UA-62381023-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Édition - Page 29

  • Dorothée Volut, « Poèmes premiers »

    Photo moi 051.jpg

    DR

     

    « Parfois une journée à vivre vaut mieux qu’un poème.

    Écrire le soir après avoir rangé sa barque, suffit.

     

    Je comprends tout ce que tu dis sans le voir,

    à cause de ta présence contre laquelle tu ne peux rien.

     

    Alors, ne peux rien, ne peux rien.

     

    Ne fais pas de la vie un puzzle, car elle ne l’est pas.

    On dirait que tu demandes :

    pourquoi y a-t-il une table et nous réunis autour.

    Le jour où tu auras une vache pour te répondre, je te le souhaite.

    Si parler c’est pour autre chose,

    alors vivre c’est pour quoi à la place ?

     

    Le soir, le poème est dans l’air avec tous nos problèmes.

    C’est peut-être exagéré de le dire comme ça,

    mais j’aimerais tellement faire quelque chose de différent

    pour t’aider à comprendre.

     

    Tu sais, je n’amenuiserai jamais la source.

     

    Revenue vers les balles de foin, quand il me faut fermer la serre,

    enrouler le tuyau, bloquer la porte avec une pierre

    et que j’aperçois au bout du tunnel

    le troupeau des montagnes en ombres chinoises,

    je me sens tricotée par deux grandes aiguilles

    d’une laine enfantine. La terre me porte.

     

    Quelle forme prendra la parole, si je ne sais pas la dire ?

     

    Métaphysique, répond la marchande.

     

    Eh bien alors, fais-le. »

     

    Dorothée Volut

    Poèmes premiers

    Éric Pesty éditeur, 2018

    http://www.ericpestyediteur.com/index.htm

  • Arseni Tarkovski, « Jour blanc »

    LM.png

    Photogramme du film Le Miroir d'Andreï Tarkovski

     

    « Une pierre est couchée dans le jasmin

    Sous cette pierre est un trésor.

    Mon père se tient dans l’allée

    Blancheur blancheur du jour.

     

    Un peuplier d’argent en fleurs,

    Une cent-feuilles* et derrière elle

    Des roses grimpantes,

    Une herbe de lait.

     

    Je ne connus jamais

    Alors un tel bonheur.

    Jamais un tel bonheur

    Je ne connus alors.

     

    Revenir là-bas c’est impossible

    Et raconter mais nul le peut,

    Comme fut rempli de béatitude

    Ce séjour du paradis. »

     

    * Rose constituée d'un très grand nombre de pétales.

    Ce poème d’Arseni Tarkovski devait donner son titre au film de son fils Andreï, Le Miroir.

     

    Traduit du russe par Christian Mouze

    In « Andreï Tarkovski, Œuvres cinématographiques complètes II », Exils, 2001

    Repris in L’Avenir seul

    Traduction et présentation de Christian Mouze

    Postface d’Anna Akhmatova

    Bilingue

    Fario, 2013

  • Andreï Tarkovski, « Journal – 1970-1986 »

    Blog.png

    Photogramme de Nosthalgia de Andreï Tarkovski

     

    « 9 août 1979, Bagno Vignoni

    Un orage a éclaté tôt ce matin – magnifique. Il a plu. Le matin, nous sommes allés voir les bains d’eau chaude de Sainte Catherine. C’est un endroit formidable pour un film.

    J’ai montré à Tovoli le ruisseau et la chambre sans fenêtre pour Spoutnik et pour le film.

    On a filmé la “Madona del Parto” à Monterchi, de Piero della Francesca. Aucune reproduction ne peut rendre sa beauté.

    Un cimetière à la frontière de la Toscane et de l’Ombrie.

    Quand on voulu transporter la Madone dans un musée, les femmes de Monterchi s’insurgèrent et obtinrent qu’elle reste où elle était.*

    […]

    10 août

    On a filmé ce matin la piscine Sainte Catherine. On a visité les environs. Cet après-midi, l’abbaye de Sant’Antimo. Les appartements de l’abbé sont à l’intérieur de l’église, par un décret spécial du pape.

    Rencontre avec une communauté religieuse. Ils ont chanté du grégorien dans l’église, quand ils ont appris que c’était moi ! Ils avaient vu Roublev. Eugenio Rondini à tout enregistré.

    Il a plu le soir. On a filmé le ruisseau d’eau chaude. Il sont tous repartis à Rome – Tovoli et sa femme, Eugenio et Franco. Nous restons ici à travailler, avec Torino et Lora.

    […]

    13 août

    Nous avons fructueusement travaillé. Tout est charmant ici, douillet. Il y a beaucoup de serpents dans les bois, et des mûres que personne ne cueille. Nous sommes allés aujourd’hui en amont de Bagno Vignoni. Un “village” avec quelques maisons, une muraille, une tour, une église. On pourra y séjourner très bon marché pendant le tournage. On peut même y acheter une maison pour pas cher du tout. C’est un endroit fantastique, à 1 km. de Bagno Vignoni, à 1 heure et demie de Rome en voiture.

    J’ai donné à Lora, pour qu’elle le traduise à Tonino, le premier épisode : L’Hôtel Palma.

    Lettre à Gambarov. Demain je l’appelerai.

    N.B. : Gortchakov oublie qu’il a rêvé de la mort.

     

    14 août

    Nous avons travaillé assez fructueusement à la deuxième mouture du scénario. J’ai rédigé une page de la première.

    On a téléphoné à Tovoli pour lui demander de m’acheter un Polaroid. Je veux faire quelques clichés.

    Demain commence la fête de “Feragosta” – la fin de l’été. Je voudrais prendre quelques photos de la fenêtre, à diverses heures du jour. La vue au petit matin, à l’aube. […] »

    * Ndb : depuis 1993, elle se trouve dans l’ancienne école élémentaire qui est devenue un musée dont elle est la seule œuvre.

     

    Dans ces extraits, Tarkovski, prépare le scénario de ce qui deviendra Nosthalgia, qu’il tournera sur ces mêmes lieux en 1982.

    D’autre part, il tourne au même moment, en cette année 1979, ce qu’il appelle un « reportage-autoportrait » intitulé Tempo di viaggio (63 mn.) qui sortira en 1980.

     

     

    Andreï Tarkovski

    Journal – 1970-1986

    Traduit du russe par Anne Kichilov, avec la collaboration de Charles H. de Brante

    Cahiers du cinéma, 1993

  • Jean-François Billeter, « Une rencontre à Pékin »

    Chemin-imperial-Taishan-article.jpg

    Chemin impérial du Mont Thaisan. DR

     

    « Nous avons aussi décidé de faire un voyage. C’était à notre portée parce que j’avais gagné quelque argent grâce au guide Nagel. Wen avait quitté Pékin deux fois, durant ses études de médecine. Elle était allée avec quelques camarades apporter des soins à des paysans de la campagne proche, c’était un exercice pratique. Elle se souvenait des longues marches d’un village à l’autre, de la peur de se faire surprendre par la nuit, de la pauvreté des paysans, de leur infinie reconnaissance. […]

    À Jinan, des sources jaillissaient au cœur de la ville. Nous avons déjeuné de poisson frais dans un pavillon de style traditionnel, planté dans le lac, accessible par un pont plusieurs fois coudé. Nous sommes passé au pied du Thaishan que j’aurais voulu escalader, mais qui n’était pas accessible aux étrangers. De la petite gare de Yanzhou, nous avons gagné en car le lieu de naissance de Confucius, Qufu. Nous avons logé dans une aile du Kongfu, la résidence des descendants du Sage. Le repas (exquis, je n’avais rien connu de comparable à Pékin) a été servi pour nous seuls. À la nuit tombante, nous avons aperçu quelques cadres du régime bavardant entre eux sur une terrasse. On leur préparait une séance de cinéma. À l’aube, nous avons été réveillés par les cris des aigrettes qui nichaient dans les pins séculaires du temple de Confucius, tout à côté, et dont des dizaines tournoyaient en l’air. Qufu était un grand village où les paysans étaient chez eux. Des murs de la ville, il ne restait que des vestiges. Nous sommes allés jusqu’à la tombe de Confucius, un tertre entouré d’un petit mur de brique, sous de grands arbres sans âge. D’autres tombes, disséminées dans la verdure, étaient supposément celles de certains de ses disciples et de nombre de ses descendants. Sur le chemin du retour, une paysanne était en train de moudre son grain. Comme cela se faisait depuis des siècles, elle le répartissait avec un petit balai sur une table ronde de pierre et l’écrasait à l’aide d’un lourd cylindre de pierre. Elle le faisait rouler en poussant devant elle un axe de bois qui le traversait de part en part et qui était attaché, au centre, à un axe vertical. Je lui ai demandé si je pouvais essayer. Bien sûr, m’a-t-elle dit ; d’où êtes-vous ? – De Pékin. – Vos meules ne sont pas comme celle-ci, à Pékin ? m’a-t-elle demandé. Elle ne voyait pas que j’étais un étranger. J’ai essayé et compris que son travail était pénible. Comme nous avions demandé à visiter toute la résidence de la famille des Kong, un conservateur nous a fait les honneurs des onze cours qui se succèdent dans l’axe central et qui font progressivement passer, comme dans toute grande demeure chinoise traditionnelle, de la partie publique à la partie privée. Dans l’un des derniers bâtiments, une porte donnait dans une salle latérale. J’aimerais voir la chapelle bouddhique qu’il y a là, ai-je dit au conservateur, qui a été pris de stupeur. Pour le rassurer, je lui ai expliqué que j’avais vu le plan de la résidence dans une revue d’archéologie publiée à Pékin. Je l’avais examiné de près pour en tirer la description du guide Nagel.»

     

    Jean-François Billeter

    Une rencontre à Pékin

    Allia, 2017

    https://www.editions-allia.com/fr/livre/786/une-rencontre-a-pekin

  • Louis Calaferte, « Le passage de la ligne »

    calafer.jpg

    DR

     

    « À quoi ressemblais-je avec ce corps devenu si fragile qu’un souffle d’air l’eût fait vaciller, ces mains sans chair, à la peau sèche d’un jaune cireux, cette effrayante maigreur du visage empreint non plus de lassitude, comme souvent autrefois, mais pétrifié, et peut-être surtout ce regard désormais liquide, voilé, noyé ? À quoi ressemblais-je, maintenant que je me découvrais hors d’atteinte de toute souffrance, tant morale que physique ; par exemple ma molaire à droite de la mâchoire inférieure qui, faute de soins, m’avait tant fait souffrir au cours de nuits blanches, voilà ce que je pouvais sans douleur y appuyer le bout de ma langue, d’ailleurs insensibilisée ; et, faits en eux-mêmes remarquables, je n’avais plus de ces quintes de toux irritantes, mon estomac pourtant si délabré me laissait en paix, mes jambes ne me pesaient plus le matin au réveil, quand, d’autre part, des préoccupations qui me persécutaient jusqu’à l’angoisse devenaient dérisoires ?

    J’avais devant moi, me semblait-il, un temps infini pour me consacrer à un repos jamais connu, pour me promener en toute sérénité dans des paysages verdoyants que j’affectionnais depuis mon enfance, observer la délicate beauté des fleurs, la robe rutilante de certains insectes ou rien que la pureté bleutée d’un ciel d’été, les scintillements d’une goutte de rosée à la pliure d’une feuille ; un temps illimité pour n’être plus que l’un des accords harmonieux du monde.

    Oui, décidément, à quoi ressemblais-je, et comment m’étonner que personne autour de moi ne me reconnût plus ? »

     

    Louis Calaferte

    Ébauche d’un autoportrait

    Denoël, 1983

  • Haizi, « Maison »

    haizi.jpg

    DR

     

    « Tu as au matin fait tomber

    une première goutte de rosée

    pour sûr, cela touchait à ton amour

    à midi, quand tu as fait boire les chevaux

    tu t’es tenu un instant sous un jeune rameau

    et cela aussi touchait à elle

    et dans la lumière du soir

    tu es assis dans la maison, sans bouger

    et cela encore touche à elle

     

    tu ne peux pas le nier

     

    l’immense soleil se retire, sable et boue se confondent,

    détale le vent fou,

    ciel et terre de pluie détrempés sanglotent sans fard ni feinte

    et la maison d’amour est tendrement assise

    elle recouvre une mère, elle recouvre un fils

     

    te recouvre et moi aussi »

    1985

     

    Haizi – Zha Haisheng, 1964-1989

    Traduit du chinois par Romain Graziani

    In Le ciel en fuite – Anthologie de la nouvelle poésie chinoise

    Édition établie par Chantal Chen-Andro & Martine Valette-Hémery

    Circé, 2004

    http://www.editions-circe.fr/livre-Le_ciel_en_fuite_%E2%80%93_Anthologie_de_la_nouvelle_po%C3%A9sie_chinoise-224-1-1-0-1.html

  • André Bernold, « J’écris à quelqu’un »

    andré bernold,j'écris à quelqu'un,jean-pierre ferrini,fage

    DR

     

    « Je ne suis écrivain que très accessoirement. Plutôt un graphomane. Même pas un écrivain de l’empêchement. Mais la formule de Beckett est juste. Il suffit de remplacer un mot. Je suis un vivant de l’empêchement. Je vis ce qui m’empêche de vivre. Là, c’est juste. Ça veut simplement dire que je suis malade. Un malade comme un autre. Dans ce que j’écris au fil de la plume je ne sais pas ce qui est bien ou pas bien, parce que j’écris dans un moment d’oubli, pas de récollection. J’écris à quelqu’un dont je me souviens, à partir de l’oubli que je ne conjure qu’un instant pour cette personne. Sinon rien. »

     

    André Bernold

    J’écris à quelqu’un

    Pages recueillies et présentées par Jean-Pierre Ferrini

    Coll. « Particulière », Fage éditions, 2017

    http://www.fage-editions.com/livre/jecris-a-quelquun/

  • Song Lin, « Paysage dans l’œil d’un aigle »

    songlin_pvdm_1992jpg_220x500.jpg

    © Pieter Vandermeer

     

    « 1

     

    Rien que le roc, la neige,

    noir sur blanc.

    Les rigueurs de l’hiver, les eaux ne coulent plus,

    les pins ont mis leurs cloches de verre.

     

    2

     

    Rien ne saurait remplacer

    l’élévation du roc.

    celle des sommets,

    sauf la neige qui les recouvre.

     

    3

     

    Des vols d’hirondelles dorment sous les eaux gelées,

    dans leur tanière, les ours bruns sommeillent,

    marmottes et hérissons s’assoupissent aussi,

    en eux s’amassent une neige de graisse.

     

    4

     

    Il n’y a pas de mots, pas de vendeurs de mots,

    nul hymne louant les noces, le pouvoir.

    Au Tibet, une armée s’enfonce sous la neige,

    inhumée dans l’oubli du clair de lune.

     

    5

     

    Le vent est inspiration, volonté,

    vitesse du sang en plein vol.

    Les ombres se déplacent, puis

    les griffes soudain lacèrent le silence.

     

    6

     

    Une réduction, essentielle, comme fait la terre

    pour les branches, les feuilles mortes, comme le roc

    dressé solitaire, dressé radieux,

    devenue fondement de toute sensation.

     

    7

     

    Même les étendues de neige gelée

    sont truffées d’amorces noires du soleil.

    Le paysage dans l’œil d’un aigle…

    poème sur la distance. »

     

    1998

     

    Song Lin – né en 1959 dans la province du Fujian

    in Le ciel en fuite – Anthologie de la nouvelle poésie chinoise

    Édition établie et traduite par Chantal Chen-Andro & Martine Valette-Hémery

    Circé, 2004

    http://www.editions-circe.fr/livre-Le_ciel_en_fuite_%E2%80%93_Anthologie_de_la_nouvelle_po%C3%A9sie_chinoise-224-1-1-0-1.html

     

     

  • Gu Hengbo, « La pensée nocturne dans le pavillon Haiyue »

    Orchidées solitaires. Musée national du palais, Taipei..png

    Gu Mei, Orchidées solitaires (détail). Musée national du palais, Taipei.

     

    « Au-delà du rideau parfumé

    La pluie fine mouille le ciel nocturne

    Les feuilles jaunes s’envolent

    Je me couvre de vêtements du soir.

     

    La cour peinte ombragée par des lianes

    Leurs tiges en harmonie avec l’automne

    Les saules cachent la balustrade rougeâtre

    La lune jette sur le sol des ombres timides.

     

    Les fleurs grelottent dans le froid nocturne

    Ma silhouette amaigrie tremble dans la pénombre

    Le perron froid sombre dans une obscurité profonde

    Les oies sauvages restent silencieuses sur les branches.

     

    Dans cette montagne la forêt est immense

    Je savoure cette vie d’ermite

    Le vent se lève du côté des pins robustes

    La porte bien fermée je me couche sur la natte. »

     

    Gu Hengbo, prostituée et chanteuse très connue dans la capitale de la dynastie des Ming, était l’une des « huit beautés de Nankin » de son époque. Animée d’une générosité chevaleresque, elle sauva la vie à plusieurs guerriers qui résistaient à l’invasion des Mandchous qui allaient bientôt fonder la fameuse dynastie des Qing. Dégoûtée par la vie de prostitution, elle épousa Gong Hefei, en tant que concubine de grand lettré. Ses poèmes sont célèbres pour la description minutieuse des différents sentiments. Elle mourut à Pékin à quarante-six ans, laissant le Recueil des poèmes écrits dans le pavillon des chatons de saules.

     

    Gu Hengbo – Gu Mei, 1619-1663

    In Femmes poètes de la Chine

    Traduction, annotations et calligraphies de Shi Bo

    Le Temps des Cerises, 2004

    https://www.letempsdescerises.net/?product=femmes-poetes-de-la-chine

  • Paul Celan, « Contre personne lové »

    celanmedium.jpg

    DR

     

     

    « Contre personne lové avec sa joue –

    contre toi, vie.

    Contre toi, d’un moignon de main

    trouvée.

     

    Vous, doigts.

    Loin, en chemin,

    aux croisements, parfois,

    la halte

    avec les membres affranchis,

    sur

    le coussin de poussière Autrefois.

     

    Provision du cœur devenu bois :

    qui brûle,

    valet d’amour et de lumière.

     

    Une petite flamme de demi-

    mensonge encore dans

    ce pore-ci,

    cet autre, lassé de veille,

    que vous touchez.

     

    Bruits de clefs là-haut,

    dans l’arbre

    du souffle au dessus de vous :

    le dernier

    mot qui vous ai regardé

    doit maintenant rester seul avec soi.

     

    ……………………….

     

    Contre toi lové, d’un

    moignon de main trouvée :

    vie. »

     

    Paul Celan

    La rose de personne / Die Niemandsrose (1963)

    Traduit de l’allemand par Martine Broda

    Bilingue

    Le Nouveau Commerce, 1979, rééd. Points Seuil, 2007

  • Tchouang-tseu, « …un vieil homme qui nageait dans les remous… »

    Zhuangzi-Butterfly-Dream.jpg

    Ike no Taiga – 1723-1776 – , Tchouang-tseu rêvant d’un papillon, ou un papillon rêvant de Tchouang-tseu

     

    « Confucius admirait la cataracte de Liu-leang dont la chute mesurait trente toises et dont l’écume s’étendait sur quarante stades. Dans cette écume, ni tortue géante, ni caïman, ni poisson, ni trionyx ne pouvaient s’ébattre. Soudain, Confucius vit un vieil homme qui nageait dans les remous. Le prenant pour un désespéré, il donna l’ordre à ses disciples de suivre la berge et de le retirer de l’eau. À quelques centaines de pas plus bas, l’homme sortit de l’eau par ses propres moyens. Les cheveux épars et tout en chantant il se promena au bas du talus. Confucius l’ayant rejoint, lui dit : “J’ai failli vous prendre pour un esprit, mais je vois que vous êtes un homme. Permettez-moi de vous demander quelle est votre méthode pour pouvoir nager si aisément dans l’eau.

    – Je n’ai pas de méthode spéciale, répondit l’homme. J’ai débuté par accoutumance ; puis cela est devenu comme une nature ; puis comme mon destin. Je descends avec les tourbillons et remonte avec les remous. J’obéis au mouvement de l’eau, non à ma propre volonté. C’est ainsi que j’arrive à nager si aisément dans l’eau.

    – Que voulez-vous dire, demanda Confucius, par les phrases suivantes : j’ai débuté par accoutumance ; je me suis perfectionné naturellement ; cela m’est devenu aussi naturel que mon destin ?

    – Je suis né dans les collines, répondit-il, et j’ai vécu à l’aise, c’est l’accoutumance ; j’ai grandi dans l’eau et je m’y trouve à l’aise, c’est la nature ; je nage ainsi sans savoir comment, c’est le destin. »

     

    Tchouang-tseu – IVe siècle av. J.-C.

    Extrait du chapitre XIX de « Avoir une pleine compréhension de la vie »

    In Œuvres complètes

    Traduit du chinois, préfacé et annoté par Liou Kia-hway

    Gallimard/unesco, 1969, rééd. Folio essais n°556, 2014

  • Lu Yu, « Sous la lune buvant légèrement »

    1200px-Haruki_Nanmei_A_portrait_of_Lu_Yu(part)_春木南溟筆_陸羽像(部分)_天保12年.jpg

    Haruki Nanmei, Portait de Lu Yu, XIXe

     

    « hier tout autour de l’auvent, la pluie

    face à la lampe solitaire je me grattais la tête

    cette nuit, le clair de lune plein la cour,

    je chante longuement adossé au saule dépouillé

    les changements du monde sont immenses, infinis

    de la réussite à l’échec un revers de la main

    dans la vie d’un humain la chose la plus heureuse est,

    allongé, d’entendre qu’on presse le vin nouveau

    depuis mon retour de Cheng-tu,

    je me lamente de voir parents et amis dépérir

    nombre d’entre eux sont déjà inscrits sur le registre des morts

    mais qui pourrait vivre éternellement ?

    les jeunes pour la plupart je ne les connais pas

    nul ne consent à avoir des égards envers le vieillard décrépit

    une coupe, personne avec qui la partager

    je vais frapper à sa porte pour appeler mon vieux voisin »

     

    Lu Yu – 1125-1210

    In L’Art de l’ivresse

    Poèmes chinois traduits et présentés par Hervé Collet et Cheng Wing Fun

    Coll. Spiritualités vivantes, Albin Michel, 2014