmenés là où ils sont ? Très certainement, une part considérable de nous-mêmes en tous cas, cette part qui ne saurait être détachée d’eux. Ou bien les avions-nous si peu que ce soit précédés, dans cette action d’ensemble ? Et tout de suite une voix : tu te prends pour qui, pour dire ça ? Je me prends pour ce que je suis, personne, à ce stade et depuis toujours. »
Emmanuel Hocquard
« Le feu brûle; c’est la première loi.
Roger Laporte est mort le mardi 24 avril 2001. Il avait soixante-seize ans. Son œuvre est considérable. Nous devons continuer à la lire, à y trouver des nourritures pour le voyage qui nous reste à faire. Il m’avait confié le manuscrit de ce livre, Écrire la musique, que je suis fier d’avoir publié et de continuer à vendre bon an mal an à quelques poignées d’exemplaires, preuve qu’il y a encore des lecteurs pour ce travail — cette vie — d’écriture à nul autre comparable. On trouvera l’essentiel des textes de Roger Laporte — La Veille, Une voix de fin silence, Pourquoi ?, Fugue, Supplément, Fugue 3, Codicille, Suite et Moriendo — dans le volume Une vie, publié par P.OL. en 1986.
Dans la très élégante collection à 6€10, Allia publie un premier livre, qui doit certes à Thomas Bernhard, mais surtout au fait même d’écrire, à l’angoisse, au découragement, à la folie… Tout de digressions souvent drôles, emmené par une pensée en effervescence, obsessionnelle et démentielle souvent, Le Découragement
« Oui, la mélancolie et la nostalgie sont le seul moyen de ne pas devenir fou en Allemagne. C’est la seule façon de neutraliser psychiquement ce pays. J’essaie d’imaginer un Allemand en train de pleurer et je rigole. Je n’arrive même pas à imaginer une Allemande qui pleure. Ou alors c’est une immigrée avec un passeport allemand. Oui le monde serait un peu meilleur si on pouvait imaginer un Allemand qui pleure. Hélas. Restent les enfants allemands, les nourrissons allemands. La mélancolie tenue en bride et l’alcool en quantité raisonnable — voilà le seul moyen de survivre à un voyage littéraire de Munich à Hambourg. Regarder les usines Mercedes et ravaler ses larmes. Monter dans le cigare d’argent de l’ICE* et avoir l’automne dans le cœur. Se promener dans le Stade olympique de Berlin et fredonner une mélodie tzigane de Transylvanie. Ne succomber à aucun prix à l’ambiance des rues, des places et des transports en commun. Regarder dans les yeux le citoyen de soixante-dix ans à lunettes à monture dorée assis en face dans le compartiment et boire une gorgée de Jim Beam d’une longueur est-européenne. Le plus souvent, le citoyen détourne le regard, de peur qu’on lui offre à boire. Ce sont des conseils tout simples, mais qui peuvent servir si on part pour une semaine ou deux. »
André du Bouchet est enterré dans le cimetière de Truinas, modeste commune de la Drôme. Philippe Jaccottet a consacré un livre à l’enterrement, à la mémoire de son ami poète, à ce qui les réunissait, au « chagrin qui est une espèce de joie », Truinas, le 21 avril 2001, aux éditions de la Dogana. Ce livre est absolument saisissant qui interroge la poésie devant la mort.
Enrique Vila-Matas