vendredi, 07 avril 2017
Vladislav Otrochenko « Apologie du mensonge gratuit »
DR
« Venise, ville de pierre, ville humide d’où l’on ne voit pas les montagnes et qui n’a rien du “petit bourg isolé” enchâssé dans le grandiose tableau de la nature et dont la poignée d’habitants ne se fait pas remarquer (tel est à peu près l’idéal de Nietzsche), Venise n’aurait pas dû, semble-t-il, attirer Nietzsche hors de sa Suisse bien-aimée. D’ailleurs, l’Italie elle-même ne l’en fit sortir qu’avec peine. Au début il n’y jeta que de brefs et prudents coups d’œil. En août 1872 il s’établit, à l’essai, à Bergame, et ne descendit pas plus au sud, parce qu’il craignait de s’éloigner des montagnes, de l’air des montagnes, des lacs des montagnes et des paysages alpins. Il quitta Bergame au bout de quelques jours – il s’enfuit à Splügen, un village suisse sur une route de montagne, et écrivit de là-bas au baron Carl von Gersdorff qu’il se sentait “tout à fait satisfait du choix de son séjour”.
Plus tard, errant à la recherche d’un endroit, il alla quand même plus au sud, s’enfonçant dans les profondeurs de l’Italie. Mais il ne se hâta pas d’aller visiter la ville fameuse, sur les îles de sa lagune. N’importe lequel de ses voyages vers le sud (à Rome, Naples, Sorrente) exigeait toujours, immédiatement après, un voyage vers le nord, dans les villes et villages alprestres… C’est Peter Gast qui l’invita à Venise ; c’était un admirateur et un ami dévoué, il s’adonnait à la composition musicale et avait une imagination active (quand Nietzsche perdit la raison, il eut plus souvent que d’autres l’impression qu’il faisait semblant d’être fou). Résidant à Venise, Gast avait invité Nietzsche maintes fois et avec insistance, mais ce dernier, sous divers prétextes – surtout parce qu’il craignait pour sa santé – refusait de faire le voyage. Finalement, Gast vint lui-même chercher Nietzsche sur les bords du lac de Garde, à Riva, et l’amena à Venise. Cela se passa en mars 1880. Il pleuvait à verse. Gast était horrifié. Il connaissait très bien l’influence catastrophique que pouvait avoir le mauvais temps sur Nietzsche, surtout dans une ville telle que Venise d’où sont absents les tableaux apaisants de la nature, où il n’y a que les eaux mortes de la lagune déversées dans les canaux. Mais il y eut un miracle. Ni la pluie, ni l’humidité, ni l’odeur de vase de la lagune, ni les rues étroites et noyées d’ombre – rien ne put éteindre l’enthousiasme que Venise inspira à Nietzsche.
Cet enthousiasme ne fut pas passager. Venise, où Nietzsche fit de nombreux séjours, l’attirait et le frappait tellement qu’il parlait de son coup de foudre avec la même constance que mettait Gogol à porter aux nues sa ville bienheureuse : Rome. Jusqu’à la fin de sa vie consciente, Nietzsche affirma que Venise était la seule ville qu’il pouvait supporter, la seule ville où il était heureux et où il se sentait toujours “bien et content”… Pourquoi ?
Répondre à cette question en disant quelque chose comme “Venise est sans conteste une ville magnifique”, c’est impossible. Pour Nietzsche, des “villes magnifiques sans conteste” (sans la multitude de toutes les conditions possibles et impossibles), ça n’existait pas.
Derrière ce miracle, il y avait quelque chose de vraiment miraculeux. La structure de Venise correspondait exactement à la structure mentale de Nietzsche. »
Vladislav Otrochenko
Apologie du mensonge gratuit
Traduit du russe par Anne-Marie Tatsis-Botton
Collection « Slovo », Verdier, 2016
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mardi, 04 avril 2017
François Bon, « Fictions du corps »
© : Philippe Cognée
notes sur celui qui composait ce livre
« Parmi ceux qui composaient les livres, celui-ci avait considération : il était parti du principe qu’en prenant le premier mot du premier livre, le deuxième mot du deuxième livre, le troisième mot du suivant et ainsi de suite, il aurait composé un livre qui serait le livre des livres. Il démontrait aussi volontiers, sur un tableau qu’il remplissait de chiffres et d’exemples, qu’à certain moment déterminé le mot qu’il aurait à ajouter dans son livre serait le mot qu’il était en train d’écrire dans son livre même, et qu’à ce moment précis son livre serait achevé et complet. Il prétendait que ce livre, relié par un mot à chacun des livres existants, serait une somme non pas qui les contiendrait tous, mais serait le corps de leurs corps. Que ce livre était important à construire pour une trace de civilisation que nous constituions encore (ce qui se raréfiait, pourtant, avec le nombre des hommes qu’elle comptait – nous le savions). On ne s’attardait pas à le contredire, ou vérifier même le bien-fondé de son hypothèse. On laissait à sa porte un peu de nourriture, on le saluait si on l’apercevait, et cela lui suffisait. Les livres ne gênaient personne, désormais. »
François Bon
Fictions du corps
Dessins de Philippe Cognée
Lecture de Jérémy Liron
L’Atelier contemporain, 2016
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jeudi, 30 mars 2017
Wolfgang Hermann, « Adieu sans fin »
DR
« Il émanait du jardin une lumière singulière, comme si chaque feuille brillait de l’intérieur. À la cime des arbres, parmi les buissons, s’ouvraient des espaces intermédiaires qui étaient demeurés cachés pendant l’été. Il régnait alentour une lenteur, un flottement, comme si tout ce qui était vivant prenait conscience de sa faiblesse. Une fois que la lumière d’été s’était brisée, elle ne revenait plus. Elle montait, s’élevait toujours plus haut, resplendissait une fois encore de toute la force des feux du Grand Nord, puis elle se retirait de la terre et cédait la place à la grisaille de novembre. Dans la lumière d’’automne, les choses se ternissaient, leurs contours s’estompaient, elles se préparaient à un long exil intérieur qui vivrait un temps encore du souvenir de la lumière d’été.
Les gens avaient une démarche changée, elle était plus prudente, en quelque sorte moins spontanée. Comme si leurs corps en savaient plus long qu’eux-mêmes.
La lumière déclinante feutrait également la vie en moi. Lors des toutes premières semaines, avant que je me fasse à l’avancée de l’hiver, je fus en proie à un grand désarroi, je ne savais trop vers quoi me tourner, que faire pour ne pas me perdre de vue. Mais les jours gris-noir de novembre surent réveiller la joie enfantine que suscitaient en moi les crépuscules précoces d’hiver.
C’était avant que le temps ne meure. Ce fut comme la chute d’une feuille, à ceci près que ni la feuille ni l’espace dans lequel elle chutait n’avaient d’existence.
Ce qui flétrissait en moi, c’était la vie. »
Wolfgang Hermann
Adieu sans fin
Traduit de l’allemand (Autriche) par Olivier Le Lay
Collection « Der Doppelgänger », dirigée par Jean-Yves Masson
Verdier, 2017
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dimanche, 26 mars 2017
Juliette Mézenc, « Laissez-passer »
DR
« &
je m’applique à être
c’est pas donné à tout le monde
à certains oui, c’est donné, c’est ce qui paraît en tous cas
c’est naturel pour eux
Ils SONT.
ils sont ils sont et puis voilà
j’ai toujours trouvé ça injuste
parce que pour moi c’est pas la même : il faut sans cesse que je m’applique à la vie
je m’applique à la vie par toute une série d’exercices
et même comme ça, en m’appliquant très fort, je n’y arrive pas, pas toujours, et même : plus je m’applique plus elle me fuit, la vie, j’ai l’impression
mais comment faire
parce que parfois ça marche
des fois, je réussis à réduire l’espèce de no man’s land qui me sépare de la réalité, je franchis tout l’espace d’un bond d’un seul
des fois, je fais partie c’est une joie
mais c’est tout un travail pour moi
et je vois bien que c’est plus de boulot pour certains que pour d’autres
y en a ils sont et puis voilà
et puis y en a d’autres
un jour qui a duré des mois et des mois, et je me suis retrouvé coupé, complètement séparé de
…
j’ai retrouvé ça, cette sensation-là, dans un jeu vidéo hier, j’avançais dans la map et puis d’un coup : blanc ! rien que du blanc et moi perdu là au milieu sans plus aucun repère dans cette immensité blanche et lumineuse, sans aucune aspérité, le vide le plus pur
et rien qui te raccroche à rien
juste la voix du médecin qui avait prononcé des mots “perte des notions de l’espace et du temps”
il y avait donc un nom pour ça
nommer c’est déjà ça
une main courante
c’est juste après que j’ai commencé à écrire »
Juliette Mézenc
Laissez-passer
L’Attente, 2016
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vendredi, 24 mars 2017
Fabienne Raphoz, « Blanche baleine »
DR
« Géologie
je suis faite de la
pierre de mon pays
la rousseur du
gypaète aussi
•
Fossile dit
l’âge de la roche
Nautile
celui du temps
•
Niedecker dit
dans tout fragment
de tout ce qui vit
reste de la pierre »
Fabienne Raphoz
Blanche baleine
Héros-Limite, 2017
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mercredi, 22 mars 2017
Jim Harrisson, « L’éclipse de lune de Davenport »
DR
« Le temps nous dévore crus.
Pour mon anniversaire, hier,
je n’étais que d’un jour plus vieux
bien que j’aie commencé unicellulaire
il y a dix millions d’éternités dans le bourbier de la vieille ferme.
* * *
Assurément les poissons n’ont pas inventé l’eau
ni les oiseaux, l’air. Les hommes ont bâti des maisons
en partie pour la gêne que leur donnent les étoiles,
et élevé leurs enfants sur des insignifiances,
puisqu’ils ont massacré tout dieu au fond d’eux-mêmes.
L’homme politique sur les marches de l’église croît
dans la grandeur même de cette stupidité,
lampe grillée qui jamais n’imagina soleil.
* * *
C’était lundi matin pour la plupart des gens
et mon cœur était près d’exploser selon
mon tensiomètre numérique,
ce qui me fait dire que je ne peux plus bosser
pour être le mineur le mieux payé au monde.
Je veux me maintenir à la surface et aider le héron
qui a du mal à se poser au bord du ruisseau.
Il vieillit et je me demande où il sera une fois mort. »
Jim Harrisson
L’éclipse de lune de Davenport et autres poèmes
Traduit de l’américain par Jean-Luc Piningre
Bilingue
La Table Ronde, 1998, rééd. La Petite Vermillon, 2017
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lundi, 20 mars 2017
Pierre Bergounioux, « Le Grand Sylvain »
Pierre Bergounioux dans La Capture de Geoffrey Lachassagne
« Il y a une dernière chose qu’on peut envier aux insectes, outre la cuirasse, les cœurs épars, la science innée, la stupeur : c’est la patience. Ils sont un siècle et demi à cheminer par monts et par vaux, perdus dans les forêts de l’herbe, la nuit, cherchant le passage, le tablier des ponts et on voudrait qu’ils soient là, dans l’instant, parce qu’on a cet instant et la prétention, avec ça, d’acquitter une créance qui court depuis le commencement. Le temps passe. L’instant s’achève et tout ce qu’on trouve, c’est de reprocher au gosse, au vrai, qu’on a traîné avec soi, d’être assis, bras ballants, sur une souche, à ne pas chercher. On lui en veut de ne pas déférer à l’injonction du gosse fictif que ses yeux ne sauraient déceler dans l’après-midi blême alors qu’il devrait être manifeste, aux nôtres, qu’il n’y est pas, pour lui, pas encore, puisqu’il est un gosse, un vrai. Si l’on était raisonnable, on se rendrait à l’évidence. On verrait. On accepterait. On se tairait. Au lieu de quoi on adresse des paroles amères à quelqu’un qui n’a rien fait. On veut le charger d’une part de la vieille dette qu’on a contractée. Finalement, c’est une querelle de gosses, même si l’un des deux n’est plus visible et c’est celui-ci, en vérité, qu’il faudrait chapitrer sur son acrimonie, sa mauvaise querelle, son incurable faiblesse. »
Pierre Bergounioux
Le Grand Sylvain
Verdier, 1993
Réédition avec le dvd La Capture de Geoffrey Lachassagne, La Huit/Verdier, 2017
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samedi, 18 mars 2017
Christophe Manon, « Au nord du futur »
Christophe Manon. photographie ©Sylvain Maestraggi
« Parfois l’amour aussi
est ce qui nous émeut d’être à ce point présent et d’une intense
douceur et ce qui nous reste de baisers nous en usons
pour sécher les larmes sur les joues de nos semblables et faire durer
le présent d’une joie qui ne veut pas
mourir et du silence saturé de poison la part
qu’il revendique inlassablement nous recevions l’accolade maintenant
les beaux noms nous les consignons dans nos livres franchissant
l’obscurité en des gestes fragiles donnant
mémoire à ce qui fut brisé afin
que ce qui a été rendu visible ne soit pas
effacé et qu’il ne reste pas
de mots sans sépulture. »
Christophe Manon
Au nord du futur
Nous, 2016
17:05 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : christophe manon, au nord du futur, nous
jeudi, 16 mars 2017
Li Po, « Jour de printemps, après l’ivresse évoquant mon sentiment »
Li Po par Liáng Kǎi
« vivre en ce monde est comme un grand rêve
à quoi bon se fatiguer ?
aussi tout le jour je suis ivre
je m’effondre et m’allonge sur le perron
au réveil je regarde dans la cour
un oiseau chante parmi les fleurs
dis-moi, quelle saison est-ce ?
“dans le vent du printemps chante le loriot”
ému par cela je suis pour soupirer,
mais devant le vin me sers à nouveau
je chante à haute voix, attendant la lune claire
quand mon chant s’achève mon sentiment est apaisé »
Li Po (701-762)
Buvant seul sous la lune
Traduit du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet
Moundarren, 1988
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lundi, 13 mars 2017
Pascal Quignard, « Une Journée de Bonheur »
en couverture : Corot, Jeune femme cueillant une fieur (détail)
« Sur les couples des fous de Bassan
Carpe
arrache
diem
jour.
Les couples de fous de Bassan, tout blancs,
la tête blonde,
tous les ans reviennent au même nid où ils se rencontrèrent pour la première fois.
Reviennent où ils s’aimèrent.
Arrache-jours.
Chaque année le mâle apporte à la femelle retrouvée
brins d’herbes mêlées de fleurs
dont il entoure le cou de celle qui l’a distingué jadis entre les autres.
Il l’enroule,
formant un collier instable.
Les phrases des oiseaux sont très brèves,
laissent peu de temps à la réponse,
reprennent vite leurs sèches séquences et leurs brèves fréquences,
pour les encranter dans le vide.
Ce sont des colliers de sons dont la durée fait quelques secondes.
Petites mélodies subites qui s’accrochent et se suspendent dans les vides que le désir laisse,
qui attendent dans le vide
au sein d’une attente où l’appel lui-même attend
au point qu’il résonne.
Fragments de chant.
Fragments verbaux.
Le réel du texte n’est jamais vaste. »
Pascal Quignard
Une Journée de Bonheur
Arléa, 2017
Dans toutes les bonnes librairies à partir du 16 mars
19:19 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : pascal quignard, une journe de bonheur, arléa
samedi, 11 mars 2017
Françoise Ascal, « Ombres – Berlin»
DR
« Il neige sur nos mémoires.
Les flocons volent, recouvrent vos traces, comblent nos lacunes.
Dedans dehors s’entremêlent.
Des myriades de cristaux fondent entre nos doigts, identiques, uniques, tels vos visages un instant apparus.
* * *
Vos yeux mangés de nuit appellent encore les nôtres, si loin que vous soyez.
Vos visages confondus jamais ne se résorbent au fond de nos étangs.
Quel rituel inconnu apaiserait votre errance ?
Faut-il clouer vos noms sur de la cendre.
* * *
Tremblez-vous de froid, quand nos pas s’éloignent un peu trop vite un peu trop lestes, vers des horizons stridents ?
Craignez-vous l’abandon, la chute dans les ravins d’où l’on ne remonte jamais, à moins qu’une main tendre frôle encore vos lèvres sur une photo jaunie ? »
Françoise Ascal
Ombres-Berlin in Entre chair et terre
Peintures de Jean-Claude Terrier
Collection l’Orpiment
Le Réalgar, 2017
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jeudi, 09 mars 2017
Claude Margat, « En marge d’une vie »
DR
« La tradition allègue en Chine que Cang Jie l’ancêtre mythique inventa le langage des caractères entre deux mouvements de la tête. Premièrement, il considéra les traces laissées par les pattes des oiseaux dans l’argile, puis il leva les yeux vers le ciel et aperçut les premières constellations. Abaissant son regard à nouveau, il relia les deux espaces. Ce double mouvement désigne de la façon la plus explicite le chemin de la relation. L’image du mythe est assez belle, mais elle ne dit rien de l’intuition qui conduisit le génial inventeur de l’écriture à coudre deux espaces aussi différents sur le même ourlet de sens. Or, la mise en relation de deux éléments distincts d’une même réalité suppose au minimum l’existence d’un pré-langage, d’une pré-pensée suffisamment riche déjà pour pouvoir produire une formulation capable d’ordonner les signes, de les installer dans un discours, une logique, un fonctionnement. C’est vers ce moment de synthèse qu'il faut se tourner quand on souhaite aborder le comment de la langue. Et il fait sacrément noir dans cette région de la pensée !
Un corps de langue se constitue peu à peu. C’est un corps d’air dont la seule visibilité s’étale en signes séparés par des blancs. L’ombre noire des signes se forme au cours de silencieux et terribles affrontements. À la surface du corps de langue flotte tout le mobilier brisé des univers définitifs.
Nécessaire le transfert, et toujours efficace, mais sans une ombre de concession et pas plus de compassion. Car on en est le bénéficiaire un jour, mais c’est pour en devenir l’esclave demain. Sur la page colorée du monde, nous sommes prestement invités à signer le décret de notre propre anéantissement. Nous est seulement offert ce que nous nous montrons capables de saisir dans l’incessant passage de la présence à l’absence. »
Claude Margat
En marge d’une vie
Avec 9 peintures de l’artiste
Préface de Bernard Noël
L’Atelier du Grand Tétras, 2016
19:13 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : claude margat, en marge d'une vie, bernard noël, l'atelier du grand tétras