lundi, 31 mars 2008
Jean-Marie Gleize

Je me suis demandé comment elle poussait dans la bouche.
Comment elle coupait l’intérieur des joues, les gencives et les lèvres.
Comment.
Mais ça n’est rien encore, c’est la transparence des paumes, les mains traversées, tombées.
Surtout blanche et comme passée au séchoir. »
Film à venir
Coll. Fiction & Cie
14:54 Publié dans Au jour le jour | Lien permanent
dimanche, 30 mars 2008
Paul Celan
« IL Y AVAIT DE LA TERRE EN EUX, et
ils creusaient.
Ils creusaient, creusaient, ainsi
passa leur jour, leur nuit. Ils ne louaient pas Dieu
qui — entendaient-ils — voulait tout ça,
qui — entendaient-ils — savait tout ça.
Ils creusaient, et n’entendaient plus rien ;
ils ne devinrent pas sages, n’inventèrent pas de chanson,
n’imaginèrent aucune sorte de langue.
Ils creusaient.
Il vint un calme, il vint aussi une tempête,
vinrent toutes les mers.
Je creuse, tu creuses, il creuse aussi le ver,
et ce qui chante là-bas dit : ils creusent.
Ô un, ô nul, ô personne, ô toi :
où ça menait, si vers nulle part ?
Ô tu creuses et je creuse, je me creuse jusqu’à toi —
à notre doigt l’anneau s’éveille. »

La Rose de personne
Traduit de l’allemand par Martine Broda
Le Nouveau Commerce, 1979,
14:55 Publié dans Au jour le jour | Lien permanent
samedi, 29 mars 2008
Anne Thébaud

Sentinelle
Maurice Nadeau, 2007
15:44 Publié dans Au jour le jour | Lien permanent
vendredi, 28 mars 2008
Henri Thomas

Carnets 1934-1948
Éditions Claire Paulhan, 2008
16:59 Publié dans Au jour le jour | Lien permanent
jeudi, 27 mars 2008
Saint Augustin

Je suis allé me jeter, je ne sais comment, sous un figuier. Ne contrôlant plus mes larmes. Elles ont débordé et jailli de mes yeux. Tu as reçu ce sacrifice, et j’ai parlé, parlé, pas exactement en ces termes, mais j’ai dit quelque chose comme : et toi, Seigneur, quand ? quand, Seigneur, la fin de ta colère ? ne te rappelle pas nos crimes anciens. Car je sentais bien que c’est eux qui me retenaient. Je jetais des cris malheureux. Encore combien de temps ? encore combien de temps ? demain ! demain ! pourquoi pas tout de suite ? pourquoi ne pas en finir sur l’heure avec toutes mes saloperies ?
29. Mes mots, mes pleurs, dans la terrible amertume de mon cœur brisé. J’entends alors une voix depuis la maison voisine. Un chant répétitif et récurrent. Une voix d’enfant, garçon ou fille, je ne sais plus. Attrape et lis. Attrape et lis. Aussitôt mon visage a changé. Perplexe. Était-ce une rengaine quelconque que les enfants avaient l’habitude de chanter en jouant? Non. Ça ne me disait rien. J’ai refoulé mes larmes et je me suis redressé. Ne doutant pas qu’il s’agissait d’un ordre divin qui me demandait d’ouvrir le codex et de lire le premier chapitre sur lequel je tomberais. J’avais entendu dire qu’Antoine, au hasard de la lecture de l’évangile, en avait retiré un avertissement, comme si ce qui était lu alors lui avait été adressé. »
Les Aveux, chapitre VIII
Traduction par Frédéric Boyer
P.O.L, 2008
15:59 Publié dans Au jour le jour | Lien permanent
mercredi, 26 mars 2008
Frédéric Boyer

Elles inondent les prés de leur géométrie massive et lente.
Toutes les fois où les vaches pensent à la mort, quelqu’un tue une vache. Dans chaque vache il y a quelqu’un à tuer. Un monstre à sacrifier qui n’est pas la vache elle-même mais très probablement nous-mêmes.
Nous disons : si la vache maîtrise le langage – et donc son application – elle doit forcément savoir ce que signifient les mots. Et nous la frappons sans retenue quand elle ne sait pas et qu’elle ne vient pas à l’appel de son nom de vache.
Probablement que les vaches nous rappellent impitoyablement quelqu’un.
Les vaches ont trouvé ennuyeux de n’aimer personne. Pourquoi aiment-elles ce qu’elles aiment sinon pour ne pas aimer personne, sinon pour ne pas mourir seules – ce à quoi elles n’échapperont pas ?
Le poison ce fut d’espérer qu’elles puissent exprimer un jour ce qu’elles aimaient. »
Vaches
P.O.L, 2008

10:31 Publié dans Au jour le jour | Lien permanent
mardi, 25 mars 2008
Dylan Thomas
Mon HÉROS met à nu ses nerfs
« Mon HÉROS met à nu ses nerfs tout le long de mon poignet
Régnant du poignet à l’épaule,
Il déballe la tête qui, comme un spectre ensommeillé,
S’appuie sur mon souverain mortel,
La fière épine ennemie des tours et des torsions.
Et ces pauvres nerfs ainsi reliés au crâne
Souffrent sur le papier éperdu d’amour.
J’étreins les mots fous que j’ai gribouillés
Gémissant de toutes les faims de l’amour
Et disant à la page le mal vide.
Mon héros met à nu mon flanc et voit son cœur
Marcher, comme une Vénus nue,
Sur la plage de chair et enrouler sa natte sanglante.
Dépouillant mes lombes de promesse
Il promet une chaleur secrète.
C’est lui qui tient les fils de cette boîte de nerfs
Glorifiant la mortelle erreur
De la naissance et de la mort, la triste paire de voleurs
Et l’empereur du désir.
Il tire la chaîne, la citerne se vide. »
Dix-huit poèmes
Traduit de l’anglais par Patrick Reumaux
in « Œuvres tome I », Seuil, 1970
14:55 Publié dans Au jour le jour | Lien permanent
lundi, 24 mars 2008
Rosmarie Waldrop
« Deux quels qu’ils soient, s’opposent. Vous marchez sur du bruit. Le vent le plus froid souffle des confins de la peur. Qui a été couché par écrit. La passion n’est pas naturelle. Mais le corps et l’âme sont meurtris par la mélancolie, fruit des rives sèches et tordues. La perte décolore la peau. Par moments vous dévorez des pommes, à d’autres vous vous mordez la main. »
Traduit de l’américain par Paol Keineg
14:39 Publié dans Au jour le jour | Lien permanent
dimanche, 23 mars 2008
Adília Lopes

« Combien de fois je me suis enfermée pour pleurer
dans la salle de bains de la maison de ma grand-mère
je me lavais les yeux avec du shampoing
et je pleurais
je pleurais à cause du shampoing
puis ont disparu les shampoings
qui brûlaient les yeux
no more tears dit Johnson & Johnson
les mères sont les filles des filles
et les filles sont les mères des mères
une mère lave la tête de l’autre
et toutes ont des cheveux d’enfants blonds
pour pleurer nous ne pouvons plus utiliser le shampoing
et j’aimais pleurer sans arrêt
et je pleurais
sans un regret sans une douleur sans un mouchoir
sans une larme
enfermée à clef dans la salle de bains
de la maison de ma grand-mère
où j’étais seule au-delà de moi-même
je m’enfermais aussi dans la grande armoire
mais une armoire ne peut fermer de l’intérieur
jamais personne n’a vu une robe pleurer »
Anonymat et autobiographie
Traduit du portugais et présenté par Henri Deluy
le bleu du ciel, 2008
14:37 Publié dans Au jour le jour | Lien permanent
samedi, 22 mars 2008
Jennifer Moxley
enserre ma maigre conviction, elle n’éclate
qu’à l’occasion d’une remarque, un jour lointain, le blâme appellera
un discours véhément bien que ton cocktail incandescent tue
le renouveau et que la nouvelle année siffle et souffle le froid, je meurs
d’envie de changer mais que toujours la mémoire revienne
sous sa poussée constante, je te dédie cette rêverie
car guidés nous ne serons jamais, bruit de nos pas nerveux
sur un seuil sans fin »

Évidence des lumières
Traduction collective de l’américain à Royaumont,
Coll. Un Bureau sur l’Atlantique
Éditions Créaphis, 2000
15:06 Publié dans Au jour le jour | Lien permanent
vendredi, 21 mars 2008
Jack Spicer

Après qu’il eut été né dans le bureau de poste il commença à exercer sa bouche avec un nouveau langage. Il ne pouvait pas imaginer des personnes pour écouter ce nouveau langage. Il n’avait pas inventé la politique.
Il écrivit de la poésie au pied du bureau de poste. Pas pour n’importe qui. Il ne pouvait pas imaginer à quoi les lettres servaient, ou les nombres. Il était un bébé. Il ne pouvait pas imaginer un monde complet.
Le Bureau-de-la-Lettre-Morte était dans une autre partie du bâtiment. Ils le mirent délibérément là en sachant que Rimbaud n’y naîtrait pas. Il fut plus tard appelé la Libération.
Il était alors un bébé et je profite de son nom qui s’épelait en six lettres R-I-M-B-AU-D. il s’éloigna immédiatement de toutes ces choses puériles et devint un télégramme.
Un faux roman sur la vie d’Arthur Rimbaud
in « C’est mon vocabulaire qui m’a fait ça »
Traduit de l’américain par Éric Suchère
Préface de Nathalie Quintane
le bleu du ciel, 2006
15:27 Publié dans Au jour le jour | Lien permanent
jeudi, 20 mars 2008
Marie Cosnay

Villa Chagrin
Verdier, 2006
16:37 Publié dans Au jour le jour | Lien permanent