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Un nécessaire malentendu - Page 5

  • Jean de la Croix, « Chansons entre l’âme et l’époux, 27-30 »

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    Époux

    Elle est entrée, l’épouse,

    dans le verger amène et désiré

    et à son gré repose,

    son cou vient s’incliner

    sur la douceur des bras du bien-aimé.

     

    Au-dessous du pommier

    comme épouse t’ai prise près de moi,

    la main je t’ai donnée

    et là fut ton rachat

    où ta mère fut violée autrefois.

     

    Ô vous légers oiseaux,

    lions et chevreuils et daims qui bondissez,

    ardeurs, souffles et eaux,

    rives, monts et vallées,

    craintes aussi de la nuit qui veillez,

     

    Par les lyres légères,

    par le chant des sirènes, vous conjure,

    laissez votre colère

    ne touchez pas au mur

    pour que l’épouse ait un sommeil plus sûr.

     

    Jean de la Croix

    Cantique spirituel

    Traduit par Jacques Ancet

    in Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, Œuvres

    La Pléiade, Gallimard, 2012

  • Santoka, quelques haïkus

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    sur mon chapeau de bambou

             tombe

                      une fleur de camélia

     

    j’ai du riz

             j’ai des livres

                      j’ai même du tabac

     

    dans mon village natal

             au milieu de la nuit

                      rêvant de mon village natal

     

    les aigrettes de pissenlit se dispersent

             le souvenir de ma mère

                      sans cesse me revient

     

    les hirondelles migrent

             voyage après voyage

                      je chausse mes sandales en paille

     

    de mon journal jeté au feu

             pas plus de cendres

                      que ça ?

     

    j’ai de quoi manger

             de quoi m’enivrer aussi

                      les herbes folles sous la pluie

     

    une libellule part

             une abeille arrive

                      à mon bureau le cœur serein

     

    depuis que personne ne vient

             les piments

                      sont devenus rouges

     

    la neige de printemps tombe

             les femmes

                      sont si belles

     

    plein de gratitude

             d’être encore en vie

                      je rapièce mes vêtements

     

    au réveil de l’ivresse

             un vent triste

                      me transperce

     

    ma gueule de bois

             avec les fleurs de cerisier

                      se disperse se disperse

     

    ah mourir

             tranquillement

                      là où poussent les jeunes herbes

     

    ma mort

             les herbes folles

                      la pluie

     

    Santoka —1882-1930

    Journal d’un moine zen — zen, saké, haïku

    Traduit du japonais par Cheng Wing fun & Hervé Collet

    Moundarren, 2013

  • Alexis Pelletier, « et s’il s’agissait plutôt… »

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    et s’il

    s’agissait plutôt de

    traquer quelque chose dans l’écriture

    quand le monde court à sa perte

    j’y reviendrai plus loin

    c’est le bel aujourd’hui

    parce qu’il n’y a pas d’autre urgence

    les hirondelles disparaissent elles sont

    déjà mortes alors que dans la mascarade

    tu sais

    mais qui es-tu ritournelle etc.

    qu’il n’y a pas que cela

    et que

    ce

    pas que cela

    est difficile

    à

    préciser quelque

    chose de tes

    mains tes seins

    Pussy Riot à saisir au

    milieu de la nuit ou le

    souvenir de toutes celles et ceux

    qui accompagnent depuis

    l’absence

    au bord du rien.

    sous rien.

    dans un temps incertain.

    dit Claude Chambard dans Carnet des morts

    avec l’écart si minime du mot à

    la mort est-ce cela

     

    Alexis Pelletier

    D’où ça vient

    Tarabuste, 2022

     

    Carnet des morts, le Bleu du ciel, 2011

     

  • Li Shang Yin, « Fleurs qui tombent »

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    Voici que l’invité quitte mon haut pavillon ;

    Dans le petit jardin, les fleurs volettent de ci de là,

    Grandes et petites sur le chemin sinueux ;

    De loin elles accompagnent le soleil vers son déclin.

    Le cœur brisé, comment pourrais-je les balayer ?

    Je les supplie du regard pour qu’elles s’en reviennent.

    Cœur tendre se consume avec le printemps,

    Ce qu’il gagne : un vêtement mouillé de larmes.

     

    Li Shang Yin (812-858)

    Poèmes

    Traduit du chinois par Marie-Thérèse Lambert

    Versant Est, 1980

  • Tao Yuan Ming, « Promenade le long de la rivière Hsie »

    Tao Yuan Ming,Promenade le long de la rivière Hsie, cheng wing fun,hervé collet,moundarren,jour de l'an chinois

     

    L’année hsin yu, le cinquième jour du premier mois, le temps est doux, serein, le paysage paisible, splendide. Avec deux ou trois voisins ensemble nous nous promenons le long de la rivière Hsie. Au bord du long courant nous contemplons le Rempart étagé. Bientôt jaillissent les écailles des mulets et des carpes, c’est déjà le soir. Les mouettes chevauchant le vent voltigent, volent. La renommée de la Montagne du sud est maintenant très ancienne, inutile d’en faire encore l’éloge. Le Rempart étagé, sans lien autour de lui, sans continuation, majestueux seul surgit au milieu des champs inondés. De loin il rappelle la Montagne magique. J’aime son nom plaisant. Mais le regarder joyeusement ne me satisfaisant pas, aussitôt je me mets à composer un poème. Comme il est attristant que soleil et lune passent aussi rapidement et regrettable qu’on ne puisse retenir les années. Chacun de nous inscrit son âge, sa région et marque aussi la date du jour.

     

    L’année vient de commencer, cinq jours déjà

    ma vie bientôt se terminera,

    y penser me trouble le cœur

    aussi je profite du temps pour faire cette promenade

    l’air est doux, le ciel serein

    chacun à sa place nous nous asseyons au bord du long cours d'eau

    le courant est lent, les beaux mulets nagent rapidement

    dans la vallée vide les mouettes planent en criant

    sur le vaste lac nous promenons notre regard

    absorbés, nous contemplons le Rempart étagé

    même s’il n’a pas la splendeur des Neuf étages,

    si l’on regarde les environs, il est sans pareil

    tenant le pot à vin je sers mes compagnons

    les coupes remplies, chacun notre tour nous nous invitons à boire

    ne sachant si, une fois aujourd’hui parti,

    nous pourrons ou pas nous retrouver à nouveau ainsi

    mi sobre mi ivre nous laissons notre sentiment errer au loin,

    oubliant mille années de soucis

    n’hésitons pas, épuisons la joie d’aujourd’hui

    demain, à quoi bon nous en préoccuper ?

     

    Tao Yuan Ming

    L’homme, la terre, le ciel — enfin je m’en retourne

    Traduit du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet

    Moundarren,1987

    Excellente année du Dragon de bois à chacun.

     

  • Pascal Quignard, "Tout ce que je publie est le cœur de mon cœur." extrait de Critique du jugement

    pascal quignard,critique du jugement,compléments à la théorie sexuelle et sur l'amour, aline piboule, fauré ou le dernier amour, seuil

     

    « J’aime ce que je fais et je paie volontiers pour continuer de le faire. La joie de composer est supérieure au tourment qui l’efface comme une ardoise magique dont l’opération de décoloration ou le progrès de la désinscription durent un mois de temps tandis que les feuilles s’amoncellent dans la boue du sol et que les pluies augmentent en volume. C’est comme l’agenouillement et la pénitence qui suivent la confession de ses fautes et le pardon qu’entraînait cet aveu dans les allées des cathédrales et le froid plein d’encens âcre et humide. Ce peu de peine pardonne les joies qu’on retire de ses vices, qu’on va pouvoir reprendre un à un, l’âme vide, et tout regret éliminé. Donner consiste aussi à rembourser toutes les dettes qu'on s'est faites même si on ne sait pas du tout quand on se les ait faites et même si on en ignorait jusque-là de bonne foi les principaux acteurs, qu’on découvre sans qu’on y ait songé, et qui sont pour la plupart tous morts. Je donne la plus grande part de mon temps (non pas l’essentiel de mon temps) à la “récréation” de créer et puis, ensuite : “Pensez ce que vous voulez mais ce que vous en pensez, cela ne compte pas beaucoup à mes yeux. Il me faut écrire ces pages avant de mourir. C’est tout”. Je paie cette indifférence de ce collier de jours et de ce pèlerinage que je fais une gourde rouge à la main et une coquille noire dans l’autre dans la banlieue de l’année qui finit.

    * 

    Tout ce que je publie est le cœur de mon cœur. Tout ce qui voudrait le rabrouer ou le contraindre me blesse au plus haut point. Or, je ne puis me protéger de ces blessures car je ne veux point quitter ce qui les passionne. Préserver un cœur singulier — le battement singulier d'un cœur singulier — vaut tous les sacrifices.

    * 

    Ne plus lire les comptes rendus qui paraissent dans les colonnes pâles de la presse ou sur le cadran bleuté des téléphones ou les écrans noirs des tablettes numériques.

    Rilke : « Je n’ai pas besoin d’entendre parler de ma passion. Je détesterais voir rassemblés et imprimés les jugements des autres sur la femme que j’aime ».

     

    Pascal Quignard

    “Les expiations mystérieuses”, extrait

    in Critique du jugement

    Galilée, 2015

     

    Pascal Quignard vient de publier un livre merveilleux, Compléments à la théorie sexuelle et sur l‘amour, dans la collection Fiction & Cie, aux éditions du Seuil. J'y reviendrai.

    Il vient de créer samedi 27 janvier,  à la Philarmonie de Paris, un si beau récit-récital, Fauré ou le dernier amour, avec l'épatante Aline Piboule au piano (ici un Gaveau de 1929, dont c'était le premier concert depuis sa restauration).

    Afin de passer un moment avec quelques fondamentaux de son travail, j'ai recopié ceci.

    Bonne lecture aux amis.

  • Louise Glück, « Les lys blancs »

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    Alors qu’un homme et une femme plantent

    un jardin entre eux comme

    un lit d’étoiles, ils sont là

    à s’attarder un soir d'été

    et le soir se

    refroidit de leur terreur : tout ça

    pourrait prendre fin, il est capable

    de tout dévaster. Tout, tout

    peut disparaître, à travers l’air embaumé

    les colonnes étroites

    s’élèvent inutiles, et au-delà,

    une mer déchaînée de coquelicots —

     

    Chut, mon amour. Peu m’importe

    le nombre d’étés qu’il me faut vivre pour revenir :

    cet été, nous sommes entrés dans l’éternité.

    J’ai senti tes deux mains

    m’enterrer pour libérer sa splendeur.

     

    Louise Glück

    L’iris sauvage

    Traduit de l’anglais (États-Unis) et préfacé par Marie Olivier

    Bilingue

    Gallimard, « Du monde entier », 2021

     

    Pour saluer Louise Glück,

    née le 22 avril 1943 à New York et morte le 13 octobre 2023.

  • Natsume Sôseki, « Par un rêve de papillon… »

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    Par un rêve de papillon, tâchons à poétiser,

    Restons d’abord loin des hommes, dans un hameau de peinture !

     

    Les fleurs, aperçues à travers le store, apportent le calme ;

    Le vent, passant dessus les terres, ne laisse aucune trace.

     

    Au petit pavillon, thé préparé, fumée qui s’élance ;

    Dans la cour à midi, livres à l’évent, moineaux qui piaillent.

     

    Le siège où l’on se clarifie la pensée, paix quotidienne.

    Après le poème, le silence avec un chaud soleil.

    24 septembre 1916

     

    Natsume Sôseki

    « La période de Meian »

    In Poèmes

    Traduit du chinois  (Japon), présenté et annoté par Alain Colas

    Le Bruit du Temps, 2016

  • Antoine Wauters, un sprint heureux

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    Antoine Wauters à la Machine à Lire, le 20 septembre 2023

    par Hélène des Ligneris, avec son amicale autorisation

    `

    à propos de Le plus court chemin, Antoine Wauters,

    14x21 cm, 256 p., éditions Verdier, 19,50 €

     

    Depuis la lecture de Césarine de nuit chez Cheyne éditeur, en 2012, je n’ai pas laissé passer un seul livre d’Antoine Wauters.

    C’est dire si d’année en année je lis avec la meilleure attention ses livres, suis son travail d’aussi près que possible. Ainsi lors de l’ouverture de ce Le plus court chemin le jour de son arrivée, le 27 mai, j’ai été frappé par la disposition, brèves pages comme dans Césarine de nuit & Sylvia, et puis très vite en le lisant j’ai songé aussi, sous une autre forme à Pense aux pierres sous tes pas (Verdier, 2018) surtout dans sa première partie. Oui, pensons aux pierres sous nos pas pour emprunter ce plus court chemin, épatant cheminement à travers l’enfance, l’enfance de l’écriture, les souvenirs et ce que l’on en fait, cette tentative de restitution d’un monde pour ainsi dire disparu, inconnu certainement en grandes parties aux plus jeunes de ses lecteurs, et qui, paradoxalement malgré les nombreuses années qui nous séparent n’est pas bien loin du mien, ce qui me laisse à penser que les changements s’accélèrent sans cesse et dangereusement.

    Pensons aux pierres sous nos pas, elles sont suffisamment solides et neuves encore d’être si anciennes pour nous permettre de nous glisser un peu dans ses pas, dans ceux de cette narration fine, sobrement efficace, et pourtant toute entachée de ce lyrisme très spécifique à l’écriture d’Antoine Wauters et ce depuis le début — on ne devient pas l’écrivain tant aimé sans faire un peu vibrer, rêver, pleurer et toutes ces sortes de choses — lyrisme, ce n’est pas un gros mot, n’est-ce pas —, car attraper les souvenirs c’est en quelque sorte attraper le temps, mais quel serait dès lors le temps le plus heureux, et le temps d’hier serait-il possiblement plus heureux que celui du jour, lequel serait le plus présent, ce temps qui de quelque façon qu’il le conjugue aurait permis donc le livre le plus heureux qu’il a écrit.

    Ce serait donc un livre d’apprentissage, de préapprentissage pour ainsi dire, un livre écrit sans rien savoir des trucs, des ficelles, qu’on apprend au fur et à mesure que l’on avance dans les livres et dont il aurait au moins tenter de te débarrasser — on tente le coup à chaque fois et il faut reprendre sans cesse, une vue de l’esprit. Je ne perds pas de vue que le premier livre d’Antoine s’intitule Debout sur la langue (maelstrÖm reEvolution, 2008) et qu’il a obtenu le Prix Goncourt de la nouvelle pour Le Musée des contradictions (éditions du Sous-Sol, 2022), je ne l’oublie d’autant moins que ces deux titres forment tout un programme.

    Ce serait aussi une douce nostalgie, un appel à ceux qui ont fondés nos vies ­— les vivants et les morts : Papa, Maman, Papou & Nènène, Pépé & Mémé, Charles, Lorraine. Et ils répondent présents à tous les temps de la vie, encourageants, vifs, écrivant des lettres magnifiques, donnant l’allant qu’il faut au petit gars, dans ces temps où l’argent n’est pas tout, où l’on porte les vêtements jusqu’au bout et où on fait ressemeler les chaussures, ce temps n’est pourtant pas si lointain — Antoine Wauters est né en 1981 —, et ce temps il le rend élastique, allant d’hier aujourd’hui avec le naturel d’un qui dit « j’écris sans réfléchir », tout en sachant  « se traverser de part en part en acceptant tout ce que l’on croisera, tout ce que l’on touchera du doigt et que l’on entendra. Même ce qu’il y a de plus terrible. Car cela, il faudra parvenir à l’aimer. »

    Ce serait donc ce livre-là, livre de sons, d’odeurs, de choses vues, ces sensations  instinctives sans apprentissage, pas vraiment besoin de décoder, la joie, la peur, le rire, les pleurs, le cœur qui bat parce qu’on sprinte tout le temps ­— c’est fou ce qu’un gamin peut courir, n’est-ce pas —, et que l’écrivain – « je n’écris pas ce livre je le sprinte » – qui retrouve des bribes de tout cela marche maintenant quand il n’écrit pas… et peut-être même s’affuble-t-il d’autre nom pendant le travail de l’écriture, chaque jour après la lecture sans laquelle rien ne serait possible. Ces noms qui pourraient être du genre : Anton Libermans, Evgueni Sakomatov, que sais-je.

    Alors on ouvre les yeux et il nous apparaît bien qu’il fait comme ça parce qu’il n’est pas un « poing serré », non, bel et bien un poète quoi qu’il écrive, un poète avec un complexe campagnard mais le poète sait le manque, après la fracture, après la faille, c’est maintenant que vient l’écriture, qui saurait nommer ce qui est peut-être innommable mais que l’on perçoit de l’autre chemin, l’opposé, peut-être pas le plus court, donc, et que l’on a toujours peur de ne pas vivre assez.

     

    Claude Chambard

  • Nelly Sachs, « Papillon »

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    « Quel bel au-delà

    est peint dans ta poussière.

    À travers le noyau de flammes de la terre,

    à travers son écorce de pierre

    tu fus offert,

    tissage d’adieu à la mesure de l’éphémère.

     

    Papillon,

    bonne nuit de tous les êtres !

    Les poids de la vie et de la mort

    S’abîment avec tes ailes

    sur la rose

    qui se fane avec la lumière mûrie en ultime retour.

     

    Quel bel au-delà

    est peint dans ta poussière.

    Quel signe royal

    dans le secret des airs. »

     

    Nelly Sachs

    « Dans le secret »

    In Éclipse d’étoiles précédé de Dans les demeures de la mort

    Traduction de l’allemand et postface de Mireille Gansel

    Collection « Der Doppelgänger », Verdier, 1999

  • Katherine Mansfield, «Lorsque j'étais oiseau»

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    Katherine Mansfield en 1917

     

     

     « J’ai grimpé dans le karaka

    Pour atteindre un nid fabriqué de feuilles

    Mais doux comme un duvet.

    J’ai inventé une chanson sans paroles

    Qui s’est prolongée d’elle-même,

    Ne devenant triste que vers la fin.

    Des pâquerettes poussaient dans l’herbe au pied de l’arbre.

    Pour les mettre à l’épreuve, je leur ai dit :

    « Je vous couperai la tête et la donnerai à manger

    À mes petits enfants. »

    Mais elles refusèrent de me prendre pour un oiseau

    Et restèrent grandes ouvertes.

    Le ciel était comme un nid d’azur aux plumes blanches

    Et le soleil était la mère oiseau qui le réchauffe.

    Voilà ce que disait ma chanson sans paroles.

    Le petit frère remonta l’allée en poussant sa brouette.

    De ma robe je fis des ailes et restai immobile.

    Quand il s’approcha, je criai: « Twit, twit... »

    Un instant, il eut l’air étonné,

    Puis il me dit : « Allons, tu n’es pas un oiseau

    Je vois tes jambes. »

    Que m’importaient les pâquerettes?

    Et que m’importait le petit frère ?

    Je savais bien, moi, ce que j’étais. »

     

    Katherine Mansfield

    Poèmes

    Traduction et postface de Anne Wade Minkowski

    Artfuyen, 1990

  • Hans Magnus Enzensberger, « Pour Max Sebald »

    hans magnus enzensberger,

     

    « Lui qui nous était proche,

    semblait venu de loin

    dans l’amère patrie.

    Ici, bien peu de choses le retenaient.

    Rien que la recherche de traces,

    au moyen d’une baguette de sourcier faite de mots,

    qui tressaillait dans sa main.

    À travers les terres brûlées et les sites funéraires

    il l’a traquée, cette patrie,

    jusque dans sa folie furieuse

    sur la lande du Suffolk.

    Is this the promis’d land ?!

     

    L’obscurité fort tôt était tombée,

    pourtant il persévérait,

    impavide au milieu de

    tous les cauchemars, allant

    par un chemin difficile.

    Que la poussière lui devint légère,

    seuls trois vers nous le disent :

    Ainsi je glissais sans un bruit,

    bougeant à peine une aile,

    très haut au-dessus de la terre… »

     

    Les mots en italique sont de W.G. Sebald, extraits de « La sombre nuit fait voile », in D’après  nature. Poème élémentaire, traduit de l’allemand par Sybille Muller et Patrick Charbonneau, Actes Sud, 2007

     

    Hans Magnus Enzensberger

    L’Histoire des nuages – 99 méditations

    Traduit de l’allemand par Frédéric Joly, avec le concours de Patrick Charbonneau

    Préface de Jean-Jacques Schuhl

    Vagabonde, 2017