dimanche, 25 février 2018
Jean-Louis Baudry, « Les Corps vulnérables »
© : l'atelier contemporain
« […] Ce n'était pourtant qu'à la presque fin de la rue, non loin de l'endroit où elle allait rejoindre la route conduisant à la sortie du village, que, dans le minuscule jardin en contrebas d’une maison construite en retrait de l’alignement des autres, le long du mur latéral de la voisine, qu’avait surgi, comme engendrée par le verbe créateur d’un dieu, éblouissant bouquet d’une pyrotechnie végétale, la floraison accomplie d’un amandier. Dans un ciel uniformément bleu, le projecteur solaire dont il recevait frontalement le faisceau illuminait chacun de ses innombrables et minces copeaux de soie transparente. Il semblait bien en effet qu’un dieu, ou la nature, avait déposé à nos pieds une immense corbeille pour célébrer le jour qui nous avait fait nous rencontrer. L’arbre en fleur, en déployant sa blancheur sacrée, avait concentré en lui la liturgie d’une cérémonie qui exigeait notre participation par le consentement réciproque d’un baiser plus long encore que les plus longs de ces “baisers prolongés” qui avaient si souvent interrompu à l’improviste, comme une très longue exclamation de bonheur, nos promenades et nos conversations. […]
Oui, par ce baiser près de l’arbre en fleur nous avions reconnu, même si nous ne le savions pas, même si nous n’en avions pas conscience, que notre amour ne nous appartenait pas, que le lien qui nous unissait ne dépendait pas de notre volonté et de nos désirs. C’est là toujours, à cette grâce suprême, à l’idée d’un sentiment qui ne dépend pas de soi, que l’on veut mesurer l’amour que l’on ressent. Ce baiser en plein hiver, près d’un arbre miraculeusement fleuri illustrant à la fois la victoire de la vie et le mouvement caché mais persistant, le cycle de la nature sous l’apparence glacée de l’immobilité, de la mort, prenait une signification qui dépassait l’étroite contingence du moment. S’il exprimait notre joie, notre ravissement devant l’arbre si splendidement vêtu du tulle léger d’une robe d’épousée, il prenait aussi un sens symbolique dont nous n’avions pas sur le moment conscience. Je peux toujours dire, maintenant que Marie est morte, que c’est sa mort qui le lui a conféré, ou qu’elle me l’a suggéré. Ce baiser était l’équivalent de l’arbre en fleur, il témoignait de la puissance invincible de l’amour sur le déroulement contingent du temps, sur des événements que nous pensions ne dépendre que de notre volonté. Il constituait un acte de foi et un abandon. Jusqu’à ce jour, jusqu’à cette date qui, par une coïncidence que je ne crois pas accidentelle, est celle de l’anniversaire de Marie (que je lui aurais souhaité quel qu’ait été alors l’état de nos relations comme je n’avais pas manqué une seule fois de le lui souhaiter depuis notre rencontre, comme aujourd’hui, en écrivant dans le silence de ce jour, dans la solitude que j’ai voulue, je le lui souhaite attendant d’elle un signe, le signe par lequel elle me ferait savoir qu’elle n’est pas tout à fait morte, qu’une part d’elle survit autrement que par moi qui jour après jour, depuis qu’elle est morte, tente de laisser une trace, fautive, trop fautive, oublieuse, égarée, s’égarant hors du chemin que je devrais suivre, ce signe qu’elle ne veut pas me donner autrement que par la pensée de ce baiser dont je poursuis, poursuivant son ombre, l’évocation), jusqu’à ce jour je ne pouvais savoir que ce baiser était comme un arbre en fleur surgi miraculeusement au détour d’un chemin au milieu de l’hiver de notre vie, nous apprenant que décidément notre amour nous avait préexisté, mais qu’il fallait aussi qu’elle meure pour que je l’apprenne… »
Jean-Louis Baudry
Les Corps vulnérables
L’Atelier contemporain, 2017
http://editionslateliercontemporain.net/collections/litte...
18:58 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : jean-louis bauddry, les corps vulnérables, l'atelier contemporain
vendredi, 23 février 2018
Jim Harrison, « Lettres à Essenine »
© : David Brigham
« Pour répondre à certaines questions que tu pourrais poser si tu étais vivant et si nous étions amis, mais que se demandent deux poètes après une si longue absence ? Pourquoi as-tu été vivant et comment suis-je en train de mourir sur terre sans égrener la litanie ordinaire des complaintes, ce qui revient à s’inquiéter à voix haute, égrener ces terribles grains de poussière qui flottent dans le cerveau, ces ballons roses nommés pauvreté, échec, maladie, luxure et envie. Pour en citer très peu. Mais tu veux des précisions, non pas la condition humaine ni une lettre au journal expliquant pourquoi, au trente-sixième dessous, je crois m’être fait baiser. Voilà donc les nouvelles de ce printemps : maintenant que l’herbe a grandi, j’y marche en redoutant les serpents. L’œil mélancolique, j’ai regardé ma femme planter le jardin, rangée après rangée, pendant que le bébé essayait d’attraper les grenouilles. Difficile de ne pas manger trop quand on aime profondément la nourriture, mais je me suis limité à deux litres et demi de bourgogne par jour. Lors des marches prolongées, mes yeux s’enfoncent tant dans mon cerveau qu’ils ne voient rien, puis ils ressortent de nouveau vers la lumière et voient un pré élevé virer au vert pâle, nager dans le brouillard, et les corbeaux tracent des lignes géométriques perceptibles juste au-dessus du brouillard, et audibles. Sur la rive je pêche au lancer des poissons parfois très gros dont le ventre contient des éperlans et des aloses déliquescents. Hors mariage, je n’ai pas été amoureux depuis des années ; des passades dans le monde entier, je t’en ai déjà parlé, mais sans la surprise ce n’est pas de l’amour. Observant les femmes, je sais avec certitude qu’elles viennent d’une autre planète et parfois, en effleurant le bras d’une fille, je sais que je touche une créature adorable, mais étrangère. Nous ne récupérons pas ces jours sans caresses ni amour. Si je pouvais t’emmener dans l’arrière-pays de Key West et te faire prendre de la psilocybine, tu arrêterais ta légendaire consommation de vodka. Naturellement, je crois toujours aux miracles et au destin sacré de l’imagination. À quoi ça ressemble d’être mort, est-ce que j’aimerais ça, dois-je retarder encore un peu l’échéance ? »
Jim Harrison
Lettres à Essenine
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent
Christian Bourgois, 1999 — rééd. Titres n° 198, 2018
de Sergueï Essénine : http://www.unnecessairemalentendu.com/archive/2015/08/18/...
17:21 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : jim harrison, lettres à essenine, bric matthieussent, christian bourgois, titres
lundi, 19 février 2018
Jean-Jacques Salgon, « Obock »
La Tour Soleillet à Obock
« Rimbaud a ceci de particulier qu’à chaque moment de sa vie il excède tout ce qu’on peut connaître de lui, poèmes, lettres, portraits ou photographies, souvenirs des témoins qui l’ont connu ou croisé, autant de portes ouvertes sur des mondes différents et qui semblent scellés sur un épais mystère. Rimbaud c’est l’excès de la biographie (quand Pessoa ou Walser en seraient le manque, le défaut). Il est trop, comme disent les jeunes d’aujourd’hui. Il n’est peut-être jamais autant Rimbaud que dans cette période si peu documentée de sa vie où il sillonne l’Europe, ces trois années de vagabondage entre 21 et 24 ans où il s’échappe et échappe à tous, où il a déjà quitté l’écriture et pas encore rencontré l’Afrique et le négoce. Durant ces années d’errance, il devient polyglotte, il multiplie le multiple, semble doué du don d’ubiquité.
Rimbaud est beaucoup plus que le double dont parle Segalen ; pluriel, polymorphe et, tout comme notre univers, constitué à 96% d’énergie et de matière noire. Cet univers opaque de sa vie s’étend d’ailleurs depuis le Bar de l’Univers de Charleville jusqu’au Grand Hôtel de l’Univers à Aden. Un univers à lui tout seul ; une vérité cachée dans une âme et un corps. C’est sans doute pour ça que les autoportraits flous de Harar nous paraissent si vrais.
[…]
De retour à Obock où la chaleur commence à être rude, il [Paul Soleillet] continue de diriger la construction de sa factorerie. Une enceinte carrée de cent mètres de côté est bâtie, puis, à l’intérieur de ces murs, on édifie les entrepôts, et, dans l’alignement du porche d’entrée, une tour en pierre de 17 mètres de haut qui sera longtemps appelée tour Soleillet. Sur la terrasse supérieure de cette tour sont installés les quatre canons. Tous les matins on hisse au haut d’un mât le drapeau français.
C’est peut-être au rez-de-chaussée de cette tour qu’il se fera prendre en photo par Édouard Bidault de Glatigné. On le voit à sa table, entouré de son personnel, dans la pause du penseur de Rodin, avec ses cheveux raz et sa longue barbe taillée au carré, plongé (ou faisant mine d’être plongé) dans la lecture d’un livre, veste et pantalon blancs, sandales afars, une paire de jumelles traînant à côté du livre. Un fusil est accroché au mur où sont aussi des trophées, lances et boucliers danakils, sabres, juste de quoi constituer un petit décor colonial. »
Jean-Jacques Salgon
Obock
Verdier, 2018
17:26 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : jean-jacques salgon, obock, verdier
mercredi, 14 février 2018
Caroline Sagot Duvauroux, « Le Vent chaule »
La Vierge de l'Annonciation ( 1474-1476), Antonello de Messine,
Galleria Regionale della Sicilia, Palerme
« La jeune lingère brassait des draps bleus et blancs comme le turban de la dame d’Ingres. Qu’elle est jolie quand son sourire embarque le visage et qu’elle se tourne à vous. N’est pas de ces lingères de roman qu’on culbute dans les remises et qui rient d’insolence comme la petite servante de Goya au coin du grand drap blanc. Riait pourtant la lingère aux voyous et aux princes qui passaient par là qu’elle croisait à vélo, sacoches pleines de linge et de provisions, de munitions, sur les lignes de démarcation. Et bien sûr qu’il y en eut, les lingères sont jolies dans leurs jupes fraîches et socquettes à sandales, jambes nues qui pédalent et pédalent en montrant des genoux. Hum se disent les vauriens en sifflant, hum se disent les princes en pleurant. Les princes n’ont pas droit aux lingères et les vauriens ont droit à tout mais pas longtemps et d’ailleurs les lingères sont habiles à s’enfuir dans leur rire.
Mais les lingères n’existent plus que dans le temps d’enfance contée. C’est pourquoi on retourne parfois dans ces temps découvrir semeurs et lingères et les tissus bleus sur les peintures qu’on voulait toucher, qu’on touche furtivement car les peintures des temps contés ne sonnent pas quand les petits vont toucher du doigt le bleu de Kandinsky pour savoir si ça colle ou si ça s’enfonce, ou celui de Van Gogh pour vérifier si ça gratte ou si ça dévore, et le bleu de la vierge d’Antonello pour que l’émerveillement demeure sur la pulpe du doigt comme un cœur de mésange à battre son petit tocsin. Et la peinture mine de rien tue les princes et la peinture se fait prince. Prince de gloire le vent de corbeau, prince de gloire le tendre vert battu de gris, prince de gloire la transparence d’une larme sur un visage supplicié.
Alors on épouse la turbulence et l’éclat. On oublie les princes maléfiques des romans qu’on aime tant, on grandit. On s’éloigne. On cherche les peaux aux endroits qu’on voit pas, on aime le rok’n’roll et la paix violente. On file chasser phrase à phrase une phrase. Ou bien en Camargue pour sous les sabots des chevaux la poussière d’éperdu. Ce qu’on voit : des salines et qu’il y a du rose sur un châtiment blanc. C’est fini pour un temps les romans, on chasse et on prend, tout prend la toile et c’est la provision de l’été. »
Caroline Sagot Duvauroux
Le Vent chaule suivi de l’Herbe écrit
José Corti, 2009
16:49 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent
dimanche, 11 février 2018
Dominique Sigaud, « Dans nos langues »
© Michel Durigneux, pour Verdier
« La langue n’est pas un cadeau des père et mère, nation école patrie patrimoine. Elle est comme la marguerite jaune qu’on ramasse négligemment au bord du champ parce qu’elle s’y trouvait. Il y a de la langue comme il y a de petites marguerites au bord des chemins, heureusement ; il importe donc d’en multiplier les accès et non les réduire ; c’est toujours très beau quelqu’un qui s’affranchit, un jeune homme ou une jeune fille plus encore, qui fait le geste écartant le mort de la langue, le mort dans la langue, ce qui de la langue conduit à plus de mort en soi et autour que de vivant, c’est toujours très beau un jeune homme ou une jeune fille s’affranchissant des langues entassées sur lui comme un poids mort ; ce que ça éclaire d’eux quand ils le font, ce que ça leur dessine comme ouverture.
“Ma nef passe au détroit d’une mer courroucée*”, je reprends votre citation, ces phrases dont la langue est capable, une des premières que vous m’avez offertes. Je me suis appuyée parfois sur certaines de vos phrases pour avancer quand c’était un peu plus difficile. La langue est cette nef parfois passant au détroit d’une mer courroucée, sin on veut s’avancer dans la langue, ce que ça suscite autour de soi comme contraintes, violences, oppositions.
Être conduit par la langue à de la langue. Plus on s’y abandonne, plus la langue est cette nef, plus c’est elle qui conduit. »
* Philippe Desportes (1546-1606)
Dominique Sigaud
Dans nos langues
Verdier, 2018
https://editions-verdier.fr/livre/dans-nos-langues/
16:34 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : dominique siagud, verdier
mercredi, 07 février 2018
Mathieu Riboulet, « Lisières du corps »
© des mots de minuit
« On ne laisse pas d’un coup cinquante-huit ans de corps
À corps avec son corps.
On ne laisse pas d’un coup repartir les vivants
Avec leurs os, leur sang, leurs larmes et leur misère.
On s’attarde et l’on trinque, on dit des choses tendres,
On te laisse filer, t’effacer pour de bon. Ça ira,
Nous sommes quittes, Ljubodrag, qu’une dernière fois je nomme,
Emportant avec moi un peu de ta lumière. »
Mathieu Riboulet
Lisières du corps
Verdier, 2015
Mathieu Riboulet, né en 1960 dans la région parisienne est mort lundi 5 février à Bordeaux.
Nous l’aimons.
14:06 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : mathieu riboulet, lisières du corps, verdier
jeudi, 01 février 2018
Wang Heqing, « Ode à un papillon géant »
© Sophie Chambard
« Air : “Jour d’ivresse”.
Brassant l’air, il vous réveille en sursaut du rêve de Zhuang Zhou
De ses deux ailes reposant bien calé sur la brise de printemps.
Dans trois cents jardins fameux
Il a sucé tout ce qui pouvait l’être,
Terrorisant l’abeille en quête de fragrances.
D’un petit volettement délicat, tout léger,
Vous l’envoie valdinguer à l’autre bout du pont, la marchande de fleurettes. »
Wang Heqing
« La dynastie des Yuan (Mongols, 1279-1368) »
Traduit, présenté et annoté par Rainier Lanselle
In Anthologie de la poésie chinoise
La Pléiade, Gallimard, 2015
13:34 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : wang heqing, sophie chambard, ode à un papillon géant, rainier lanselle, anthologie de la poésie chinoise, pléiadegallimard
mardi, 30 janvier 2018
Gérard Haller, « Le grand unique sentiment »
Rembrandt, La Lutte de Jacob avec l'ange, 1659
Staatliche Museen, Gemäldegalerie, Berlin
« mains bras ailes
oh ailes
visage nu de l’un face au nu
de l’autre comme ça qui se présentent
ensemble le vide d’avant et l’intime
infini.
Le lointain : qui le font désirable
komm tu dis
c’est chaque nuit.
Nous nous prenons dans les yeux les larmes
plus loin nous nous implorons komm
prends-moi etc. et c’est chaque fois
comme si c'était la première nuit
sur la terre de nouveau comme
si c’était nous là-bas les deux
tombés nus du ciel et tu es là
je suis là tu dis regarde et tout
recommence
visage de l’un face à l’autre
dedans plus loin qui appellent
encore et encore
qui demandent la lumière
et tu me fais avancer dans toi
au bord et tu prends ma tête
comme ça dans ta main
et tu la poses sur ton sein
et tu dis mon nom
komm tu dis
et je suis toi de nouveau
dans le nu de ta voix
là-bas sans moi
et je ferme les yeux
[TEMPS]
tout le temps de l’étreinte
comme si c’était pour entendre
seulement ça qui appelle dedans
nous sans nom sans voix.
Nu seulement plus nu encore
et soudain c’est toi »
Gérard Haller
Le grand unique sentiment
Coll. « Lignes fictives », Galilée, 2018
17:53 Publié dans Anniversaires, Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : gérard haller, le grand unique sentiment, lignes fictives, galilée
vendredi, 19 janvier 2018
Jean-Christophe Bailly, « Un arbre en mai »
© : J.-C. Hermann
« Nous avions fait de la remarque de Rosa Luxemburg selon laquelle une journée de grève générale en apprend davantage que des années de formation un de nos leitmotivs, mais ce n’est pas seulement sur ce plan purement politique que les journées de Mai forment dans la vie de ceux qui les ont vécues une strate qui est aussi une césure. Ce mélange d’invincibilité chanceuse et de pure défaite qui les caractérise dans le temps comme un pli, étonnant suspens où nous touchions à l’Histoire sans être menacés et nous assumions la violence sans qu’elle tourne au drame, c’est comme si le mouvement avait surfé au-dessus d’un abîme sans même l’apercevoir et par conséquent sans vertige.
Le désir du vertige, et celui d’une conséquence et d’une responsabilité plus grandes, conduisirent certains d’entre nous, par la suite, vers une orientation militaire et clandestine, vers un spectre d’actions qui eût pu effacer la légèreté de Mai. Mais, comme l’on sait, en France en tous cas, ils renoncèrent pour la plupart à franchir un point de non-retour et, à mon avis, entre autres causes, l’expérience de Mai joue ici son rôle : elle fut telle en effet qu’elle ne préparait pas à des postures de juges manichéens ou à des actes plus ou moins assimilables au terrorisme révolutionnaire. Lorsque tout retomba, ce fut pour chacun toute une histoire que d’apprendre à revenir. Où que les évènements et l’engagement qui leur fit suite nous aient portés, la question n’était pas de rentrer dans le rang mais de s’inventer une vie dans un monde transformé, une vie dans laquelle le pli historial de Mai 68 puisse fonctionner comme un souvenir. Accepter que l’arbre était mort, c’était faire un travail de deuil et, comme on le sait, rien n’est plus difficile ni, surtout, plus solitaire. »
Jean-Christophe Bailly
Un arbre en mai
Coll. »Fictions & Cie », Seuil, 2018
18:07 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : jean-christophe bailly, un arbre en mai, fiction& cie, seuil
vendredi, 29 décembre 2017
Rose Ausländer, « Je joue encore »
DR
« Moi une petite fleur
Pourtant les roses
hautes comme l’été
les papillons
les ailes de mouettes
au-dessus de la rivière
Non
je n’oublie pas
les années marquées au fer
je n’oublie pas
que des bottes
ont piétiné l’arc-en-ciel
qu’elles s’apprêtaient
à nous transformer en
roses de feu papillons de feu ailes de feu
pourtant hauts comme l’été
le parfum
les ailes doubles au-dessus de la rivière
l’or sur ma peau
et les roses mortes après la nuit
***
Entends-tu
de sa voix claire
l’alouette chante des chansons
jusque dans mon sommeil
J’attends
le parfum
du souvenir
L’air
joue mon
souffle
Je suis
enfant à nouveau
et mélange des couleurs
pour
un ballon »
Rose Ausländer
Je joue encore (1985-1986)
Bilingue
Préface de Lambert Barthélémy
Traduit de l’allemand par Alba Chouillou
Le Bousquet-La Barthe éditions, 2017
17:30 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent
vendredi, 22 décembre 2017
Li Yi-chan, « Notes »
« Signes de richesse
Le hennissement d’un coursier.
Des larmes laissées par des chandelles de cire qui ont coulé.
Des épluchures d’écorce de châtaignes.
Des coques de litchi secs.
Des fleurs qui tombent en volant.
Le chant du loriot et de l’hirondelle.
Des voix qui lisent.
Tombée et abandonnée, une épingle de tête ornée de fleurs.
Des sons d’une flûte dont on joue dans le pavillon à étages.
Le bruit des médicaments que l’on pile et du thé que l’on broie. »
Li Yi-chan
Notes
Traduit du chinois par Georges Bonmarchand
Préface de Pascal Quignard
Le Promeneur, 1992
14:43 Publié dans Écrivains, Édition, En fouillant ma bibliothèque | Lien permanent | Tags : li yi-chan, notes, georges bonmarchand, pascal quignard, le promeneur
lundi, 18 décembre 2017
Christophe Manon, «Vie & opinions de Gottfried Gröll»
DR
« Les gens prennent souvent les idiots pour des idiots
ou points d’interrogation. C’est une façon de voir
les choses qui est imperméable et technique.
L’idiot en fait est un placenta qui pense.
Juste il ralentit le rythme pour être plus près.
Gröll n’est pas idiot. Ses pensées
il les range bien soigneusement dans une boîte
puis compose le numéro téléphonique du temps.
Gröll pense qu’il pourrait animer un jeu télé.
Ou bien danser avec Madonna une partie
de ping-pong en forme de Picon bière.
Gröll écrit des poèmes qui n’ont pas de succès
dans le Poitou ni ailleurs d’ailleurs. Pourtant
j’ai des supporters très cravates. En matière
de poésie Gröll se manifeste torturé rabâcheur
ou carabin corniaud à déblatérer des fumisteries
même s’il a d’autres chats à fouetter. Poésie
c’est pas casser du sucre à base de ragots de fiel.
Certains disent c’est comme un baril de poudre
d’escampette à éternuer. Quel salamalec.
Gröll pense qu’il y a du réel qui s’échappe
mais on n’est jamais sûr de la retrouver.
D’abord fut le début puis vint la suite et patatras.
Il y eut un grand chambardement au niveau
de l’organisation qui se mit à tourner sur elle-même.
J’ai dit vas-y mais personne n’a suivi et Gröll
s’est retrouvé tout seul au milieu d’un endroit.
J’ai fini sur les rotules cul par-dessus tête la queue
entre les jambes. Ce qui est une position assez
gymnastique. Puis j’ai oublié depuis le cerveau jusqu’aux
orteils. Après tout c’est comme ça et en outre je veux
dire voilà. C’est ainsi que tout a commencé pour
se terminer en queue de poisson à la mords-moi le nez.
Christophe Manon
Vie & opinions de Gottfried Gröll
Dernier Télégramme, 2017
19:11 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : christophe manon, vie & opinions de gottfried gröll, dernier télégramme