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Écrivains - Page 74

  • Vie secrète

    L1000240.JPG“Je cherche à écrire un livre où je songe en lisant.
    J'ai admiré de façon absolue ce que Montaigne, Rousseau, Stendhal, Bataille ont tenté. Ils mêlaient la pensée, la vie, la fiction, le savoir comme s'il s'agissait d'un seul corps.
    Les cinq doigts d'une main saisissaient quelque chose.”

    Pascal Quignard

    Vie secrète

    Gallimard, 1997

  • Dominique Autié : Toutes les larmes du corps

    dominique_autie2008.jpgDominique Autié est mort à 59 ans le 27 mai dernier.
    Je l’avais rencontré fin des années 70, début des années 80, autour des enseignements d’édition/librairie et bibliothèque/documentation à Paris, à Saint-Cloud, à Toulouse et à Bordeaux.
    Il avait des responsabilités chez Privat à cette époque. Plus tard il en eut au CRL Midi-Pyrénées (vice-président puis membre du conseil d’administration), le temps de ne pas aimer ça. Il avait fait l’école Estienne, dont je rêvais adolescent, dirigeait la société In Texte et tenait un blog très pertinent. Son livre Mon frère dans la tête a marqué une génération (sans doute plusieurs), un de ces livres mythiques qui relèvent de la société secrète. Dans sa bio, la rubrique “Méthodes de travail, ambiance de prédilection, manies”, est si proche de ce que je pourrais écrire moi-même que je ne résiste pas : « Professionnel de l’écrit mais ne vivant pas de mon œuvre, cette dernière souffre d’être le parent pauvre de mon emploi du temps. Ecrire à la sauvette, dans l’exécrable résidu temporel qu'on nomme “loisir”, implique une méthode de prise de notes, de rédaction provisoire sous forme de fragments, que facilite grandement l’informatique. L’Art de la fugue de Jean Sébastien Bach a ce pouvoir de créer dans l’instant la “bulle” sensorielle qui m’autorise à passer de l’écrit professionnel à l’intimité de l’écriture. J’aspire toutefois à écrire au désert. En plus du crayon à papier, l’informatique m’a offert les moyens d'une manie fastueuse : le  bodoni. » Il avait eu une émission sur Sud Radio où j’avais eu l’honneur d’être invité avec Philippe Méziat (un bien joli voyage à Toulouse) à l’occasion de la sortie de Jazz & littérature, numéro 3 des Cahiers d’Atlantiques du crl Aquitaine. On se croisait, on se lisait, on s’envoyait des livres. Son blog était très lu (http://blog-dominique.autie.intexte.net/blogs/, vous y trouverez sa biblio complète), il est toujours visible sur la toile. Il s’intéressait aux autres, ça devient rare. Il aimait parler, échanger, bavarder, tout ce que la société du “pestacle” voudrait bien qu’on ne fasse plus. Le monde est toujours plus triste et plus vide.

  • Philippe Lacoue-Labarthe

    « – Ayant traversé le gravier qui borde la maison (même bruit de tempête non survenue), j’ai marché jusque vers le fond du jardin et je me suis arrêté près du tas de terre et de cendre que tu connais, peut-être pour regarder, par-dessus la clôture, les vagues collines, la plaine. Ce n’était pas encore l’hiver, mais il faisait froid, très froid. (C’est la première fois que je séjournais en cette saison dans ce pays qui n’est pas plus le mien que n’importe quel autre et que je connais mal, en dépit de tout.) Les animaux n’avaient pas encore bougé. Il ne s’est évidemment rien passé, mais je savais que cela m’était déjà arrivé : je le savais, l’ignorant : je reconnaissais cette nouveauté absolue, ce ruissellement, cette fatigue.
        Non, je n’étais pas interdit, mais d’une indifférence sans limite : je pouvais mourir. »
    Philippe Lacoue-Labarthe
    Phrase
    Coll. Détroits, Christian Bourgois, 2000
     
    439589.JPGEn façon d’hommage à Philippe Lacoue-Labarthe à l’occasion de la rencontre organisée, pour la parution de la revue L’ANIMAL qui lui est consacrée, le vendredi 23 mai à la librairie Kléber à Strasbourg par Isabelle Baladine Howald (son nom soit loué pour l’éternité & un jour), avec Jean-Luc Nancy, Claire Nancy, Hélène Nancy, Bernard Baas, Jean-Christophe Bailly, Philippe Choulet, Sylvie Decorniquet, Michel Deutsch, Francis Fischer, André Hirt et Isabelle Baladine Howald.

    L’Animal N°19-20
    printemps 2008, 29 €
    Cahier Philippe Lacoue-Labarthe
    (sous la direction de Philippe Choulet et d'Emmanuel Laugier)
    Textes de :
    Jean-Luc Nancy - Jean-Christophe Bailly
    Philippe Choulet - Emmanuel Laugier
    Michel Deutsch - Walter Benjamin - Hélène Nancy
    Clemens-Carl Härle - Jean-Pierre Moussaron - Sylvie Decorniquet
    Patrick Hutchison - Francis Fischer - Philippe Beck
    Isabelle Baladine Howald - André Hirt - Bernard Baas
    Dessin de François Martin - Mario et Federico Nicolao
     
    *
    Philippe Lacoue-Labarthe
    [ L’Afrique… (entretien)
    “ Détroits ” - Hölderlin, deux poèmes de la folie
    Traduction et histoire – Hölderlin (entretien)
    La forme toute oublieuse de l’infidélité - Bye bye Farewell
    D’un “désart” obscur, remarque sur Adorno et le jazz
    Monogrammes X - Le Baudelaire de Benjamin : l’utopie du livre
    Syberberg : de l’Allemagne après Hitler
    Le cinéma comme relais de l’idée nationale
    Logos et techné - De la clarté
    Au nom de l’Europe - Éloge, sur Guy Debord
    Phrase X
    ]
     
    &
    Le Simple
     
    Emmanuel Laugier / Au Hasard Balthazar [Robert Bresson]
    Guennadi Aïgui - Joël-Claude Meffre - Jean-Paul Engélibert / Les idiots [Lars von Trier] - Emmanuel Darley - André Hirt / Un cœur simple  [Gustave Flaubert]- Mathieu Provansal
    Bernard Sève - Eva Gerlach - Bruno Fran - Stéphanie Ferrat - Fabio Pusterla

  • La Symphonie du loup, Marius Daniel Popescu

    772533361.jpg« Les âmes des vivants et les âmes des morts sont de douces marionnettes. La chose la plus extraordinaire est que tu as compris que les marionnettes se font bouger les unes les autres. Chaque marionnette fait fonctionner d’autres marionnettes et ainsi de suite. Il n’y a pas de marionnettes sans importance pour les autres marionnettes. Tu as compris que tu es aussi une marionnette et tu cherches non pas à t’affranchir de l’état de marionnette, chose impossible, mais à ne pas utiliser cet état de fait et à le laisser s’atrophier par manque d’exercice. Chaque fois que la marionnette qui est en toi veut s’exprimer, tu t’abstiens de prendre position, tu t’éclipses, tu te retires, tu n’interviens pas et la marionnette se meurt dans sa soif inassouvie. »
    Marius Daniel Popescu
    La Symphonie du loup
    José Corti, 2007

     

    1890235781.jpgVoici un livre surprenant et qui annonce la naissance d’un écrivain.
    Marius Daniel Popescu est roumain de naissance (1963) et il vit en  Suisse aujourd’hui. Il écrit en Français. Pour l’anecdote, il est chauffeur de bus à Lausanne quand il n’écrit pas, mais je l’imagine très bien écrire à chaque terminus, le carnet sur le volant.
    Il a obtenu le Prix Robert Walser pour ce premier roman.
    La Symphonie du loup est composée de 146 mouvements, sans chapitre, coulée d’un bloc mais animée de variations et de changements de gammes assez détonnants.
    Dès l’ouverture sur la mort accidentelle du père on est saisi par une densité d’écriture assez prodigieuse, proche souvent de la transe chamanique, ou du rythme des prédicateurs dans les parcs londoniens. Mais Popescu n’a rien à vendre si ce n’est son humanité joyeuse même dans les pires moments.
    Le souffle qui anime cette symphonie semble inépuisable, tournant d’un narrateur l’autre, éclairant les jours d’une vie simple sur terre, entrelaçant  « je », « tu », « il », afin d’atteindre à une réelle universalité complexe, vive, rugueuse et joyeuse.
    La Roumanie, la dictature roumaine, est le décor de ce roman bouillant, passionné et passionnant, vif, enthousiaste, qui nous montre un personnage tour à tour petit-fils, fils et père dans une Europe en devenir, avec les langues et les cultures en partage pour construire une terre possiblement vivable où demeure le doute, où le suicide est possible certes, mais où une solution est toujours envisageable tant que l’on a envie de vivre d’un rien, d’un rire et d’un souffle léger sur la joue.
    Il faut lire cette Symphonie du loup parce que les livres indispensables sont devenus rares comme un jour sans Sarkozy.

     


    PS : Malgré ce grand livre le blogueur est fatigué, plombé, il va donc se reposer, si possible, pour une durée indéterminée.

  • Thomas Braichet

    Jeudi Hélène Mohone, 48 ans, samedi Thomas Braichet, 30 ans. La même saloperie de maladie.

    1672352622.2.jpgPour Thomas Braichet il faut aller sur la page de Tapin qui lui rend hommage – il participait depuis plusieurs années à la revue Boxon avec Julien d’Abrigeon, Cyrille Bret, Gilles Cabut… – http://tapin.free.fr/thomas.htm

    Thomas Braichet avait publié deux livres sonores chez P.O.L, On va pas sortir comme ça on va rentrer en 2004 et Conte de F___ en 2007. http://www.pol-editeur.fr/catalogue/ficheauteur.asp?num=5818

    Thomas Braichet a une page sur MySpace, il faut la visiter, elle mérite amplement le détour et elle permet de comprendre sa conception de la poésie : www.myspace.com/batart

  • Pour accompagner Hélène Mohone

    Pour accompagner Hélène Mohone ces vers d’Anna Akhmatova – qu'elle aime tant  – et qui ici dans la présence de Marina Tsevatïeva, me fait penser à Hélène, à sa façon de penser l’autre. 

     

     

    «  … et je me suis retirée ici de tout,
    De toute espèce de bien terrestre,
    C’est une souche dans la forêt
    Qui est l’esprit, le protecteur de « ces lieux ».

    Dans cette vie nous sommes tous en visite ;
    Vivre, c’est tout juste une habitude.
    Sur les chemins de l’air je crois entendre
    Deux voix qui s’appellent l’une l’autre.

    Deux ? Mais près du mur de l’est,
    Dans les buissons de robuste framboise,
    Sombre, une branche fraîche de sureau…
    C’est une lettre de Marina.»

    1961, novembre
    à l’hôpital


    Anna Akhmatova
    Requiem
    Traduit du russe par Jean-Louis Backès
    Poésie/Gallimard, 2007

  • Hélène Mohone

    1044272263.jpg« L’enfant a le sourire tendre des idiots. Elle ne sait rien de celle partie grandir loin, amoureuse d’elle-même, sans autre soin d’elle-même que le crin rugueux de la folie folle folle folle sans l’enfant resté figé.
    Elle pourrait se laisser bercer par l’enfant devenu mère de cette autre grandie trop vie, fendue en deux comme une bûche. Elle la prendrait dans ses bras de petite fille et chanterait des berceuses tout au long du jour pour faire taire la maladie et aussi le chagrin d’être malade.

    L’enfant, mère de l’autre jetée sur la route, sidérée, racines arrachées, le singe à l’intérieur qui vole tout ce qu’il est possible de prendre. L’enfant berce, berce ce qui manque, le début du corps, heureux enfantin, sur les pistes du Sénégal oriental où les parents et les frères et sœurs forment les ombres tutélaires du présent.

    L’enfant n’en veut pas à l’autre triste insoumise à grandes dents voraces d’amour à se briser l’échine à rompre le pacte de vie.
    Elle la câline poupée nounours pas peur bien soigner le corps le masser caresser lui dire chut pas d’os rongé du chagrin dors enfant dors petite fille alouette grise
    L’enfant quitte le prénom d’Ishmaël. Elle peut commencer à nommer ce qu’elle avait oublié. Un autre prénom, bien à elle.

    Et l’enfant, petite, attend que l’autre grandie trop vite vienne guérir en mettant ses pas dans les seins, enfin visibles dans la poussière sèche du Sénégal.

    L’autre dit : « J’ai grandi vieille, tatouée par le servage. J’ai tenu la voile pliée par peur de déchirure, les cordages autour e mes poignets et la haute marée pour ne pas accoster ». Assise près de la fenêtre, dans une chambre d’hôpital, le bras caressé par un soleil d’avril trop chaud pour la saison, elle dit aussi : « Je ne sais pas qui je suis ».

    Elle pense à ses frères et sœurs sur les photos, les vêtements légers, les nattes et les calebasses, ses parents, la nourriture, le sol durci par la sécheresse, les paysages rouges, les corps dansant à la récréation, le chemin de la mission, l’école et les religieuses, robes grises et grands voiles blancs, les images pieuses, les moustiquaires et le bébé chimpanzé, la biche naine, l’œuf de crocodile éclos sous le soleil, le venin du serpent les crapauds venus de loin escalader les escaliers de la véranda

    Elle pense aux manteaux, à l’hiver, au corps étréci par le froid, aux rues grises, aux murs noircis par la fumée des voitures, les figures tristes, les chaises sur lesquelles il faut se tenir tranquille, le corps prisonnier en France, l’automne, l’absence, l’hiver, la vie à survivre, le rire, les baisers, l’amoureux, la maladie, l’opération, l’hôpital. Elle pense à elle enfant restée là-bas.

    Elle dit enfin, comme une prière : « Mes animaux ». »
    Hélène Mohone
    L’enfant africaine
    L’Amourier, 2006
     
    Nous accompagnerons demain lundi Hélène
    en l'église Saint-Martin de Villenave-d'Ornon à 14h30.
     
    Terres de femmes lui rend hommage aujourd'hui
     

  • Hélène Mohone

    « À ne plus jamais vouloir recevoir l'enfant qui s’enfuit.

    Cet enfant mains sur la bouche a bien un cri
    Un cri de métal planté à la racine du sommeil
    Ce cri là est d’enfance anciennement
    L’enfant qui dit encore n'est pas celui qui criait
    Pourtant ils sont de même assise
    L’un enfante l'autre qui n'en veut pas
    Il pleure pour celui-là qui crie toujours à l’intérieur de celui qui se souvient
    Non il crie non il pleure il crie et il pleure ils sont comme deux âmes qui s’étirent l’une fait mal à l’autre qui sent la racine tirer de son corps arracher déchirer l’ultime résistance à un chagrin plus grand d'être ainsi partagé entre celui qui crie et celui qui pleure
    Celui qui crie n’a pas la bouche ouverte
    Ce sont ses pieds ce sont ses mains ce sont ses yeux qui crient
    Il va là criant comme le mendiant
    Deux pieds deux mains deux yeux
    Et rien qui puisse remplir le trou
    Celui qui pleure a l’humidité fanée des cours d'eau
    Il n’est pas triste il ne sent rien
    Il suit l’écoulement du vide. »
    Hélène Mohone
    Le Cœur cannibale
    William Blake & Co. Édit, 2003
     766014836.jpg
    Hier soir, à la librairie Olympique, Jean-Paul Brussac recevait Sylvie Nève et Valérie Rouzeau pour une lecture de textes d'Hélène Mohone. Des extraits de Torpeur et de De Loin.

    Marie Delvigne s'est jointe à elles pour une lecture particulièrement forte de L'Enfant africaine

    L'émotion certes était palpable, et la présence perceptible en chacun de cette jeune femme courageuse, partageuse, volontaire, qui construisait patiemment une œuvre importante, y était pour beaucoup.

    il faut maintenant se battre pour que ses livres perdurent.

    Marc Pautrel s'est fait l'écho de cette soirée sur son blog.

    Florence Trocmé rend hommage à Hélène sur Poezibao. 

  • Hélène Mohone est morte

    "Un mort est en repos

        sa mémoire est tranquille

    soit consolé pour lui

        son souffle est reparti"

    Sagesse de Jésus Ben Sira dit Siracide, 38, 23

     

    145929740.jpgHélène Mohone est morte hier, 3 avril, à 13h 25. Son visage était serein. Elle était dans le coma depuis deux jours après des années à se bagarrer contre la maladie. Courageuse et joyeuse, elle apportait aux autres une paix rare car elle avait une vraie nature spirituelle.

    Elle venait de publier deux nouveaux livres, Torpeur aux éditions de la Cabane et De loin à l'Atelier de l'Agneau.

    Torpeur, dédié à un autre disparu récent, Michel Valprémy, est un livre énigmatique où l'on retrouve tous les thèmes d'Hélène, comme un au-revoir sans en avoir l'air. Je n'ai pas encore lu De loin.

    Une cérémonie aura lieu lundi à l'église Saint-Martin de Villenave-d'Ornon à 14h30 avant la crémation à Montussan. 

    Écrasé, épuisé par sa disparition, je ne puis que reprendre ce que j'avais écrit pour elle il y a un an, lors d'une lecture à la librairie Mollat.

    * * *

    Longtemps, j’ai cru qu’Hélène Mohone était née en Afrique.

    Et si elle a vécue au Cameroun, au Sénégal, et bien l’état-civil, les hasards de la vie de son médecin de père l’ont fait naître à Bordeaux.

    Plus tard elle s’est mise à écrire.

    Cette écriture, ce travail d’écriture, s’est, bien sûr, nourri de l’enfance en Afrique, mais aussi de ses séjours en Roumanie et en Nouvelle-Calédonie.
    Elle chante aussi – elle a même suivi aux conservatoires de Bordeaux, Saintes et Angoulème une formation de chant classique –, elle écrit pour le théâtre, elle fait des travaux plastiques épatants, et a suivi des cours aux Beaux-Arts. Elle a monté une association artistique « Reportage » qui proposait des expositions de peinture, des performances et des concerts, ainsi que des activités audiovisuelles. Bref, elle n’arrête pas.
    Elle vient de terminer De loin, un livre de poésie. Elle a écrit trois pièces de théâtre dont l’une, Si près des champs, a été retenue dans le répertoire des Nouvelles Écritures théâtrales à Paris en 2001. Elle a publié dans de nombreuses revues : L’Insulaire, 2001, Le Fram, L’Arbre à paroles, Le Journal des poètes, Poésie première, Épistoles de montagne, Le Passant ordinaire. Elle a obtenu une bourse d’encouragement à l’écriture du CNL dans la section Poésie.
    Elle écrit… l’écriture est une sacrée histoire avec laquelle on ne finit pas lorsque l’on s’y engage. Il ne fallait pas commencer. Si, il le fallait, écrivait Beckett. Oui. Il le fallait. Il le fallait cet engagement, cet entêtement, cette façon de ne pas baisser les yeux

    Le Cœur cannibale

    Lorsqu’elle a publié le Cœur cannibale – qui d’ailleurs a disparu de ma bibliothèque, si on pouvait me le rendre… d’avance  merci – en 2003 à la William Blake and Co., lorsqu’elle a publiée le Cœur cannibale donc, nous venions juste de nous croiser et ce livre m’a incité à l’approcher un peu plus.
    Étrange premier livre d’une étrange jeune femme que ce Cœur cannibale. Dans une langue rare, économe, chantante, proche de l'imprécation, scandée comme une danse des origines, c'est à la compréhension, à la connaissance, d’un monde très ancien et absolument nouveau, que nous invite Hélène Mohone, qui avait déjà publié un texte sombre et remarqué, Corpus triste, dans le n° 42 du Passant ordinaire, avais-je alors écrit dans Lettres d’Aquitaine.
    Bien plus, ce poème là inscrivait son auteur dans une tentative d’appeler le monde par son nom, le seul. D’épeler le monde et comment il nous contient, comment nous nous battons avec lui, comment nous le cajolons. Un livre qui ne parle pas à tort et à travers, mais, au contraire, resserre sa langue lentement autour de ce qui est essentiel en elle, en nous, ce qui nous fonde, nous empêche de disparaître.


    L’Enfant africaine

    En 2006 paraît L’Enfant africaine, sous-titré justement, je l’ai évoqué plus avant à propos du Cœur cannibale, Corpus Triste, ce second livre d’Hélène Mohone, embarque son lecteur dans un univers résolument personnel qui prend  sa clef à la hauteur des chants qui ont bercé son enfance africaine. Livre douloureux, livre résolument ancré dans ce qui fonde l’être, dans la douceur et les effrois de vivre, de grandir, de vieillir, dans les difficultés de la maladie (la maladie de la mort), livre où l’enfant souriant « sera là jusqu’à disparition ». « Elle – nous dit, la narratrice –, a cédé à la maladie avec volupté pour sentir à nouveau la vie avant la mort, sentir la vie atteinte nommer l’instant de vie avant la disparition. » Et voici la charnière, le point nodal, le point de rupture aussi de ce mince livre : l’enfant petite et l’enfant trop vite grandie sont ici réunies, assemblées, séparées, disjointes, non pas par la narration mais par la vie même. La souffrance de l’une est dans les joies de l’autre, le monde n’y peut rien, on vit avec soi-même jusqu’au bout et ici, seuls les singes nous réveillent et on peut fourrer ses doigts dans les « bonnes mamelles un peu racornies, aux poils drus et longs » de la maman  – parce que maman est partie et que papa tire les cheveux en les peignant. L’Enfant africaine est une longue histoire d’amour et d’abandon. L’exil, l’amour, la maladie y sont les révélateurs de racines perdues, pour qu’à la fin, l’espoir d’une réconciliation des corps et des âmes soit envisageable. Hélène Mohone publie là un livre salvateur et bénéfique dont on gardera longtemps à l’oreille le chant très beau modulé du plus primitif à l’étonnamment moderne. Une et multiple, l’enfant africaine d’Hélène Mohone déplie la mélopée des voix de sa souffrance.
    C’est un grand livre, c’est un livre qui nous réunit avec l’enfant en nous, qui nous permet de vieillir tout seul, c’est un de ces livres que l’on oublie pas parce qu’on est tenté souvent d’y revenir.
    Et c’est pour ça que j’aime Hélène Mohone et ce qu’elle écrit – ce qui est à mon sens la même chose – parce que j’y reviens toujours, parce que je recommence toujours et que, finalement, c’est recommencer qui est beau.

    • Bibliographie
    • De loin, Atelier de l'Agneau, 2008 
    • Torpeur, La cabane, 2007
    • L’Enfant africaine « corpus triste », L’Amourier, 2006
    • Le Cœur cannibale, William Blake and Co, 2003
    • http://helene.mohone.free.fr/

     

  • L'Île Saint-Pierre

    b6a20d2bb30e852377c41cfc1c3576c4.jpg    "J’ai remarqué dans les vicissitudes d’une longue vie que les époques des plus douces jouissances et des plaisirs les plus vifs ne sont pourtant pas celles dont le souvenir m’attire et me touche le plus. Ces courts moments de délire et de passion, quelque vifs qu’ils puissent être ne sont cependant, et par leur vivacité même, que des points bien clairsemés dans la ligne de la vie. Ils sont trop rares et trop rapides pour constituer un état, et le bonheur que mon cœur regrette n’est point composé d’instants fugitifs mais un état simple et permanent, qui n’a rien de vif en lui-même, mais dont la durée accroît le charme au point d’y trouver enfin la suprême félicité.
        Tout est dans un flux continuel sur la terre. Rien n’y garde une forme constante et arrêtée, et nos affections qui s’attachent aux choses extérieures passent et changent nécessairement comme elles. Toujours en avant ou en arrière de nous, elles rappellent le passé qui n’est plus ou préviennent l’avenir qui souvent ne doit point être : il n’y a rien là de solide à quoi le cœur se puisse attacher. Aussi n’a-t-on guère ici bas que du plaisir qui passe ; pour le bonheur qui dure je doute qu’il y soit connu. À peine est-il dans nos plus vives jouissances un instant où le cœur puisse véritablement nous dire : Je voudrais que cet instant durât toujours ; et comment peut-on appeler bonheur un état fugitif qui nous laisse encore le cœur inquiet et vide, qui nous fait regretter quelque chose avant, ou désirer encore quelque chose après ?
         Mais s’il est un état où l’âme trouve une assiette assez solide pour s’y reposer tout entière et rassembler là tout son être, sans avoir besoin de rappeler le passé ni d’enjamber sur l’avenir ; où le temps ne soit rien pour elle, où le présent dure toujours sans néanmoins marquer sa durée et sans aucune trace de succession, sans aucun autre sentiment de privation ni de jouissance, de plaisir ni de peine, de désir ni de crainte que celui seul de notre existence, et que ce sentiment seul puisse la remplir tout entière ; tant que cet état dure celui qui s’y trouve peut s’appeler heureux, non d’un bonheur imparfait, pauvre et relatif, tel que celui qu’on trouve dans les plaisirs de la vie mais d’un bonheur suffisant, parfait et plein, qui ne laisse dans l’âme aucun vide qu’elle sente le besoin de remplir. Tel est l’état où je me suis trouvé souvent à l’île de Saint-Pierre dans mes rêveries solitaires, soit couché dans mon bateau que je laissais dériver au gré de l’eau, soit assis sur les rives du lac agité, soit ailleurs, au bord d’une belle rivière ou d’un ruisseau murmurant sur le gravier.
        De quoi jouit-on dans une pareille situation ? De rien d’extérieur à soi, de rien sinon de soi-même et de sa propre existence, tant que cet état dure on se suffit à soi-même comme Dieu. Le sentiment de l’existence dépouillé de toute autre affection est par lui-même un sentiment précieux de contentement et de paix, qui suffirait seul pour rendre cette existence chère et douce à qui saurait écarter de soi toutes les impressions sensuelles et terrestres qui viennent sans cesse nous en distraire et en troubler ici-bas la douceur. Mais la plupart des hommes agités de passions continuelles connaissent peu cet état, et ne l’ayant goûté qu’imparfaitement durant peu d’instants n’en conservent qu’une idée obscure et confuse qui ne leur en fait pas sentir le charme. Il ne serait pas même bon, dans la présente constitution des choses, qu’avides de ces douces extases ils s’y dégoûtassent de la vie active dont leurs besoins toujours renaissants leur prescrivent le devoir. Mais un infortuné qu’on a retranché de la société humaine et qui ne peut plus rien faire ici-bas d’utile et de bon pour autrui ni pour soi, peut trouver dans cet état à toutes les félicités humaines des dédommagements que la fortune et les hommes ne lui sauraient ôter."

    Jean-Jacques Rousseau, les Rêveries du promeneur solitaire,
    extraits de la Cinquième promenade
     
    Après avoir vu le DVD "Proëme de Philippe Lacoue-Labarthe"
    Entretiens de l'ïle Saint-Pierre, Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Christophe Bailly,
    réalisé par Christine Baudillon et François Lagarde
    suivi de Anenken, réalisé par Christine Baudillon et Philippe Lacoue-Labarte
    Hors Œil éditions, 35 € 


  • Josée Lapeyrère est morte

    3a9eba32fb53a39052d68c94e1b11ca6.jpgJosée Lapeyrère était née dans le Gers où elle avait une maison près de Lectoure. Elle vivait et écrivait à Paris où elle était psychanalyste.

    Elle avait publié de nombreux livres tous passionnants. En 2005, le bleu du ciel avait fait paraître, dans la collection Biennale des Poètes en Val-de-Marne, dirigée par Henri Deluy, ce joyeux livre collectif avec ses amies Liliane Giraudon, Anne Portugal et Michèle Grangaud : Marquise vos beaux yeux où les quatre voix se mêlaient pour donner à lire ce qui du privé devient commun et indispensable à chacun. Une lecture concert avait eu lieu au Molière-Scène d'Aquitaine avec les quatre auteurs et le pianiste Benoît Delbecq.

    Dans l'Éloge du coureur publié par Al Dante/Niok en 1998, elle écrivait :

    " Il est des phrases qui bouleversent la langue maternelle. Leur trajet à travers sa texture en emporte la profondeur et délivre – grâce aux césures, au jeu entre les sons et le rythme – des sens inattendus et multiples, à ricochets, à rebondissements que n'épuise pas la traversée des siècles.

    On peut lire entre les lignes l'empreinte de toutes les lettres qu'il a fallu abandonner, la marque des battements où se sont divisés les chemins, le souvenir des rencontres inédites qui ont incurvé le parcours, les traces des deuils successifs qui ont allégé et soutenu la progression de la marche.

    Marque du vacillement rompu par le tranchant du choix qui fait que telle phrase devenue nécessaire tient debout seule appuyée sur ses trous d'air et continue à respirer contre le temps qui passe." 

    C'est le meilleur éloge qui soit, ce soir.

     

  • Julien Gracq est mort

    47663e392ae80aa22431ad3a336c00dd.jpg"L'écart entre la réputation faite à un auteur et la somme de ferveur réelle et éclairée qu'on lui voue traduit simplement, si l'on veut, ce fait d'observation courante : c'est que, dès qu'il s'agit de littérature, il y a en France plus de gens qu'ailleurs pour ”réciter le journal”."

    La littérature à l'estomac, José Corti, 1950