samedi, 15 juillet 2017
William Butler Yeats,«Michael Robartes et la danseuse»
DR
« Au point du jour
Fut-ce le double de mon rêve
Que la femme couchée à mon côté
Rêva, ou bien partageâmes-nous le même rêve,
Dans la première lueur froide du jour ?
Je pensais : “Il est un torrent
Sur le flanc de Ben Bulben,
Que toute mon enfance tint pour cher ;
Si je partais au bout du monde
Je ne pourrais trouver chose aussi chère.”
Mes souvenirs ont si souvent
Exagéré les délices de l’enfance !
J’aurais voulu le toucher comme un enfant
Mais, je le savais, mes doigts n’auraient touché
Que de l’eau et des pierres froides. Je m’emportai,
Accusant même le Ciel d’avoir
Pris ce décret parmi ses lois :
Rien de ce que nous aimons à l’excès
Ne se laisse estimer au toucher.
Je fis ce rêve à l’approche du jour,
L’aube soufflait sa froide rosée dans mes narines.
Or celle qui est couchée à mon côté
Avait, dans un sommeil plus amer,
Vu le cerf merveilleux d’Arthur,
Le noble cerf blanc, bondir
Dans la montagne, de rocher en rocher. »
William Butler Yeats
Michael Robartes et la danseuse, suivi de Le Don de Haround Al-Rachid
Bilingue
Présenté, annoté et traduit de l’anglais par Jean-Yves Masson
Verdier, 1994
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vendredi, 14 juillet 2017
William Butler Yeats « Quarante-cinq poèmes »
© : Charles Beresford, 1911
« Après ce long silence
Parler, après un long silence : c’est dans l’ordre,
Mort ou lassé tout autre qui t’aima,
Et tirés les rideaux sur la nuit hostile
Et voilée de ses franges la lampe hostile,
Qu’ainsi nous dissertions, à n’en plus finir,
Sur ces thèmes suprêmes, l’Art, le Chant.
La décrépitude du corps est sagesse. Jeunes,
Nous nous aimions, nous ne savions rien d’autre. »
William Butler Yeats
Quarante-cinq poèmes, suivis de La Résurrection
Bilingue
Traduit de l’anglais et préfacé par Yves Bonnefoy
Hermann, 1989
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jeudi, 13 juillet 2017
William Butler Yeats « Cinquante et un poèmes »
DR
« Un nid de sansonnets à ma fenêtre
Les abeilles bâtissent dans les crevasses
Entre les pierres qui se délitent et c’est là
Que les oiseaux apportent leurs vers et leurs mouches ;
Mon mur se délite ; abeilles à miel
Venez bâtir dans la maison abandonnée du sansonnet.
Nous avons fermé la porte, tourné la clef
Sur notre incertitude : quelque part
Un homme est tué, une maison brûlée
Rien pourtant de précis, aucun fait :
Venez bâtir dans la maison abandonnée du sansonnet.
Une barricade de pierres et de bois ;
Une quinzaine de jours de guerre civile ;
Hier soir ils ont traîné dans son sang
Mort sur la route ce jeune soldat :
Venez bâtir dans la maison abandonnée du sansonnet.
Nous avions nourri notre cœur de visions,
De cette chère le cœur a fait de la violence ;
Plus solide est notre haine
Que notre amour : ô, abeilles à miel,
Venez bâtir dans la maison abandonnée du sansonnet.
William Butler Yeats
« Méditations du Temps de la Guerre Civile » (1928) in Cinquante et un poèmes
Bilingue
Traduction de l’anglais et notes par Jean Briat
William Blake & Co. Edit, 1989, rééd. 1998
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mardi, 11 juillet 2017
Peter Gizzi, « Chansons du seuil »
Stéphane Bouquet & Peter Gizzi, lecture à Double Change, le 29 mai 2012
https://www.youtube.com/watch?v=wGBbgC4jzjI
« CLAIR DE LUNE & VIEILLES DENTELLES
d’après Blakelock
Et quand je suis mort
j’ai rejoint un clair de lune peint
vers la fin du XIXème.
Me voici
clignant des yeux dans les verts, les violets.
D’abord un mirage gloussant
de crépuscule et de peinture.
Invasion de joie.
Une couronne de lucioles
à l’huile blanche autour de moi.
Lanterne japonaise.
Mais tant bien que mal
ce qui quand on est mort
prend une éternité je commence
à m’installer dans la picturalité
et la grâce vive
des touches légère de lune
et la vraie profondeur
de ce clair de lune.
Argent et vieilles dentelles
leur relation à la musique
tous penchés sur la miroir de la nature.
Mais le centre vide
de traces blanchâtres
son air indélébile
arctique et tranchant
me transperce.
Je ne suis pas plus
vivant qu’une toile.
Pas plus mort que vivant.
À qui sont ces vents qui divaguent ?
Quelle mesure sans grâce
se déroule à mes pieds ?
Parle monde
foudroie et brûle
illumine ton caprice
qu’accroissaient ces instants.
Je sais qu’il y a un monde
là-bas devant. »
Peter Gizzi
Chansons du seuil
Traduit de l’anglais (États Unis) par Stéphane Bouquet
« Série américaine », Corti, 2017
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dimanche, 09 juillet 2017
Yaël Cange, « J’ai regret de vous »
« N’en peux plus de cette douleur, comprenez. Trop longtemps que ça dure.
Demain j’écrirai une lettre…
Faudra trouver les mots oui. Serais-je sans le savoir ? Je le pourrai. Le peux. Bien qu’à certains moments, ils me quittent. Bon. Pas de mal à espérer. Mais pour qui ces mots ? : des histoires de douleur — y en a t-il qu’on puisse entendre ? Ainsi — de celles-là : qui font crier le fond jusqu’à la gorge : “De grâce, de grâce, vous ! Par bonté, soutenez-moi.” Quand ce n’est pas que j’espère — j’implore, voyez. Dans tous les cas — c’est tant que je peux. Et puis je sais maintenant : ce n’est pas trop endurer ce que vous êtes. À voir jusqu’où — corps — pèse lourd sur moi, force m’est de supporter. Le faut pourtant. Vite. Vite. Avant que s’humilie, sinon la voix — du moins, le ferveur sauvage.
*
“Soutenez-moi” je disais. L’ai-je vraiment cru possible ? N’était-ce pas, plutôt, penser sans la parole, le geste : ce qu’il leur faudrait, à eux aussi — de peines ravagées.
Ô vous ! Préparez-moi — à affronter en l’être — le désert terrassant qu’amour ne laissa pas d’exercer.
Préparez-moi à l’affront devenu — avouable.
Préparez-moi.
*
Misère de tout ! Pour autant que je rêve — n’en demeure pas moins vrai — qu’anges — parfois, s’ils semblent éclairer, se prennent eux-mêmes — à leur propre déperdition.
Que s’achève, en ce cas — cette manière de désastre que je suis — serait chose peu concevable.
Force m’est seulement de supporter jusqu’où le cœur me bat. »
Yaël Cange
J’ai regret de vous
Dessins de Robert Groborne
Préface de Claude Louis-Combet
Coll. Écri(peind)re, Æncrages & Co., 2012
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jeudi, 06 juillet 2017
Enrique Vila-Matas, « Mac et son contretemps »
DR
« Lectures qui laissent à jamais une trace. 53 jours, par exemple, le roman inachevé de Georges Perec. En fait, je crois qu’il a discrètement influencé ce journal d’apprentissage. Non, ce n’est pas que je le crois, c’est que je suis sûr maintenant qu’il a influencé mon journal, même si je l’avais oublié jusqu’à aujourd’hui. Le titre du livre de Perec, allusion directe au nombre de jours qu’il a fallu à Stendhal pour dicter son chef-d’œuvre, La Chartreuse de Parme, me fascine.
Perec n’a pas pu terminer son livre, il est mort en l’écrivant. Mais il faudrait peut-être nuancer. Depuis que j’ai lu, il y a un an, 53 jours, j’essaie de m’expliquer quelque chose d’étrange, pourquoi le manuscrit, ayant échoué chez ses amis oulipiens Harry Mathews et Jacques Roubaud, était-il pratiquement prêt à être édité. Comment l’expliquer ? Le manuscrit est divisé en deux parties parfaitement délimitées : la seconde étudie de nouvelles possibilités contenues dans l’histoire policière racontée dans la première et va jusqu’à la modifier. Ces deux parties sont suivies de quelques curieuses remarques intitulées “Notes renvoyant aux pages rédigées” qui, non seulement donnent un nouveau tour d’écrou déjà apporté par la seconde partie à la première, mais semblent en plus révéler ce qui suit : le roman de Perec n’a pas été interrompu par la mort et n’est donc pas inachevé, mais il avait besoin d’un contretemps aussi sérieux que la mort — déjà incorporée par Perec au texte lui-même — pour être complété même si, à première vue, il puisse paraître interrompu ou incomplet.
Un roman donc parfaitement planifié et “terminé” dans lequel Perec a tout calculé, y compris l’interruption finale.
Chaque fois que je feuillette de nouveau 53 jours, il me plaît de croire que Perec a écrit ce roman pour tourner la mort en dérision. Car n’est-ce pas tourner l’arrogante Mort en dérision que de lui cacher que l’auteur s’est joué d’elle en laissant croire à cette pauvre vaniteuse que c’est sa ridicule faux qui a interrompu 53 jours ? »
Enrique Vila-Matas
Mac et son contretemps
Traduit de l’espagnol par André Gabastou
Christian Bourgois, 2017
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mardi, 04 juillet 2017
Ingeborg Bachmann, « Avec douceur et délicatesse »
DR
« Tout est mort. Tout mort.
Et dans ma panière à pain argentée
moisit le trognon de pomme séché
qui ne pouvait plus descendre.
Sur mes assiettes, qui y mange,
il doit rester un morceau de la corde
qui a été tressée pour moi.
Dans mon lit, qui y est couché,
doit encore bruisser la nuit le bout de papier
que j’y ai cousu.
Si peu de présence ! Il n’y a
que les objets lointains que je hante encore,
la lampe, la lumière,
là je l’allume et signifie :
tout le sang, ce flot de sang qui
a coulé. Mes assassins. »
Ingeborg Bachmann
Toute personne qui tombe a des ailes
Édition, introduction et traduction de l’allemand (Autriche) par Françoise Rétif
Poésie / Gallimard, 2015
12:17 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent
samedi, 01 juillet 2017
Anne Portugal, « et comment nous voilà moins épais »
DR
« et si c’est sur la table des moitiés
nous nous asseyons sur la pierre qu’est
l’identique suivant et les met en demeure
qu’est-ce que c’est qu’il disait le passant
que telle physique n’est pas si grande il
rigole aux escarpins souliers pointus d’à
la limite toucher voulant être poli n’étant
point laissant là dans le plat tombe à terre
le vœu d’attachement sincère à son lapin
@plantagenêt
————————————————————
un protocole
ce n’est pas moi oh non pas du tout
l’outsider accompagné d’amis
n’ai pas le portrait campé
noir et le vert épinard
il y avait une terrasse à partir
et les hachures à penser
où un appareil transmettait
la conversation et les visages
d’eux mêmes qui tombent
intermédiaires et services à ses
membres moi je dors avec vous
@mantegna
Anne Portugal
et comment nous voilà moins épais
P.O.L, 2017
13:55 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : anne portugal, et comment nous voilà moins épais, p.o.l 2017
mercredi, 28 juin 2017
Julien Blaine, « Débuts de roman »
© : sophie chambard
« 7
En retournant de chez ses parents : lui, le père nonagénaire dégoulinant sur son fauteuil roulant et elle, la mère, dont l’ego était si éblouissant qu’il brûlait toutes celles et ceux qui l’approchaient, il envoya ce texto à ses enfants : “si un jour je me suicide, je n’aurais pas besoin de laisser un mot !”
12
C’est au moment et au centre d’une curieuse torpeur que Toussaint se murmura : “Moi, je regarde et considère ces jeunes gens comme s’ils avaient mon âge et, eux, me voient comme si j’avais le mien…”
Au bruit d’une feuille froissée, il se retourna.
Pourquoi le regardait-elle ainsi ?
22
Depuis longtemps, très jeune, déjà, il parlait de la vieillesse, de sa vieillesse et le voilà ce matin, septuagénaire, en train de se brosser les dents en se mirant dans la glace de la salle de bain…
En fait, de cet état, de cet âge, il n’en savait rien.
60
Ainsi va la vie, on perd de vue des amis très chers irremplaçables au détour d’un jour, ou à la fin d’une interminable nuit on ne sait même plus s’ils sont vivants ou morts et soudain »
Julien Blaine
Débuts de roman
Éditions des Vanneaux, 2017
17:23 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : julien blaine, débuts de roman, les vaneaux
lundi, 26 juin 2017
Hsia Yu, « Salsa »
DR
« To be elsewhere
Ils se sont rencontrés dans un village de la côte
ils ont partagé une nuit merveilleuse puis se sont quittés sans laisser d’adresse
chacun sa route. Trois ans plus tard
ils se sont rencontrés à nouveau, sans le vouloir.
Pendant trois ans
ils ont été abandonnés
par la narration du roman
ils ne savaient plus qui ils étaient
seule flottait dans l’air cette sensation de s’être un jour connus
dans un autre récit
l’un demande : qui es-tu qui parais si froid et si fatigué ?
l’autre répond : je sais seulement que mon pull est décousu
et que si tu tires le fil de plus en plus
c’est tout mon être qui finira par disparaître »
Hsia Yu
Salsa
Traduit du chinois (Taïwan) et présenté par Gwennaël Gaffric
Circé, 2017
16:45 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : hsia yu, salsa, gwennaël gaffric, circé
samedi, 24 juin 2017
Franck Venaille, « Requiem de guerre »
DR
« Ah ! s’en aller pleurer sur un banc de bois le dimanche.
Rejoindre la compagnie des hérissons. C’est ainsi. C’est fait. Nous ne recommencerons plus les erreurs d’antan.
Il y a chez cet écrivain, une volonté farouche de faire entendre ses silences. Eh ! L’ami ! C’est bien à toi que je m’adresse. Tu avais le regard clair de celui qui donne tout et qui, sans angoisse, fait état de sa peur, de ses rages, continue d’être un homme qui a su combattre et vaincre les Furies.
Nous irons, pieds nus, marcher sur les braises.
Nous briserons leurs marmites de sorcières ah ! quelle journée !
Je peux en témoigner : il ne s’agissait nullement d’un rêve mais bien d’un morceau de réel comme toute mère en prépare pour son grand fils afin qu’il calme sa faim le moment venu.
Il ne s’agit plus de montrer sa peur. Il suffit de dire : “me voici” et les murs des longs couloirs prennent une couleur nouvelle. C’est là que j’ai croisé celui qui devait être l’ami de Kafka. Même redingote. Semblable démarche. Je m’enferme dans ma chambre pour relire le Journal. Cette douleur née de l’intérieur du corps des hommes comment la nommer ? Comment lire leur destin sur une mappemonde ?
Je me bats et je me débats. Je suis le personnage central d’un film. Je vais, maladroitement, d’un point à l’autre. Je rêve. Beaucoup. Et trop. La nuit je guette les bruits de pas des visiteurs étranges. Je suis allongé.
Je me tourne sur le côté droit avec difficulté. Dites ! Pourquoi cacher la vérité sortie nue du corps de la femme au bain ? Je suis un homme qui ne croit plus en son pouvoir d’agir sur les merveilles du monde. »
Franck Venaille
Requiem de guerre
Mercure de France, 2017
Franck Venaille vient de recevoir le Prix Goncourt de la Poésie 2017
18:09 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : franck venaille, requiem de guerre, mercure de france, prix goncourt de la poésie 2017
mardi, 20 juin 2017
Jacques Sicard, « La Géode & l’Éclipse »
À Paul Celan
« Un rien
nous étions, nous sommes, nous
resterons, en fleur :
la rose de rien, de
personne
Comment entendre ces vers ? – À Treblinka, les nazis pratiquèrent comme ils le préméditaient de le faire avec d’autres camps d’extermination, sans en avoir le temps. En 1943, après l’assassinat de près d’un million de juifs, les chambres à gaz sont dynamitées et détruites. Les baraquements, les clôtures et les autres installations démontées jusqu’à totale disparition. Le sol est labouré, planté d’arbres et semé de lupin. Ici, il n’y aura rien eu que le passage des saisons et personne pour témoigner qu’y éclosent des fleurs de lupin. Le lupin qui appartient à la sous-classe des rosidae, dont la rose fait partie.
Comment entendre autrement ces vers ? Une variante de l’Odyssée. “Personne”, Ulysse ; “rien”, la Reine ; “rose”, la prose. C’est sous ce nom qu’Ulysse pour le tromper se présente au cyclope Polyphène, mais aussi à partir de ce nom que devient clair son projet de différer indéfiniment son retour à Ithaque. C’est la place nulle que Pénélope occupe à la suite de ce changement d’identité, où elle tisse et détisse pour Personne. C’est l’efflorescence de la prose qui tout en permettant l’étendue, confère à toute cette vacuité le parfum soutenu de la Rose. Il y a tant de manières de ne pas revenir, sans vous faire injure, n’est-ce pas Paul Celan ? »
Jacques Sicard
La Géode & l’Éclipse
Éditions Le Pli, 2017
02:05 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : jacques sicard, la géode & l'éclipse, le pli