Dylan Thomas
Mon HÉROS met à nu ses nerfs
« Mon HÉROS met à nu ses nerfs tout le long de mon poignet
Régnant du poignet à l’épaule,
Il déballe la tête qui, comme un spectre ensommeillé,
S’appuie sur mon souverain mortel,
La fière épine ennemie des tours et des torsions.

Et ces pauvres nerfs ainsi reliés au crâne
Souffrent sur le papier éperdu d’amour.
J’étreins les mots fous que j’ai gribouillés
Gémissant de toutes les faims de l’amour
Et disant à la page le mal vide.
Mon héros met à nu mon flanc et voit son cœur
Marcher, comme une Vénus nue,
Sur la plage de chair et enrouler sa natte sanglante.
Dépouillant mes lombes de promesse
Il promet une chaleur secrète.
C’est lui qui tient les fils de cette boîte de nerfs
Glorifiant la mortelle erreur
De la naissance et de la mort, la triste paire de voleurs
Et l’empereur du désir.
Il tire la chaîne, la citerne se vide. »
Dix-huit poèmes
Traduit de l’anglais par Patrick Reumaux
in « Œuvres tome I », Seuil, 1970

No more tears
« Un bébé a plusieurs choix qui tous sont inconnus. Rimbaud fit l’un d’eux.
« Derrière une porte, je me tiens. Les cris que j’entends de l’autre côté, je les apprends par cœur. Un couple que je ne vois pas halète. Toute la vie. En un point du monde, résumé ici, derrière la porte, braillent à voix chaude ceux que je ne vois pas. Les civilisations connues que les vainqueurs d’histoire ont rapportées, celles inconnues, les voyelles dans les phrases, les prononciations abruptes des langues mourantes, les villes derrière des miroirs, derrière des taillis, les colonies d’enfants presque nus, les secrets amazoniens, le travail des femmes, la sujétion – toute la vie derrière la porte, portée par le cri de ceux que je ne vois pas. Les corps ont des bras par centaines. L’odeur des corps est mûre. »
« Tandis que je me tais.
« La vérité qu’on ne parvient pas à dire (comme les anciens ne parvenaient pas à dire les rêves parce qu’ils les croyaient chose différente de ce qu’ils sont en réalité) est celle-ci : chacun de nous est physiquement la figure d’un acquéreur, et nos inquiétudes sont les inquiétudes de cette figure (de même que nos terreurs sont les terreurs de nos rêves). Le monde des hommes, tel que nous le connaissons, dans notre vie modelée par la majorité, est un monde d’acquéreurs. Tout ce qui nous sert à nous manifester est acquis. Mais le véritable regard qui nous observe comme acquéreurs n’est pas le regard d’un autre acquéreur. Ce n’est qu’à certains moments qu’un tel regard est aussi le nôtre ; mais il s’agit d’une divination dont la valeur n’est ni établie ni reconnue par personne. C’est pourquoi notre expérience vitale demeure l’expérience de celui qui se révèle à travers l’humble acquisition. Dans le meilleur des cas, toutefois, nous réussissons à faire de cette expérience de rêveurs une expérience réelle : c’est-à-dire que nous réussissons à identifier les expériences de la figure de l’acquéreur qui vit là, avec les expériences de cette figure irréalisée qui s’appelle l’homme. À moins que la figure de l’acquéreur ne se serve aussi de cette identification prétendue – à travers une manœuvre que nous connaissons – pour vivre la suite en paix. Les lois qui nous gouvernent ont pris forme dans un autre monde, auquel nul n’appartient. Parce que c’est toujours nous qui, si nous le voulons, devenons d’abord des sicaires et des catéchumènes, puis les maîtres de la production de ces marchandises dont nous sommes les acquéreurs. En faisant cela nous expérimentons qu’il n’y a pas de solution de continuité entre dominé et patron, entre travailleur et capitaliste. Aucune promotion n’efface jamais l’état précédent : comme le fait d’être adulte n’efface pas le fait d’avoir été enfant. Au contraire, ce sont dans tous les cas les premiers états qui sont les plus importants, les plus définitifs. Celui-là même qui participe à la production aura toujours les traits du consommateur. Il reviendra toujours à ses premières inquiétudes. À la dépossession de soi. Il n’est pas sien, le regard qui regarde celui qui est là, et s’exprime en acquérant des marchandises. »
« La psychanalyse et la littérature ont en commun le refus de la catégorie, de la case et du cas. »